Liliane ronflait paisiblement dans son king size quand le plumard de luxe décide de la jarter contre un mur. Elle a connu des réveils plus délicats.

Mais qu'est-ce que... AÏE ! OUHHH... Nafissatou ! Maria ! Qu'est-ce qui se passe, enfin ?

Pas de réponse, juste un enfant qui traverse la chambre en courant et en ricanant, accompagné par un courant d'air glacial.

Qui a laissé entrer ce mioche ? Nafissatouuuuuuuuuuuuuu !

Silence. Juste la carcasse du paquebot qui grince comme une boîte de conserve qu'on broierait dans sa main.
Mais quelle idiote elle a été de se laisser inviter dans cette croisière, sous prétexte que l'armateur est un ami ! Elle aurait mieux fait d'aller sur son île avec François-Marie, comme prévu.

Mariaaaaaaaaaaaaaaaaa ! Répondez ou vous êtes virée !

Bon... Elle est virée. Ça n'empêche pas Liliane de se retrouver toute seule dans le noir, en chemise de nuit, pleine de bleus et de bosses. Régner sur un empire, posséder un océan de biftons et se retrouver dans cette situation ! Il y en a qui vont entendre parler d'elle !

A quatre pattes, elle se dirige vers la sortie de la suite, non sans se cogner dans le mobilier éparpillé. Elle pèse sur la porte : rien à faire, il y a quelque chose derrière qui bloque l'ouverture.

Mariaaaaa ! Nafissatouuuu ! Quelqu'un ? Je suis enferméeee ! Aidez-moi !

Elle n'en mène plus très large, la vieille, et elle tambourine à la porte comme une furie. Parce que, si la porte est bloquée, comment il est entré, le mioche, hein ? Et comment il est sorti ?

Apparaît à la porte une pauvre petite momie toute tremblante.

Nafissatou ? Maria ? rauque-t-elle par réflexe.

Les lumières se sont rallumées depuis longtemps, mais Liliane n'en sait rien, parce qu'elle n'a pas pensé à actionner les interrupteurs. Du coup, elle s'est habillée dans le noir, et sans femme de chambre. Le résultat est pitoyable, comme on pouvait s'y attendre. La robe est à l'envers, le cardigan boutonné de travers et les chaussures roses jurent avec l'imprimé orange. Heureusement que Liliane n'a pas essayé de se maquiller...

Elle suit Julie comme un zombi, mal assurée sur ses jambes, en marmonnant, de peur qu'on confonde :

Moi, je vais avec les vivants... Les vivants...