Un petit soupir s'échappe de mes lèvres. Pourquoi parler déjà d'un sujet qui fâche ?

Je n'ai strictement rien pour payer.
Mais c'est pas grave, je leur dirais d'adresser la note à mon frère, Guillaume. Après tout, c'est de sa faute si je ne peux pas payer puisqu'il ne me donne jamais d'argent. Et puis, il avait dit qu'il me protégerait, et pour le moment c'est plutôt vous qui vous en êtes chargés.
D'ailleurs merci pour ça aussi.

Ah, il n'était pas seul a être ... démuni. Tant mieux.

"Je n'ai rien non plus. Et ne me remerciez pas... Je n'ai pas fait grand chose.

Il tilta sur le nom de Guillaume. Puisqu'apparemment le sujet de la note n'était pas le meilleur, parlons de Guillaume. Si elle était d'accord, évidemment.

"Hum... Si ce n'est pas indiscret... Qui est Guillaume ?"

Il aperçu du coin de l'oeil la bêbête déclencher la fin du monde dans une autre table, mais n'y perçut pas d'intérêt, et se recentra sur la conversation.

Bon, ben à notre table en tout cas, ça a l'air de se calmer... on peut pas franchement en dire autant de celle d'en face, y a la bébête qui fait des siennes. Pas mon problème, qu'ils se démerdent, personne est venu vers nous quand elle a commencé à ce que je sache.

Je vais p'tête même retrouver l'appétit, qui sait. Le restaurant de Chinatown m'a l'air bien loin, et malgré les restes d'odeur j'ai le bidon qui me chante la sérénade. Du coup je vais pour demander le plus aimablement du monde à la serveuse ce qu'elle fout encore là bordel y en a qui crèvent la dalle alors s'coue toi les miches, mais au moment de lever la tête... plus personne.

Mais pas le genre de tout à l'heure avec juste les gens qui disparaissent, non... là c'est tout, plus de décor de rêve et plus de bonne bouffe à l'horizon, y a plus qu'un genre de machin qui ressemble à un entrepôt, et qui n'a certainement rien à faire là.



A peine une demie seconde, pas le temps de comprendre que je suis de retour chez les riches, et j'dois bien avouer que je préfère ça. Putain je deviens dingue, faut vraiment que ça s'arrête... regard à gauche, regard à droite, et pas d'air ahuri comme le mien. D'accord, en plus y a que moi qui hallucine maintenant, de mieux en mieux. C'était quoi cet endroit...

J'ai une piste.

Non mais chapeau, sortir une connerie pareille dans un moment pareil, ça tient du grand art. Je vais passer pour un abruti fini sur un coin de table, et en plus ça n'a rien d'une piste, c'est rien qu'une image... faut commencer à prévoir un plan de sortie.

Guillaume ?
C'est mon frère.
On est jumeau tous les deux. Bon, il a une tête de plus que moi, de la barbe et les cheveux plus courts. Mais sinon on se ressemble. Ah, il est plus carré aussi. Heureusement d'ailleurs sinon il aurait de petits problèmes puisqu'il cherche assez souvent la bagarre.

Je ne sais pas où il est, d'habitude il rode toujours autours de moi. Qu'est ce qui m'embête le plus ? Son absence ou sa présence ? Ça non plus je sais pas trop.

On pourrait même en arriver à se demander si je sais quelque chose !

Et hop, je re-rigole comme une cruche. C'était pas pourtant spécialement marrant, mais bon, eyh ! J'vais exploser moi si je me détends pas !

Ca y est, elle est sortie, il l'a vue.
Elle saute sur la femme et griffe son voisin.


Il dégaine son arme et vise, mais voilà qu'elle le regarde. Cela ne dure qu'un instant, mais pour lui c'est une éternité. Il sent quelque chose, ou plutôt il le ressent. Comme un bouillonnement dans sa tête. Comme si d'un coup il avait ressenti toutes les émotions humaines, à l'exception de la peur.
Au final il est comme au réveil un lendemain de fête trop arrosée.
Sur son terminal, on voit une alternance de lignes vertes et noires. Le vert dit que l'implant présente des faiblesses et que la partie organique du cerveau est trop active, le noir dit que la situation est ok.
35 alertes en une secondes. Résultat: Pas une seule mesure prise et il n'a pas tiré.

La chose détourne son regard, mais pas lui. Il la voit sauter sur la gamine mais ne tire toujours pas, incapable de faire le moindre mouvement. La voilà maintenant qui part vers une autre pièce pendant que lui reste immobile, la fixant d'un regard vide.

Alors que son implant se bat pour garder le contrôle, il met sa main dans sa poche et en ressort une pièce qu'il lance en l'air.
"-Face je reste, pile je bouge. Et de toutes façons elle est truquée ça fera pile."

Il rengaine son arme et suit la chose vers les cuisines.

- Bonsoir. Avez-vous choisi votre menu ?

Charlie toussa discrètement. Toujours cette odeur insupportable.

- Euh, une salade, lâcha-t-elle finalement, du bout des lèvres.

La serveuse posa un cocktail apéritif devant elle, mais il n’était pas question qu’elle mette seulement les doigts sur le verre. Elle jeta un regard en coin à son voisin qui se faisait resservir comme si de rien. Pas bien aimable, le bonhomme. Lorsqu’il avait ouvert la bouche pour marmonner son prénom, sa voix avait grincé comme une lame de vieux parquet.

Charlie se cala un peu plus au fond de sa chaise. On s’ennuyait ferme. Dans son dos le tohu-bohu continuait. Elle tourna vaguement la tête vers le bruit, personne n’avait réussi à chasser ces fichus rats… Là, une table plus loin juste à sa gauche, un grand échalas roux avait sorti un calibre, et tenait en joue une gamine. Charlie mit une seconde ou deux à apercevoir l’immondice verdâtre. Ni une ni deux, elle sauta sur ses pieds, attrapa son sac et se recula prudemment, en se faisant toute petite, jusqu’à se coller à une des grandes colonnes derrière elle.

- Bordel, laissa-t-elle échapper à mi-voix, il est pas question que je reste ici une minute de plus.

Mais elle ne bougea pourtant pas de sa colonne, comme figée. S’enfuir à toutes jambes ? Et si l’autre fou se mettait à tirer dans tous les coins ? Finalement le rouquin rengaina son arme. La bestiole verte avait disparu. Elle respirait un peu mieux.

Les choses s'enchainent vite. Pas le temps de réagir, mister NOD change de place pour s'asseoir en face, en mettant un siège entre elle et la nouvelle arrivante. N'empêche elle pue de la gueule quand même.

Mais c'est pas possible elle a du se laver la bouche dans un bidet. J'ose pas imaginer son cul ou bien l'état de ses cabinets. Manquerait plus qu'elle s'appelle Marie-Odile.

Ah, visiblement c'est pas le cas. Elle s'appelle Charlie et oh miracle, elle arrive à sous tirer son nom à monsieur balai dans le cul. Mad... Il porte bien son nom celui là encore. Autour, il y a des cris, des tables renversées, sans parler de cette chose répugnante qui rampe et saute sur les gens, un qui dégaine son arme en plein milieu du restaurant.

Ces gens sont fous...

Elle parle à voix haute sans même s'en rendre compte, elle commence aussi à paniquer. Que fait-elle ici? Comment est-ce qu'elle est arrivée là? Sa plaisanterie sur l'expérience gouvernementale lui revient en mémoire. Et si c'était vrai en fin de compte? Ils auraient été drogués, tous, et emmenés ici. Dans cet hôtel sordide. Mais dans quelle but? Pourquoi?

Elle fusille Mad du regard. Il réagit à peine. Est-ce qu'il est là comme garde chiourme? Il est impliqué? Oui, c'est obligé, il n'y a pas d'autres explications. Sinon pourquoi se serait-il placé en face? De façon à voir toute la pièce, à pouvoir épier les mouvements de chacun, analyser tous les faits et gestes. C'est une évidence, il est impliqué. Donc, il connait sûrement la sortie. Elle prend discrètement son couteau dans la main et l'enroule dans la ceinture de sa robe. Être armée ne sera pas superflu.

Charlie se lève brusquement et va s'appuyer contre une colonne. Elle craque. Evey ne bouge pas d'un pouce. Elle ne s'occupe plus de ce qui peut bien se passer derrière son dos. Elle fixe Mad. Il agira bien à un moment ou à un autre et elle sera prête à réagir quand il le fera.

<Cuisine

Bon, c'était pas une grande réussite, les cuisines....
C'est une technologie qu'on a pas dans les égouts, ca, l'air qui vibre. C'est la même sensation que deux aimants qui se repoussent...
Je m'affale sur ma chaise, dépité, puis jette un regard à la gamine.
- T'a toujours faim toi ? Ben, débrouille toi, j'ai déjà donné....
Je vide mon verre, qui me rappelle l'eau croupie à la couleur et le champagne au goût, puis fixe le plafond intensément en signe de réflexion... Sans souvenirs, tout est plus difficile, finalement...
Mais que diable allais-je faire dans cette galère ?
La gamine, qui me regarde, toujours...
- J'ai... Euh... Rien pu ramener, c'est pas ma faute...
Non, mais c'est vrai quoi...
- Et cesse de me regarder comme ca !

La bestiole a sauté d'une table à l'autre en passant par dessus la mienne, et j'ai beau me dire que ce n'est pas réel, je n'ai pas pu m'empêcher de sursauter. C'est fatigant !

Je ne veux pas bouger. Je ne veux pas m'occuper de cette aberration, de ce qu'elle peut bien faire à ceux de la table d'à côté ni de savoir si quelqu'un fera quelque chose pour l'arrêter.
Pourtant, je ne l'ai pas quitté des yeux, jusqu'à ce qu'elle file vers la cuisine. Et je n'ai pas non plus lâché la fourchette. Elle est toujours là, bien serrée dans ma main, incrustée au cuir.

Je ne sais pas trop pourquoi, mais il faut que je me lève. Le doute peut-être. Et si c'était vrai ? Si je me trompais ?

Un coup d'œil à cet homme que je suivais, maintenant balafré. Est-il pour autant innocenté, d'avoir été attaqué par cette saloperie ? Est-il seulement réel, lui aussi ? Et qu'est-ce qu'il faisait dans ma chambre ? Mais est-ce que c'était bien ma chambre ? Est-ce qu'elle existe seulement, cette chambre ?

Trop de questions. Beaucoup trop. C'est pas normal. Je déraille ? Est-ce que j'ai bien pris mon traitement ? Je me souviens que oui, et ça ne fais pas très longtemps. Je vais en reprendre un quand même, dans le doute. Au pire je serais groguie ou un peu comateuse. De toute manière, je ne contrôle déjà pas la situation. Au mieux, ça arrêtera ces hallucinations carabinées. Ou encore, si ce n'est qu'un rêve... je ne sais pas. J'avale la pilule et je serais fixée.

Ça va déjà mieux, j'ai moins l'impression que la fourchette me rentre dans la main. Je la garde quand même parce que... parce que ! De toute façon, le temps que je trouve une raison...une raison à quoi déjà ? .... je ne sais plus... J'ai un mal fou à réfléchir... et il y a une espèce de décalage entre l'image et le mouvement.
Je devrait peut-être m'assoir... nan, si je suis debout, c'est que j'avais sans doute un truc à faire. Ah oui ! Lui.

Donc, je me lève... ah non, je suis déjà debout. Bah ça fait déjà ça de moins à faire. Donc, je me lève pas et je me dirige vers le suspect au grand manteau. Je pose d'abord une main sur ce manteau, enfin, son épaule. Je me sent plus stable comme ça.
Allez, fait voir ta gueule. C'est du vrai sang, ça ? Bouge pas. Tu permet que je m'appuie ?
Je me penche dans son dos, passe mon bras autour de son cou, le visage à hauteur de sa joue.
Dans ma main droite, la fourchette suit mon regard pour aller toucher la blessure... douuuucement, faudrait pas le viander, c'est pas le but... pas encore. Juste une petite touche avec le plat des dents pour voir que le rouge passe d'un objet à l'autre... je veux dire, de son visage à la fourchette. Sa tache quoi, comme du vrai. Ce qui veut dire... non, en fait je ne sais pas trop quoi en déduire et je ne sais même plus pourquoi je fais ça ? Ça va me revenir...

Trop c'est trop.

Ca va, ca va.

Jusqu'à tu maintenant t'es bien comporté Eric, je pourrais même peut-être te qualifier de gentil, mais depuis qu'on se connait, c'est pas la joie, et là j'ai atteint mon taux de saturation.
Trop c'est trop.
Je me casse.

Je me lève et je me casse, je prends la porte et je rentre chez moi. Pourquoi j'y ai pas pensé plus tôt ? Parce que c'est trop facile et trop simple sans doute. Mais je m'en fous.
JE. ME. CASSE !

Mais je garde la robe.

[direction, je ne sais pas encore où]

Combien de temps cela allait-il durer ? Allais-je pouvoir faire comme si de rien était encore longtemps, oublier, nier l'existence de tout ce qui n'est pas Justin et moi ?
Je me sentais un peu comme ces gens qui passent devant un homme que l'on frappe sans s'arrêter, tout ça parce qu'il prétend que ça ne le regarde pas, ou qu'il n'a pas le temps, ou que sais-je encore ?

J'observe attentivement mon compagnon, et vois qu'une de ces mains reste cachée sous la table. a-t-il pris l'arme en sortant de la chambre ? Je ne me souviens plus vraiment.

Vous avez raison je crois.
Et puis, notre savoir n'a pas forcément besoin d'avoir une utilité...

Il l'embarque par le bras, pas le temps de prendre son arme. En plus même si elle le voulait, c'est surtout pour se rassurer, elle serait bien incapable de s'en servir, mais bon, c'est à but dissuasif avant tout. Elle ne peut pas bouger, prisonnière de cette poigne de fer. Il se rapproche de Charlie, la pauvre, que va-t-il lui faire? Elle se voit déjà enfermée, attachée à une chaise de torture, livrée aux mains de scientifiques prêts à mener leurs petites expériences.

Sortir de la pièce? Mais pour aller où? C'est un piège, ça ne peut être que ça! Mais tout l'hôtel est un piège. Elle tire sur sa main prisonnière, tentant d'échapper à Mad de toutes ses forces, qui sont bien ridicules comparées comparées à celles du NOD.

Lâchez moi ! Tout de suite !

Et dites moi bordel qu'est ce qu'on fout ici !

Elle avait un peu haussé le ton pour se faire remarquer. Après tout, même avec le chaos ambiant, il y aurait bien quelqu'un pour réagir à cet enlèvement.

Mad, ou la fille ?
Le calme rassurant ou la crise de nerf ?

Charlie regardait tour à tour l’un et l’autre, interdite, les deux mains plaquées sur la colonne ; ses paumes adhéraient au marbre noir à force d’être moites. Lorsque Mad s’était approché d’elle, bien trop près pour un inconnu, en trainant de force la jolie blonde derrière lui, elle avait retenu sa respiration à s’en faire tourner la tête. Mais il n’avait rien fait d’autre que de lui intimer de se taire avec ce geste tout à fait incongru, et un regard qui n’admettait pas de réplique par-dessus le marché. Tout ce qui se passait autour, le flingue, la bestiole, ça n’avait pas l’air de l’affecter. Rocher dans la tempête.

Ça n’avait duré qu’une seconde et maintenant la demoiselle criait à la cantonade en essayant de se dégager de la poigne de fer, visiblement, du type au chapeau. Peine perdue. Charlie se mordit la lèvre inférieure sans s’en rendre compte. C’était le moment de choisir à qui faire confiance. Elle faillit bien s’en remettre complètement à Mad, dire qu’elle le suivait, pourvu qu’on sorte de l’hôtel et vite. Mais les paroles d’Evey insinuaient le doute, sous-entendaient que l’homme savait ce qui se tramait – et il se tramait bien quelque chose de louche, les monstres de films d’horreur, tout ces gens qui paniquaient pour un rien, et la façon dont elle avait atterrit dans cette chambre d’hôtel, sans papier ni fric, sans médicaments non plus, ça commençait à faire beaucoup.

- Vous comprenez quelque chose à cette … folie ?

A cet instant Charlie maudit sa voix qui tremblait un peu, les nerfs à fleur de peau, le regard flou sans doute. Elle aurait donné cher pour paraître plus sûre d’elle.

- Et lâchez-la, bon sang, vous allez lui faire mal.

Sursaut de solidarité féminine. C'était quand même une belle brute, et puis quelques têtes s'étaient tournées dans leur direction, dans la salle, maintenant que le monstre de foire avait disparu. Elle se serait bien passée de l'attention de la galerie, question sortie discrète, c'était loupé. Elle revint à Mad, en se demandant si il allait l'empoigner par sa main libre et les trainer toutes les deux hors du restaurant. C'était bien possible, en fait. Qu'il essaie seulement. Une petite lueur de défi s'alluma au fond de ses yeux.

Pourquoi faut-il que les gens n’enregistrent pas certaines choses… pourquoi Barbie ne comprend t’elle pas que crier ne sert à rien ni personne, que ça obstrue momentanément les tympans et diminue les réflexes par un processus simple, basique.
Un jour j’ai crié. L’instructeur m’a défoncé le larynx. C’est la seule réponse que j’ai obtenue à mon cri.
Comment lui expliquer, comment lui faire comprendre ce que je n’ai jamais compris. Pourtant, j’ai une réponse. Et je la refuse… Lui écraser le larynx serait salutaire, un peu de silence dans ce monde de brutes. Je refuse… ce geste appris, un mime dicté par un bourreau. L’apprentissage du maitre au chien. Cette fois, je le refuse.

Sa main se tord dans la mienne, elle tourne, tire, et cherche l’issue de secours, sa porte de sortie, mais elle est trop petite, trop faible et moi, trop… stupide. Un animal en cage fait de chair et de sang.
Tourne et tire… des mots qui se courent après dans ma cervelle, qui s’inversent et se chevauchent sans que j’en comprenne la volonté. Je ne lui veux aucun mal.

Je lâche… la main est libre, son larynx est intact. Deux fautes qui feraient hontes aux instructeurs.
J’entends les voix, les cris, leurs voix… les claquements de talon qui résonnent sur le sol glacé, les bâtons qui raclent sur le mur comme une longue écorchure, une coupure dans la chair du mur. J’entends et… ça fait mal. Je cligne des yeux avec ce mouvement de tête, léger, discret, comme un sursaut vers la droite, la gauche, je sais plus… je sais plus. Ma vue se brouille un instant, le temps d’étouffer ce souvenir, cette trace en lignes de sang dans la chair qui forme des cicatrices indélébiles, les hiéroglyphes de mon histoire.

Je reprends mes esprits, ravalant le passé comme on ravale un crachat. Ma main est restée en suspend le temps de… Il n’y a aucun sang sur elle, aucune trace des coups assenés, elle est propre et sans rature.
J’inspire, soulagé et… coupable d’avoir failli.

Elle me parle, elle aussi, Charlie. Un parasitage inutile, pourtant je l’écoute. Je peux distinguer les vibrations dans sa voix, celles qui racontent qu’elle a peur. Tout au fond d’elle, il doit y avoir un oisillon apeuré. Au fond, on a tous un oisillon apeuré qui survie quelque part en nous. Mon volatile est mort, raid comme un pain sec, d’avoir trop tremblé et mouillé son pantalon.
Je pose ma main sur son poignet, les doigts sur le dos de cette main qui croit trouver dans un pilier l’appui qu’il lui faut. Je lui en propose un autre estampillé « NOD ».
Un choix qui lui appartient.
J’incline le visage, très peu, juste assez pour qu’elle y perçoive une insistance... complice.

Je n’ai pas de réponse, je n’ai que des questions, mais je sais qu’ici on ne trouvera rien.
Trop de monde…

Venez…

Je l’ai dit doucement.

(Direction au gré de ces dames... )

Alors toi aussi t’es méchant…

Elle soupire en regardant Ymir
Et pleure
Un peu
Quelques sanglots
Quelques hoquets
Elle disparaît, le temps d’un clignement d’yeux
Comme si on avait gommé la pellicule d’un film
Plus aucune trace d’Angrybaby
Sa chaise est vide.

Il lâche sa main, ferme les yeux le temps d'un instant, pour se calmer, reprendre son souffle? Pourquoi a-t-il lâché sa main? Sans violence, sans brusquerie, il a juste lâcher, sans même combattre, relâché tous ses muscles. Elle est libre. Libre d'aller où elle veut, libre de s'éloigner de lui, libre de se sauver. Mais pour aller où? Faire quoi? Elle ne sait même pas où elle est. Elle reste immobile, sans voix. Elle s'est calmé d'un coup net, comme si son angoisse, son hystérie étaient liées à cet main autour de son poignet.

Elle observe la salle rapidement. Un vrai capharnaüm. Et au milieu de tout ça il y a Mad, calme, posé, déterminé. Il dit ne rien savoir non plus, mais aussi que les réponses ne sont pas ici. Que faire? Le croire? Le suivre? Se méfier? Il l'a laché. Il n'avait aucunes raisons de le faire, aucunes raisons. Alors elle s'excuse de son comportement.

Pardon...

Rien ne la retient nulle part. Elle est perdue, ne sait plus que penser. Elle glisse lentement au sol, accroupie, recroquevillée, le front posé sur les genoux, les mains derrière la tête et oscille légèrement d'avant en arrière

[destination choisie au hasard depuis la chambre 214 ]

Je fuis dans les couloirs, dévale les escaliers et ohoh ! c'est quoi ça ? Merde ! des gens approchent, je les entends approcher au bout du couloir. Il me faut une planque, vite ! vite ! vite !

Les voilà !
Woua ! quelles tenues ! Ça existe encore ce genre de robe ?
Heureusement que j'ai eu le temps de me cacher derrière cet énorme pot de fleur.
Un deux trois soleil, je ne bouge plus d'un cil jusqu'à ce qu'ils m'aient tourné le dos et s'éloignent.

Maintenant, je vais longer les murs aussi discrète qu'une petite souris. Bonjours la galère ! J'ai la super pression, à écouter le moindre bruit, guettée aux coins des murs, prête à partir en courant ou sauter derrière le premier truc que je trouve pour me cacher.
Si encore j'étais seulement nue. Mais non seulement je suis nue, mais en plus je suis anatomiquement illicite. Et oui, dans ce monde, c'est interdit d'être membrée de la sorte. Alors faut pas se balader comme ça, le bras à l'air, c'est pire qu'indécent.

Pas fière, je longe un mur jusqu'à l'entrée de ce qui semble être une cantine, à en croire les bruits de vaisselle.
Très prudemment, je pose, la mimine gauche sur le bord de la porte, l'autre mimine gauche, puis je passe la tête.
La salle est pleine de gens très agités. Je croyais l'ambiance des resto plus sereines.
Oulà ! Quelqu'un approche. Deux bourgeoises et un homme avec un chapeau. Il y en a une qui se baisse, elle a l'air un peu malade... mais j'ai intérêt à décamper avant qu'ils ne franchissent la porte derrière laquelle je cache mes miches !
Je détalle vers une autre pièce, en espérant qu'ils ne m'ont pas vu.

Un reproche de la gamine comme un murmure, puis...
Sa silhouette s'est dissoute...
Je cligne des yeux, l'air idiot, et me lève pour chercher la gamine des yeux à travers la salle. Comment...? Je tourne sur moi mêmes trois ou quatre fois, puis me rend à l'évidence : elle n'est plus là.
Bon, ne pas chercher à comprendre ! Juste prendre les faits comme ils viennent. J'ai pas envie de finir le citron en agrume à réfléchir sur des choses qui me dépassent...
J'ai plus envie d'être ici, je veux retourner chez moi, où les gens ne disparaissent pas, où le silence reposant règne et où je peux peindre tranquillement...
Et je déteste être dans la foule comme je le suis en ce moment !
ET COMMENT SUIS-JE ARRIVé ICI, MERDE !
Je recommence à trembler, je suis sur une montagne russe émotionnelle...
Trop de chose d'un coup, le stress et la fatigue me rattrapent, puis mes nerfs lâchent. Je plonge ma tête entre mes bras, puis pleure silencieusement.
Oui, je sais, les mecs ne pleurent pas... Mais y'a des fois où faut mieux renier sa virilité à la con et vider les vannes...