Où était-il ?
Il regarda autour de lui. Des tas, des tas et des tas... d'ordures. De déchets. D'immondices. À perte de vue. Tout et n'importe quoi: du métal, du plastique, des déchets organiques... Et une odeur, ou plutôt un mélange d'odeurs. Âcre et prégnant, écœurant et... entêtant ?
Soudain, un mouvement furtif, aperçu du coin de l'œil. En un bond, il fut sur la chose. Un rat, gros comme un caniche. Un geste vif de la main, et le rongeur vola dans les airs. Avant même qu'il ait touché le sol, deux autres coups le firent repartir à cinq mètres du sol. D'un bond puissant, le chasseur se hissa à hauteur de sa proie - toujours vivante -, et l'acheva en plantant ses crocs dans sa nuque.
Retombant sans peine sur ses pieds, il commença à dévorer le rat, en ronronnant...

Des crocs ? Ronronner ? Qui était-il ?
Sans cesser de manger le rat, il regarda ses mains. Des coussinets au bout de chaque doigt et sur les contours de chaque paume. Même chose pour les pieds. En guise d'ongles, des griffes. Rétractiles, à ce qu'il put constater.
Son regard fut attiré par quelque chose de brillant. Il ramassa l'objet et y vit un visage. Encadré par une crinière noire, qui s'étendait en boucles lourdes jusqu'à couvrir le cou et la naissance des épaules, un visage pâle – presque blanc –, au menton carré lui faisait face. Un visage humain, à quelques détails près. Des yeux dorés aux pupilles ophidiennes le fixaient, tandis que des vibrisses situées entre son nez et sa lèvre supérieure frémissaient au rythme du concert d'odeurs qui l'entourait. Instinctivement, il sut que c'était son visage.
Pour autant, il ne parvenait pas à se souvenir qui il était. Des bribes seulement lui revenaient. De la lumière, des cris, et de la souffrance.

Une bourrasque de vent le fit frissonner, lui faisant prendre conscience de sa situation: il était à moitié nu. Pour tout vêtement, il n'avait qu'un pantalon déchiré au-dessus du genou. En le palpant, il sentit quelque chose dans la poche gauche; il y plongea la main, impatient et avide de saisir ce qui s'y trouvait. Les griffes sortirent, et lacérèrent la poche. Un objet en tomba: une sorte d'éprouvette avec une étiquette. Quelque chose y était inscrit.
- Felisque, lut-il en murmurant.
Le son de sa propre voix le surprit. Certes il était amnésique, mais il savait toujours parler, et lire. Il sourit, lorsqu'un picotement dans la nuque le mit en alerte...

Des voix, derrière lui. Des voix qui se rapprochaient. Il se dissimula derrière un frigo, se ramassant sur ses jambes, prêt à bondir. Il vit deux bipèdes arriver: il se fit la réflexion qu'ils lui ressemblaient tout en étant différents de lui. Déjà, ils avaient moins de poils autour de la tête, et pas de canines. Leurs corps étaient couverts de choses étranges, un peu comme ce qu'il avait lui sur ses jambes. Leurs yeux, surtout, étaient différents. Semblables et dissemblables, tout à la fois. Pour autant, ils n'avaient pas l'air dangereux. Felisque sortit de sa cachette, souriant.

Les deux hommes furent surpris par l'apparition. Ils s'étaient introduits dans la décharge pour essayer de trouver des pièces d'épave à revendre au marché noir, et voilà qu'ils tombaient sur...
- Qu'est-ce que c'était que ce monstre ? s'exclama l'un.
- J'en sais rien. Mais il nous montre les crocs, et j'aime pas ça, répondit l'autre qui dégaina aussitôt une arme de poing bricolée, et tira.

Il ressentit de la douleur. De l'objet que le bipède tenait en main, il avait distinctement vu partir deux petites pointes attachées chacune à un fil. Elles s'étaient fichées dans son torse, et maintenant il avait mal. Une douleur qui se propageait dans tout son corps. Des bribes lui traversaient l'esprit: il voyait un autre bipède se battre avec d'autres bipèdes. Puis des hommes en blouse, et le même bipède dans une tube transparent, avec des fils, des perfusions et... plus rien. Son instinct lui dit que ça avait été lui, ce bipède. Il voulait en savoir plus, mais la douleur était désormais trop forte; il se sentait défaillir.
Avec un rugissement de colère, il saisit les fils qui reliaient les pointes à l'objet d'où elles provenaient, et tira dessus. Il arracha les pointes de son torse, et la douleur s'arrêta. Il regarda les deux bipèdes qui lui faisaient face, en grondant, canines et griffes sorties.

- Mais qu'est-ce que c'est que ce monstre ? La décharge assommerait un homme d'un quintal...
- Je sais pas, je sais pas et j'veux pas savoir. Va falloir plus radical.
L'homme sortit un révolver, et tira sur Felisque.

Un autre objet. Encore. Une flamme en jaillit, ainsi qu'un autre projectile. Instinctivement, il se jeta de côté. La douleur dans son bras droit fut atroce. Au moment où le projectile le touchait, il le sentit s'enfonçait dans sa chair, en vrillant; une sensation horrible se propagea le long de son échine.
Déjà il retombait sur ses pieds, et se retournait en direction du bipède, en feulant. Celui-ci s'apprêtait à nouveau à utiliser l'objet. Sans attendre, Felisque se jeta d'un bond derrière un tas d'ordures, avant de se mettre à courir. Loin de ces objets qui font mal. Loin de ces bipèdes. Il pouvait les entendre parler.
- Il faut le tuer. En chasse.
- T'es pas fou ? Tout ce qu'on va gagner, c'est d'attirer les gardes. On est pas venu là pour ça.

Combien de temps avait-il couru ? Il ne savait pas. Il s'était arrêté, à bout de forces. Il avait perdu du sang, mais l'hémorragie semblait s'être arrêtée. Il réussit à attraper un autre rat; quelques forces lui revinrent. En fouillant autour de lui, il trouva un manteau. Sale, puant, mais encore en assez bon état pour le protéger du froid. Rassemblant ses forces, il se remit en route. Du bruit attira son attention. Il parvint devant un grillage, au-delà duquel il aperçut des lumières, du bruit, et plein de bipèdes. Prudent, méfiant, mais décidé, il sauta par-dessus le grillage. Moins d'une heure plus tard, il errait dans les rues de Novlangue.