Phil était hors de lui ce soir là, il avait passé la journée avec des avocats car le conseil d'administration lui faisait encore des siennes. Il supportait de moins en moins de voir son pouvoir restreint. Ses colères devenaient de plus en plus fréquentes, et Henry ne se gênait pas pour lui faire remarquer son manque de contenance ; il servait aussi à ça après tout, prévenir son patron lorsqu'il dépasse les bornes. C'était plus fort que lui, on lui avait enlevé son enfant et il était en rage.

Mais ce ne sont pas les avocats qui le firent éclater. Un des employés avaient commis plusieurs fautes durant la soirée et un valkyrie avait refusé un client, Phil éclata. Il l'attrapa par le col et le traîna jusqu'à un endroit plus en retrait afin de lui passer un savon. Les mots les plus vulgaires et les plus blessants sortirent de sa bouche, l'accablant d'être une disgrâce pour cette entreprise. Le valkyrie essaya tout de même de se justifier mais Phil le coupa net :

- Laissez-moi vous expliquez, dit-il. Vous n'êtes que la marchandise, aux formes humaines et tout à fait désirables certes, mais, la marchandise. Et la marchandise, ça ne parle pas ! Maintenant prenez vos affaires et sortez ! Retournez-donc vous occuper des orthodoxes, on verra si vous faites encore le difficile. Et n'espérez pas revenir dans les hautes sphères, je m'en charge personnellement.

Le valkyrie baissa la tête et quitta immédiatement l'établissement, escorté par deux vigiles. Phil s'alluma une cigarette et remarqua quelque chose du coin de l'oeil. Il se tourna et fit face à un client, confortablement installé, un verre de cognac à la main. Voila qu'il se laissait tellement emporté qu'il ne l'avait pas remarqué, vite, une présentation agréable.

- Bonsoir, excusez-moi pour ce désagrément, mais le personnel n'est plus ce qu'il était. Je me présente, Phil Mason, propriétaire de ces lieux. Puis-je vous offrir le prochain verre ?

Le petit oeil du vieil homme fut immédiatement attiré par la dispute qui se tenait à quelques pas de lui. Une petite rixe, voilà de quoi le distraire un peu. Les disputes étaient son passe temps favoris. Une histoire de client insatisfait apparemment, plus grave de l'argent perdu. Au moins il n'était pas le seul à en perdre...

L'un des deux hommes, visiblement le chef du second fit escorter ce dernier par deux vigiles. ça sonnait la fin de la dispute. Cripsin détourna son regard et fit comme si de rien n'était. Mais l'homme cependant se retourna et se dirigea vers lui.

*M'aurais il vu l'épier ?* pensa t il. Dans les hautes sphères il valait mieux ne pas se montrer indiscret.

Son garde fit un pas, prêt à intervenir. L'homme s’arrêta et se présenta. Pas un violent apparemment. C'était le fameux Phil Mason, patron de ces lieux. Il lui proposa un verre offert par la maison. Cripsin leva un sourcil, il ne crachait pas sur une économie aussi minime soit elle. Et se retrouver face à un magnat des affaires était une opportunité à saisir, qui sait peut être avait il glaner quelques informations au cours de ses rondes.

"Volontiers jeune homme, répondit il, je vous en pris partagez le avec moi"

Il lui désigna le siège en face du sien.

"Ainsi donc vous êtes Phil Mason, j'ai bien souvent entendu parler de vous mais excusez moi, je ne vous avais pas reconnu avec toutes ces lumières. Malgrè que vos affaire tournent bien il semblerait qu'il y ait toujours quelques petits problèmes internes, il pointa fébrilement la porte par laquelle était sorti l'homme escorté des deux vigiles. Je me présente John Wenster Cripsin, président de la Cripsin Corporation, dans l'énergie. Les centrales à fusion froide, c'est moi."

Il bomba son torse un peu de publicité et montrer ses points forts ne pouvait lui faire de mal.

"Rassurez vous, je sais à quel point le petit personnel peut être décevant, et qu'il faut savoir se montrer ferme pour leur rappeller grâce à qui il ne sont pas mort de faim, ces bons à rien."

On pouvait sentir dans sa voix un certain mépris à l'évocation de ses derniers mots.

Il était temps de glaner quelques informations...

- Rassurez vous, je sais à quel point le petit personnel peut être décevant, et qu'il faut savoir se montrer ferme pour leur rappeller grâce à qui il ne sont pas mort de faim, ces bons à rien.

La phrase de John Cripsin résonna joyeusement dans la tête de Phil, accompagnée de cloches et d'un tapis rouge. Qu'il était bon d'entendre la vérité.
Une main de fer lui faisait face, surement plus ferme que lui même et il en était honoré. Cripsin n'avait pas l'air commode, avec ses airs du 19e siècle et son monocle, mais cela lui conférait une certaine classe perdue. Phil venait-il de rencontrer un futur compagnon d'armes, pour le bien de l'Europe Nouvelle ?

Il avait rencontré plus de monde qu'il ne pouvait s'en souvenir, et bien souvent, ces congénères n'étaient que de viles sangsues oeuvrant pour leur bien en pliant le dos devant le gouvernement parce que cela servait leurs propres intérêts. Il se demandait s'il était seul à aimer son pays et sa ville, à penser que ce système devait être défendu car il l'aimait. Et si une guerre civile venait à éclater, il savait que Henry et lui même prendraient les armes sans hésiter pour défendre leurs convictions et leur nation.

- Je vois que vous êtes un homme de raison, dit-il en souriant. Mais cela est-il vraiment à leur portée ?

Phil s'assit et claqua sèchement des doigts. Un serveur accouru sur l'instant, déposa un deuxième verre et une bouteille de cognac, puis parti aussi vite, terrorisé à l'idée de commettre une faute à son tour. Pas de signe de main, pas de mots, pas ce soir, ce foutu personnel l'avait bien trop mis en rogne.

- Et donc vous avez conçu les centrales à fusion froide ? demanda-t-il. Mes respects, un superbe travail, je m'intéresse un peu au domaine scientifique, et ce que vous avez fait est brillant.

Il leva son verre vers Cripsin.

- À ceux qui font tourner cette ville, dit-il avec un sourire carnassier.

Incroyable ! Phil pensait qu'ils avaient suffisamment fait parler d'eux en arrivant, avec toute la presse qui les avait assailli tels les requins qu'ils étaient. Mais il n'en était pas à sa première explication.

- Et bien mon cher Cripsin, j'ai bien peur que même si vous cherchiez dans les archives vous ne trouviez aucune informations sur la famille Mason durant ce dernier siècle. Je fais partit de ceux que les médias ont qualifiés les Revenants. Mais paradoxalement, puisque je viens de 2040, ma famille est désormais parmi les plus vieilles de la ville.

Il but une gorgée et repris :

- Je pense que vous avez dût entendre parler de moi par le biais de cette affaire au conseil des automates. Vous n'avez pas idée à quel point j'ai du me battre pour regagner mon empire après cette absence d'un siècle. Ils s'étaient disputé les morceaux de ma compagnie comme des charognards, et je peux vous dire que les temps ont changé. La propriété industrielle était à mon époque beaucoup plus sacrée qu'aujourd'hui, et je n'aurai jamais eu tout ce mal à reprendre mon bien.

Phil sourit à ce souvenir, 2040 lui manquait par moment, une époque où l'Europe Nouvelle venait de sortir victorieuse d'une guerre mondiale, les hautes sphères lui mangeant dans la main et se disputant ses soirées. Le monde parfait selon Phil Mason

Cripsin s'adossa sur la banquette, écoutant Mason. Cette histoire de revenants il n'en avait que moyennement entendu parler, à vrai dire dans son isolement il ne s’intéressait guère aux "fait d'hiver" et ne lisait que les pages économiques des journaux.

"Excusez moi mais je ne lis que la bourse dans les quotidiens, si mes actions montent ou si celles de mes concurrent baisse, et je suis assez pris par ma centrale."

Mason but une gorgée, Cripsin fit de même. Sale histoire, se retrouver 100 ans plus tard avec plus rien, et son empire en lambeau.

"Soit donc vous êtes de 75 ans mon aîné, dit il avec un rire gras, Il est vrai qu'en un siècle bien des arrivistes ont rodé autour de nos entreprise pour en voler l'usufruit. Cette caste a perdu de son prestige avec ces nouveaux automates dépourvus d'une quelconque classe, ces fils et fille à papa maman, ces starlettes présentant des émissions TV peu recommandables. Heureusement qu'il existe encore de véritable entrepreneur pour empêcher le pays de sombrer."

Cripsin s'avança.

"Mais à présent j'ai l'impression que vous en êtes sorti de ce calvaire. J'ai entendu parler d'un nouveaux projet, Virtualife il me semble. C'est en bon chemin ? Ça doit coûter cher en énergie non ?"

Cripsin ne cracherait pas sur un nouveau client.

Voila que le requin montrait ses dents. 
Nous ne changerons décidément jamais, pensa Phil. Le profit coule directement dans nos veines, nous sommes bel et bien des prédateurs financiers.

- Virtua Life continue de se faire, répondit Phil. Pour le moment il n'y a que les murs et les fondations, mais nous devrions pouvoir l'ouvrir d'ici quelques semaines. Les travaux vont vite de nos jours. 

Il fixa Cripsin et sourit, amusé par cette chasse à la fortune inhérente à leur caste. 

- Pour ce qui est de l'approvisionnement en énergie, nous ne nous en sommes pas encore occupés. Je travaille avec une valkyrie entrepreneuse et c'est surtout elle qui se charge des travaux, je suis plutôt côté finances. Mais je suis sur que vous avez quelque chose d'intéressant à me proposer, un requin expérimenté a toujours une carte dans sa manche.