On ne savait pas où ni quand, mais on savait que ça allait arriver.
J'ai entendu la détonation à quelques pâtés de maison, j'ai appelé du renfort et une ambulance avant de me rendre sur les lieux.
Ça venait de Papouille-Land, pays des Valkyries, refuge des poètes en manques et point de rencontre de toutes ces petites tarlouses qui n'ont rien de mieux à foutre que d'aller vider leurs portes-feuilles tout en bavant et en couinant pour avoir un susucre. Et c'est nous qu'on appelle des chiens !

Il y a du dégât.
Des bouts de verre partout, le mobilier détruis et les gens avec. Ça râle et ça agonise dans les coins. Ça git dans des marres de sang au milieu. En voilà un qui a réussi à se retrouver avec un pied de chaise dans le ventre.
Évidement, les auteurs de ce merdier se sont déjà fait la malle.

Bon, qu'est-ce qu'ils foutent les autres ?
En attendant, je fais un tour d'horizon et m'en vais m'installer près du bar, ou plutôt ce qu'il en reste.
Il y a quelqu'un qui chouine dans un coin, le bras tendu vers moi en suppliant pour que je l'aide, mais c'est pas mon bouleau. J'ai l'air d'une infirmière ? Je sais bien que tu as mal. Je pourrais y remédier très rapidement, mais c'est interdit d'achever les civils.

Je regarde ma montre. Ça fait combien de temps que j'ai appelé ?
La journée a été longue et calme jusqu'à cet attentat. J'observe une a une les victimes encore en vie, des fois que j'y trouve un insurgé qui aurait été trop blessé pour s'enfuir. On peut toujours espérer...

J'ai le souffle coupé en arrivant devant le trou béant qui remplace la porte du Bagdad. Pourtant, je ne me souviens pas avoir couru pour venir jusqu'ici. Le temps s'est suspendu entre l'explosion est mon arrivée. Quelle que soit la distance qui sépare l'Opéra de ce trou, je ne souviens pas l'avoir parcouru. Je pouvais regarder tout autour de moi, je ne voyais qu'un tableau, œuvre obscure sans âme, vide de tout esthétisme. Des corps mutilés se mélangeaient aux débris, liés par un ciment fait de sang et de poussière.

Et maintenant, je ne l'imagine plus. Il est exactement comme je l'imaginais. Mais là, devant moi, je n'ai pas une nature morte. Le tableau prend vie grâce à des survivants qui signalent leur présence. On dirait une crèche. Grandeur nature. Apocalyptique. Je suis tiraillée par ce que je vois. Que faire? Ma voix tremble.

Je ne sais pas...

Je regarde à droite, à gauche, mes yeux se perdent dans tous les coins du décor macabre, comme pour suppléer mes jambes et mes bras inertes.

Je ne sais pas...

Est ce que j'aime? Ou est ce que je déteste? Je ne suis pas fan de ce style, pourtant il présente une certaine harmonie et originalité. Ce qui me gène, c'est ce style "vivant". Je prendrai juste une photo, pas de film. Quand le flash illumine le brouillant de poussière qui flotte encore, j'aperçois une silhouette près du bar. Inutile de me demander si elle m'a vue. Même un aveugle repèrerait cet éclat de lumière que j'ai envoyer fendre l'obscurité. Et me voilà, moi, rose blanche sur un champ de ruine, faisant face à un inconnu, dans un quartier que je n'apprécie guère. Je passe ma main dans mes cheveux, pour vérifier que frange et masque sont bien en place.

Je lui demanderai bien de prendre un clicher. Surtout que ma tenue blanche ressortirait à merveille sur ce fond. Mais selon la nature de mon inconnu, cela pourrait choquer, ou éveiller des soupçons. Du coup j'avance, évitant les obstacles, tendant parfois une main vers les gémissements.

Excusez-moi... Les secours sont prévenus?

Je dois rester la plus naturelle possible.

Un flash. Cette personne vient de prendre une photo ?
Elle n'était pas là il y a une minute quand j'ai fais le tour des ruines.

-Qui êtes-vous ?
Qu'est que vous venez faire ici ?
Vous venez d'où comme ça ?

C'est louche.
Mon flingue à porté de main, je lui tire une balle si jamais elle essaie de s'enfuir sans répondre.
Pourquoi cette photo ? Ça pourrait être un insurgé revenu sur les lieux du crime pour avoir un petit souvenir de son œuvre. Ça expliquerait le masque, pour ne pas être reconnu ou pour cacher quelques mutations peu discrètes.
Quoique pour ce qui est de la discrétion, le blanc c'est pas l'idéal non plus. Trop chic pour être un de ses rats. A moins qu'elle ne l'ai volé, sa tenue immaculée ce qui me semble quand même peu probable, surtout vu son attitude. J'aurais bien aimé mais je ne me fais pas trop d'illusion. Pourquoi un rebelle viendrait prendre le risque de me parler dans un tel accoutrement ? A moins d'être fou ou suicidaire...

Elle me demande si les secours ont été prévenus. Qu'est-ce que ça peut bien lui foutre ? Je lui dirais quand elle se sera présentée. En attendant, c'est un suspect... et ça m'occupe.

Ces questions déchirent l'air avec presque la même violence que les détonations. Ma première réaction aurait été de répondre comme une de ses machines sensées prédire l'aventure, en disant juste le principal, d'une voix monocorde. Je la contiens, je me retiens, je ne dois pas réagir comme dans un interrogatoire, je pourrais avoir l'air suspecte. Je lui aurai bien volontiers retourner ses questions aussi. Surtout la première. D'où elle vient et pourquoi elle est là, je m'en fiche royalement. ça, je le saurai bien assez tôt. Et vu qu'elle n'a pas la tête de quelqu'un qui discute arts, je n'y trouverais pas d'intérêt.

En parlant de sa tête, pourquoi est elle masquée de la sorte? Peut être une secouriste qui se protège, pour ne pas respirer l'air saturé de particules, poussière qui semble refuse de se poser sur les décombres et les corps en charpie.

Réponds Santy, inutile de l'énerver.



Je me présente, Santy Chimérik. Avez vous entendu parlé de moi?

Cette question est de trop. D'autant que je ne veux pas de réponse. Pas de réponse négative, je serai vexée. Et pas de réponse positive, car selon ce qu'elle a entendu, selon qui elle est, ça pourrait devenir tendu. Enchainons.

Je viens de l'Opéra. J'ai entendu l'explosion, comme si j'y étais, alors je suis venue voir. J'aurai peut être du me changer avant...

Tu en dis trop Santy. Comme si tu y étais, alors que la détonation devait à peine être audible à cette distance. Mais je l'ai vraiment ressentie pourtant... Et ce ton bourgeois qui fait partie de mon personnage, pourquoi ne peut il pas rester dans ma suite avec mes instruments? Il n'est plus mon allié au dehors, à part quand je vais rencontrer ceux de la haute.

Santy Chymerik... est-ce que je n'ai pas déjà entendu ce nom quelque part ?
Elle vient de l'Opera, cet endroit tout propre tout chic comme sa tenue. Peut-être qu'elle travaille là-bas. Une pute de luxe, ou une VIP du lupanar. La valkyrie pour laquelle la haute société dépense des sommes folles rien que pour avoir le droit de regarder son masque avec une puce désactivée.
Je me demande comment ça se passe pour ceux qui n'ont pas de puce. Les gros automates qui doivent passer leur temps à se tirer sur la nouille en comptant leur bel argent. Qu'est-ce qu'ils peuvent bien avoir de plus en allant dans ces lieux de plaisir... urg ! en faites je ne préfère pas l'imaginer. Rien qu'à l'idée du gros lard en transe tout dégoulinant de sueur et de bave j'ai peur de retapisser l'intérieur de mon masque avec mon derniers repas. Les gens sont sales.

-Vous y travaillez, à l'Opera ? en tant que valkyrie ?

J'aime pas trop les valkyries, ni les mentalistes. Et même des fois je me méfies de mes collègues aussi. Pas envie qu'on aille me fouiller le disque dur, ça le Centre s'en ai déjà très bien chargé à sa manière. D'ailleurs, le disque est raillée. Qu'est-ce qu'il ne faut jamais oublier ? ... non ! ce n'est pas le moment d'y penser. La présence de cette espèce d'excentrique m'agace déjà bien assez. Je ne sais pas pourquoi, mais quand je regarde son masque, ça me tire la gueule. J'aime pas trop ça, quand ça tire. J'ai bien envie de lui fendre en deux son crâne de blonde que ça repeigne en rouge sa face de plâtre.
Bon sa suffit ! J'arrête de la regarder comme ça, ça m'énerve.

-Les secours devraient bientôt arriver.
C'est quoi cette photo que vous avez prise ?

Je peux regarder ? Si ça se trouve je suis dessus... de quoi j'ai l'air ? D'une NOD sans doute, c'est ce que je suis. Et puis on s'en fout. Tant que je fais ce que j'ai à faire comme il faut...
Putain ! mais ils en mettent du temps à arriver, les renforts !

Vous êtes bien curieuse mademoiselle. Entre vos paroles qui ne sont que questions et sous entendu, et votre regard qui voudrait percer au delà du masque et jusqu'au plus profond de mes entrailles. Je dédaigne votre attitude. Qui êtes vous pour prendre ce ton lorsque vous prononcer le nom de ma profession? Vous vous pensez peut être meilleure.

Je suis Valkyrie, c'est exact. Je loge au Palace.

Tu as compris ma grande? Je loge au palace. Je ne suis pas de la barbaque des bas quartier.

Pour ce qui est de l'Opéra, je n'y travaille pas. J'y vais simplement pour... le plaisir.

Le ton, la respiration, tout y est. Pour qu'elle n'entende qu'un mot de ma phrase. Plaisir. Il va raisonner dans ses oreilles, encore et encore. Si c'est une automate ou une mentaliste, elle esquissera un petit sourire, parce qu'elle saura de quoi je parle. Si elle est orthodoxe, un frisson va lui parcourir l'échine, la faisant trembler comme une feuille que je n'aurai qu'à ramasser. Mais si elle est NOD...

Si elle est NOD, sa pupille devrait se dilater. Elle va se transformer en chient renifleur qui a senti quelques grammes de dope dans les environs. Je prends des risques consciemment, car si elle est armée, si elle est en manque de quota, elle pourra me faire exploser le crane. Sans aucun témoin, situation idéale pour elle. Elle pourra même soutenir que j'étais déjà morte quand elle est arrivée.

Dans tous les cas, sa réaction me dira qui elle est. Et ensuite peut être lui parlerai je de la photo.

Elle confirme bien ce que je pensais. Une valkyrie bourrée de fric. Mais tu pourrais vivre au Palace ou dans un poulailler ça change que dalle. Je fais ce que j'ai à faire, le reste je m'en tape. Pas la peine de me raconter ta vie de poule de luxe, je te picorerais pas dans la main pour autant. Je préfère jouet à la baballe, celle que je verrais très bien logée entre les deux petits trous qui te permettent de voir tout en restant cachée.
D'ailleurs, pourquoi ce masque ? Qu'est-ce que tu peux bien avoir à cacher ? Ton chirurgien à loupé le dernier lifting ou c'est juste pour te donner un genre ?
Une simple petit pression sur la gâchette et tu ferais parti du décor comme les autres cadavres et le mobilier cassé. Mais ce serait mal.

Puis elle me parle de plaisir. J'ai l'oreille qui siffle. Elle me cherche là ?! C'est mal ! C'est très mal. Vilaine. Tu me nargues ? Parce que c'est une chose dont tu peux jouir et vendre en toute légalité et si je fais bien mon travail, je n'ai pas à te le faire payer.
Ça me tire la gueule. Méchante. Mais je ferais comme il faut. C'est à dire rien. Ne pas réagir à cette futile provocation. Je ne bougerais pas d'un cheveux.

... je n'ai pas besoin de bouger pour me venger.
C'est mal. Je ne devrais pas. Gaspiller mon énergie pour de telles bêtises, franchement... mais ça lui fera les pieds !
Je vise juste au dessus du mollet, en arrière de l'os pour chopper le sciatique et les branches voisines. On va prendre assez large, on a le temps. J'ai comme l'impression que les secours ne sont pas pressés. J'ai tout le calme et le temps nécessaire pour lui liquéfier sa jolie gambette dans sa godasse dernier cri. Tu te sent pas un peu faible déjà ? Les doigts de pieds qui s'engourdissent et le sol qui t'appelle à rejoindre le sang et la poussière. Zut alors, tu va tacher ta jolie tenue quand ta jambe ne te portera plus. Il n'y en a plus pour très longtemps.

Il faut que je l'occupe. Je veux la voir tomber devant moi. On va continuer la causette.
Vite, un truc à dire.

-Le plaisir... je touche pas à ces choses là. Ça me dit rien.

Je veux pas de ta dope. Je veux même pas que tu m'en parles. J'ai pas été programmée pour ça. Cette partie est effacée, amorphe, inutile, comme bientôt le sera une partie de ton corps. Sauf que toi tu te souviendras avoir bougé et tu récupèreras ta mobilité dès que j'aurais lâché ma prise ou quand j'aurais quitté la pièce. Les souvenirs eux ne se relèvent pas.

Qu'est-ce qu'il ne faut jamais oublier ?

Les insurgés sont étranges. A la fois accueillants, comme une grande famille, et à la fois sur la défensive. Un contraste qui rend les approches difficiles, surtout quand c'est la première fois. En quittant le marché, j'ai quand même pu joindre un groupe de personnes aux âges et aux allures très différentes, mais qui semblaient tous fêter la même chose. A peine arrivé à leur hauteur qu'ils me faisaient m'assoir et partager "un p'tit coup", selon le plus vieux d'entre eux.
J'ai ainsi appris qu'un attentat avait été couronné de succès au quartier des valkyries, que "ces salopards réfléchiront à deux fois avant de vouloir se toucher la nouille", et que le coin grouillerait sûrement de NOD maintenant.

Ce n'étaient pas les seuls à célébrer l'évènement, un peu partout où je me suis promené, des gens se félicitaient et le p'tit coup était de rigueur. Les nouvelles vont vite par ici, tout m'a l'air immense pourtant.
Plus que tout, cette effervescence a encore amplifié ma curiosité, le besoin de voir de mes propres yeux s'imposait comme une évidence. Alors j'ai demandé, encore et encore, par où je pouvais sortir et aller au Bagdad Café. On m'a fait de gros yeux, on m'a traité de fou, on m'a simplement ignoré... et finalement, un a bien voulu me répondre. Que même de nuit, ce serait dangereux de s'aventurer sur une scène d'attentat. Très dangereux, surtout pour une première escapade à la surface.
Il a accepté de m'accompagner, mais pas dehors. Alors on a marché, une dizaine de minutes (j'ai une montre, cadeau d'un vieillard à qui j'ai raconté mon histoire), et puis on s'est arrêtés au bas d'une échelle.

- Voila, tu y es... ça donne sur la cave d'un immeuble. Pense à tout remettre comme il faut, ce serait con que tu nous fasses repérer. Y a pas plus près du quartier des valkyries, c'est à trois rues à peine. Quand tu sortiras, prends la ruelle sur ta gauche et tu tomberas dessus, ça longe le café. Et fais gaffe, avec le bruit que ça a fait doit pas y avoir beaucoup de monde qui dort encore, et encore moins les NOD. Bonne chance.

Il m'a adressé un signe de tête, et il est parti en trottinant. Ne restait plus que moi et mon trop plein d'excitation. Enfin, j'allais voir à quoi ça ressemble. Une grande inspiration plus tard, je montais l'échelle avec les jambes flageolantes.

Trop de peur pour faire attention au décor. Je m'arrête à peine une seconde pour respirer. L'air est pur ici, ça fait du bien, je me sens libre. Mais je ne le suis pas, il suffit de lever la tête pour s'en apercevoir. Un peu partout des fenêtres sont éclairées, autant de signes de danger. Il suffirait d'une tête un peu curieuse, d'un regard vers moi pour que ce soit fini. Heureusement il fait sombre, et mes habits me dissimulent très bien.

C'est donc ça le quartier des valkyries... là où les moutons viennent chercher un peu d'herbe, où ils peuvent "vivre" presque normalement. Et c'est là que vivent les seules personnes cultivées, ceux et celles dont j'ai besoin pour assouvir ma curiosité. Les valkyries. Peut-être que j'en verrais une, peut-être même pourrais-je lui parler, juste quelques mots, et peut-être qu'elle ne me dénoncera pas.
En tout cas, j'y suis... des bouts de verres partout au sol, vestiges d'une fenêtre, et les restants de poussière qui flottent paisiblement dans l'air. Agenouillé, je m'avance. Normalement, je suis sur le côté du bâtiment, et je m'étonne même du calme alentour. Seule une voix me parvient, de l'intérieur, alors je me redresse juste assez pour que mes yeux passent au dessus du cadre.
Deux femmes face à face, et autour d'elles... une horreur. Comment ont-ils pu se réjouir de ça? Des gravats s'échappent parfois un pied noirci, une main ou la chair a pris la fuite, et des râles agonisants. Le spectacle est irréel.

La femme assise au bar répond à celle debout près de ce qui devait être l'entrée. C'est sur elle que je m'arrête... elle est masquée, mais ses habits, sa silhouette... je crois savoir qui elle est. Ou ce qu'elle est, plutôt. Mon coeur s'accélère, emportant mon souffle avec lui, mais je m'efforce de rester discret. Je veux seulement rester spectateur pour le moment.

Elle est forte, très forte. J’ai à peine perçu un petit étirement au coin de son œil, tout en haut de la pommette. Synonyme de pincement de lèvres. C’est mon travail, ma fonction de lire les émotions des gens. Si je ne décrypte pas très rapidement leur ressenti, je ne peux améliorer ma prestation, et ma réputation en pâtirait. Elle a donc eu une réaction. Mais difficile de dire laquelle. Est-ce un sourire qu’elle a retenu, ou un cri qu’elle a ravalé ? Impossible à dire.

Et elle continue à me fixer. A me dévisager. A me démasquer. Essayes-tu de voir sous le masque ? Est-ce là ton pouvoir mental ? Je retiens un pas de recul. Je n’ai rien à craindre, elle ne trouvera rien d’intéressant pour elle. Elle saurait simplement à quoi ressemble mes traits, mon teint pale. Non, rien d’intéressant pour toi ma grande. J’essaie d’attirer son attention sur les corps mutilés, ou même sur une autre partie de mon corps, mais rien n’y fait. Quoi que… On dirait que son regard se baisse.

Bien…
Tu baisses les yeux, c’est bien. Montre moi du respect, et peut être que tu auras une ristourne à ton premier passage dans ma suite.

Cette impression de domination ne dure guère que quelques secondes. Car elle brise le silence d’une phrase. Réponse à mon affront de tout à l’heure. Préparait-elle ses mots depuis tout ce temps ? C’est possible. Car ils claquent dans l’air comme un fouet de cuir tout près de mon visage. Comme une alerte au deuxième, qui ne s’arrête pas avant de m’avoir atteint le mollet. La douleur est immense.

Dans un cri de souffrance, je tombe genoux au sol. Mes deux mains sont venues se plaquer sur le mollet meurtri. Il est dur comme de la pierre, et transmet des décharges électriques à tout le reste de ma jambe. Chaque secousse est accompagnée d’un cri que je ne peux retenir.

C’est toi qui me fais ça ?

J’ai réussi à lui hurler ma douleur en pleine figure.

Dénonce-toi, espèce de chienne !

Qui que tu sois, je te ferai pendre sur la place publique. J’ai des relations haut placé ma grande. Je t’arracherai la peau avec mes ongles !

Mes ongles. Pour l’instant, ils se sont enfoncés dans mon muscle. Les doigts courbés comme des serres, ils commencent à tirer, comme pour arracher ce morceau de moi qui n’est que souffrance. Au dernier moment, j’arrive à les détacher avant que le pire n’arrive. L’une de mes mains attrape une pierre, et la lance dans sa direction. Geste de désespoir dans la souffrance.

Ça fait mal ? Mince alors. J'ai trop pris mon temps. Attend un peu que je m'applique et tu ne sentiras plus rien, juste un membre mort, flasque et insensible comme un chiffon.

Elle qui semblait si arrogante il y a une minute, la voilà à genou devant la chienne. Oui, les chevilles qui enflent ça peut faire mal, surtout quand on les dégonfle.
Je la regarde serrer sa jambe molle comme un vieux pneu crevé. La blanche colombe trainant dans la poussière au milieu des charognes.
Encore bien hargneuse pour une charogne. Elle hurle et me lance un caillou que je n'esquive même pas tellement le geste est ridicule.

Ça me tire la gueule. C'est mal.
Les lèvres qui s'étirent, les dents qui se découvrent... heureusement elle n'en verra rien avec le cuir qui les masque.
D'ailleurs je n'ai rien fait. Elle peut toujours m'accuser, elle n'a pas de preuve. Je n'ai pas bougé. Même pas pour esquiver la pierre. Je suis très sage.

-Vous vous êtes blessée ?
C'est dangereux ici. Il y a des bouts de verre partout. Et peut-être que les rebelles ont répandu un gaz toxique... Vous ne devriez pas vous époumoner comme ça.
Mais ne vous en faites pas, l'ambulance va bientôt arriver.

Il ne fallait pas venir ici petite dinde. Les ruines d'un attentat ne sont pas un terrain de jeu et les NOD ne sont pas des toutous à taquiner. Il parait que c'est dangereux ces bêtes là.

Un gaz toxique… Tu ne m’enlèveras pas de l’idée que tu es ce qu’il y a de plus toxique dans les environs. Tu parles, et la douleur s’arrête. Comme par hasard. Et de nouveau, tes yeux se plissent. Tu as raison, souris, ris de ma posture. Tu devras pourtant savoir qu’une Valkyrie n’a que peu de fierté. J’ai une notoriété, une réputation, mais cela fait bien longtemps que la fierté m’a quitté. Je n’ai plus mal, je vais pouvoir me relever, et nous allons pouvoir nous amuser. Une bagarre de filles, à l’ancienne, ça te branche ? Griffure et touffe de cheveux qui vole, masque qui tombe et tout le tralala. Viens, approche…

Sans la quitter des yeux, j’essaie de me relever. J’ai peur de prendre appui sur ma jambe, peur que la douleur ne revienne. Mais à la place, je ne sens rien. Absolument rien. Vision et sensation contraire. Je regarde mon mollet, je le vois, pourtant je ressens un grand vide, comme si on m’avait amputée. Je dois prendre le risque. Je m’appuie sur cette jambe qui me fait défaut. Et comme je l’appréhendais, elle lâche à nouveau.

Cette fois, je n’ai qu’un genou et une main à terre. Mais cette fois, mon masque s’est détaché. Il n’est pas tombé complètement. Il laisse apparaître mon front et yeux, cachant encore toute la partie inférieure de mon visage. De quoi satisfaire un peu sa curiosité, ou l’attiser un peu plus.

Que m’est il passé par la tête ? Pourquoi ai-je sorti mon appareil photo ? Me voilà en train de lui tendre maintenant…

Si tu veux bien… Je suis certaine que je suis ce qui manquait à ce décor pour que le tout soit parfait.

Comme tu dois me haïr en ce moment. Bien sûr, tu n'es pas dupe et tu vas certainement m'en vouloir.
Je devrais peut-être t'éliminer pour être tranquille. Je pourrais ramasser ce pied de table cassé et te le planter dans la face.
Non, restons en là. Tu vas attendre sagement par terre que les secours arrivent. J'ai assez fait de bêtises comme ça. Je vais juste te regarder galérer avec ta jambe, tes habits tachés et... ton masque qui commence à se faire la malle. Je vais peut-être voir ce que tu caches...

Mais pourquoi elle me tend son appareil ? Tu es par terre, infirme, je pourrais t'éclater le crâne s'il m'en prenait l'envie et tu penses encore à la photo ? Espèce de folle ! Blondasse décérébrée. Une autre provocation peut-être ? Pourtant je n'en ai pas l'impression...

Elle parle du décors, de sa perfection... qu'est-ce qu'elle raconte ?
Oui, c'est un parfait carnage, un tableau de souffrance et pourtant juste un désordre de plus dans ce monde chaotique. De la poussière, du sang et elle tout en blanc à genou au milieu de la scène. Tu aurais pu rester dans le confort douillé de tes appartements au lieu de venir t'enliser dans un bourbier qui ne te regarde pas.

J'hésite, puis je prend l'appareil. Je n'ai pas à faire ça.
C'est la curiosité peut-être qui me pousse à regarder dans la lentille. J'y vois les choses comme dans un cadre, une petite parcelle du merdier qui nous entoure. Un bout de désordre qui tient dans un carré. Et tu y seras, dans ce carré, bien rangée au milieu sans dépasser des bords.

Le flash part et j'enlève mon œil de derrière l'objectif. La salle me parait plus grande. Il faudrait beaucoup de photo pour l'avoir entièrement sur la pellicule.

Je lui rend son appareil et tandis que je me redresse, quelque chose m'arrête. Je vois une partie de son visage et son regard dont je ne comprend pas vraiment l'expression. Je pourrais tirer sur le masque pour voir le reste, mais au lieu de ça, je me baisse et le remet en place refaisant soigneusement le nœud. Voilà, bien mis comme il faut. Garder caché ce qui doit être caché... Tu as peut-être tes raisons comme j'ai les miennes.

Si tu savais comme je te hais. Chienne. Vipère. Hyène !

Pourtant, elle répond à ma demande. En une fois, elle immortalise la scène. Et j’en oublie tout le reste. J’espère que la photo sera nette. Je la développerai en noir et blanc, très grand format. Puis à la peinture, je viendrai souligner les traces qui auraient été rouge s’il y avait eu de la couleur. Je suis certaine qu’elle sera magnifique.
L’Etat a peut être raison. Le plaisir et la passion sont des dangers. Je ne l’ai même pas senti s’approcher, alors que mon regard était fixé sur elle. Elle m’a rendu l’appareil, et maintenant sa main s’approche de mon masque.

Fais toi plaisir, assouvis ta curiosité. Mais tu seras déçue.

Erreur. Elle le remet en place et resserre les liens. Venant d’elle, j’aurais trouvé normal qu’elle serre jusqu’à m’en arracher les cheveux. Deuxième erreur. Décidément, ma nouvelle amie est pleine de surprise. J’esquisse un sourire pour accompagner cette pensée. A portée de main, je vois un morceau de bois qui me permettrait de remplacer ma jambe défaillante. Mais en le ramenant vers moi…

Aidez-moi !

Un cri étouffé vient de m’attraper le poignet. Sorti de nulle part, une main me saisit. Difficile de dire si la main et le cri appartiennent à la même personne. Et si c’est le cas, est ce un homme ? Une femme ? Un enfant ? Ma réaction est la même.

Lâche-moi putain !

Ma béquille vient heurter sans douceur la chair brulée du survivant avant de m’aider à me redresser.

Encore un pouilleux ou une pute de trottoir. Ces gens m’écœurent.

Santy… Tu t’es laissé dépassée. Ta nature profonde est ressortie. Mais après tout, dans ces conditions, peut-on vraiment savoir si les gens sont naturels ?
A nouveau à la verticale, calée sur mon morceau de bois, j'époussète mon pantalon.

Et maintenant, que fait on?

Je ferais mieux de rentrer. On s'enfonce dans la nuit, il y aura beaucoup de monde dans peu de temps. Ou pire, personne ne viendra. Dans tous les cas, j'ai ce que je suis venue chercher, je peux rentrer. Je dois rentrer. Il est l'heure. Santy, tu dois rentrer. Ou ton carrosse va se changer en citrouille.

Elle est hargneuse pour une marchande de plaisir. Ce geste sec avec lequel elle repousse cet espèce de mélange entre une merguez et un lépreux m'est bien plus familier que son attitude bourgeoise de tout à l'heure, quand elle m'a dit ce mot... plaisir.

Putain ! avec ces conneries de photo j'en avais oublié pourquoi je l'avais foutue à genou. C'est pas sérieux tout ça.
Mais je dois avouer qu'elle m'énerve moins maintenant. Ça tire moins la gueule. Même quand je la regarde se relever à l'aide d'un bâton.
Elle enlève la crasse de son pantalon en frottant avec ses mains.
Il reste une tache là. Elle l'a vu ? J'aurais bien envie de frotter un peu pour l'enlever, mais faut pas pousser quand même ! C'est qu'une valkyrie. C'est sale et j'ai pas à faire ça. Et c'est un peu ridicule de loucher sur une tache avec tout le bordel qu'il y a autour.
Mais cette tache, là, sur son pantalon blanc, c'est comme si elle était toute seule au milieu d'un cadre.
Bon ça suffit ! Arrête de regarder son pantalon, qu'est-ce que t'en as à cirer ? T'es une NOD, pas une blanchisseuse. Occupe toi de tes chemises ! qui elles sont impeccables. C'est pas parce qu'on fait un sale bouleau qu'on doit être sale également. Bref

Comment ça "et maintenant, que fait-on" ? Déjà que t'as rien à faire là... T'as une béquille, tu tiens debout alors rentre chez toi. Débarrasse moi le plancher avant d'avoir des ennuis.
Je pourrais lui libérer sa jambe pour qu'elle parte plus vite. Mais...

-ces photos... pourquoi ?
C'est pour quoi faire ?

Elle ne me l'a toujours pas dit et ça m'intrigue. Je voudrais bien voir ce que donnera la pellicule une fois développée. C'est idiot, ça ne m'apporterait rien, juste une perte de temps, mais... ça m'intéresse. Je sais pas pourquoi. C'est qu'une photo.
De la curiosité. Juste de la curiosité. C'est pas bien méchant. Alors pourquoi... je me sent fautive.
Qu'est-ce que j'ai oublié ?

C’est étonnant comme tout à coup, elle semble plus détendue. Il ne s’est rien passé pourtant. Je me suis simplement relevée. Mais son regard, lui, est resté bas, fixé à mi hauteur de ma jambe.
C’est ça que tu aimes ? C’est ça ton trip ? Mater des taches sur un pantalon blanc ? Ou alors, tu aimes les genoux. Dans les deux cas, ce n’est ni pire ni mieux que ce que je côtoie tous les jours. Les fantasmes de certains sont étonnants, d’autres dégoutants, et quelques uns risibles. Mon client idéal : le fétichiste. Il est facile à maitriser. Il suffit de lui promettre de sentir une chaussure, de regarder un grain de beauté ou de toucher un pied pour en faire de braves toutous. Est-elle de ceux là ? Je ne me tenterai pas à soulever une jambe de mon pantalon pour lui montrer une cheville, un mollet ou un genou.

Je vais répondre à sa question. Car je peux en tirer profit. Je ne pas à quel point, mais cela me sera bénéfique, j’en suis sure.

Tu connais le Pouli ? Le Poulitzer. Le prix Poulitzer.

Si elle ne connaît pas, je saurai que c’est une NOD. Parce qu’un mentaliste aurait eu accès à des archives, des informations, des revues où on en parle. Alors qu’une NOD passerait à coté de ça sans même savoir qu’elle pourrait le regretter.

C’est de l’art.

Notion obscène pour une NOD. Je dois rattraper ça.

Du journalisme au cœur de l’action. Montrer l’horreur, la situation à chaud. C’est pour cela que je n’aide pas ces gens. Et que je t’ai demandé si les secours allaient arriver.

Avec cette courte intervention, je devrais m’en sortir. La photo et mon attitude sont clairement expliquées.

D’ailleurs…

Sans prendre le temps de viser, sans même passer l’œil dans le viseur, je la flashe.

On pourra voir qui de nous deux est la meilleure photographe. Ou le meilleur modèle…

Sourire aux lèvres qu'elle ne peut pas voir, je la fixe. Ça te fait quoi ma grande ? Comment te sens-tu ? Emoustillée ? En colère ? Exprime-toi. Ensuite je partirai, je rentrerai chez moi.

Plaisir, Poulitzer, Art... elle a fini de dire des grossièretés ?!
Si elle voyait la grimace que je tire sous mon masque...

Non, finalement ça ne m'intéresse pas.
Tais toi ! je ne veux pas en savoir plus sur ces conneries !
Et pourtant je l'écoute. Je ne suis pas sûre de bien capter l'intérêt de la chose. Il s'agit de montrer, c'est ça ? Parce que sans ça les gens ne la voit pas, l'horreur ? Peut-être pas... pas au travers des yeux de ceux qui la côtoient au quotidien. On n'a sans doute pas la même notion de ce qu'est l'horreur ou l'insupportable.
Et pourquoi le faire savoir ? Chacun sa merde ! Du moment qu'on fait ce qu'on a à faire...

J'ai eu ma réponse, c'est bon, je ne te retiens plus. Allez, dégage ! Et me regarde pas, ça m'énerve. Vas-t'en ! ya rien à voir par ici.

Je m'apprêtais à lever la paralysie, qu'elle puisse se barrer tout de suite mais voilà un autre flash, celui-là en plein dans ma face.

Un instant je reste figée comme le sera l'image.
Elle viens de me tirer le portrait... de m'inclure à son loisir... capturée sur la pellicule avec les autres horreurs... une de plus pour sa collection ? Je vais être montrée ?
L'espace d'un instant, je me sent... nue... comme si quelqu'un avait tiré le rideau de douche pendant mon bain. Je devrais la broyer et répandre ses tripes pour ça ! Je vais te battre à mort, poufiasse !!
En un rien de temps, je dégaine mon flingue. Presque aussi rapidement qu'elle m'a flashé, le coup part... dans le mur.
Je l'ai manqué. Pourtant elle n'était qu'à quelques mètres tout au plus.

Le silence après le coup de feu. Une balle perdue et ma main qui tremble tenant l'arme au bout de mon bras tendu.
Je la range vite fait. J'aurais pas du.
J'aurais pas du lui poser la question pour la photo. Qu'est-ce que j'en ai à foutre ? J'aurais pas du m'amuser avec sa jambe. J'aurais pas du perdre mon sang froid et tirer une balle ou je n'aurais pas du la manquer. Et je ne devrais pas trembler. Et je ne devrais pas... non, je ne dois pas. Pas ça.

Ça tire. Mon visage et mes côtes. Des petites secousses dans l'abdomen, la gorge qui serre.
Ça commence. Je le retiens mais ça me sort par les narines. Je pouffe.

Allez, du calme, ça va passer, respire. Respire doucement.

J'ai lâché ma prise sur sa jambe sans m'en rendre compte, sans doute quand la balle est partie. Elle va bientôt la sentir à nouveau et pourra se barrer vite fait. Allez casse-toi !

Je crois que j'ai récupéré l'usage de ma jambe. Pourtant, impossible de bouger. Je reste là, droite comme un I, aussi fixe que mon regard perdu dans ses prunelles. Je croyais m'attendre à tout. Erreur. Je n'étais pas préparée à un coup de feu en ma direction. Je n'envisageais pas un éclair sortir d'autre chose que de mon appareil. Et pourtant. La détonation me résonne encore dans les oreilles. Quand elle s'affaiblit, c'est pour laisser place à un bourdonnement. Insupportable. Une main plaquée contre cette oreille douloureuse, comme pour empêcher ce son strident d'entrer et sortir sans cesse comme il s'amuse à le faire, je lutte pour ne pas retomber à terre.

Pourquoi?

Je ne lui poserai pas la question. Je ne lui ferai pas ce plaisir. Pourtant, je voudrais savoir. Et je ne peux résister.

Pour quelle raison as tu tiré? Réfléchis bien, parce que si tu n'as pas de raison, c'est que tu as tiré juste... pour le plaisir.

Je vais t'arracher la chair de l'intérieur sale chienne. Comme on arrache l'implant d'un mouton à la pince, sans anesthésie.
Et si tu ne souffres pas, je te rendrais folle à lier. Même si j'ai bien l'impression qu'elle l'est déjà, quand j'entends entre deux sifflements ce rire qu'elle tente d'étouffer entre ses lèvres, puis sous son masque.
Alors il est là pour ça, ton joli masque. Pour camoufler ton rire de charognarde?

Elle rit peut être parce qu'elle se réjouie de voir ce sang couler, celui que je sens sur ma joue, perlant à travers mon masque éventré.
Tu m'as raté. Peut être que si j'étais de dos, tu viseras mieux?
Je me retourne et me dirige vers la porte. Je n'ai plus rien à faire ici. Je n'attends rien d'elle. Je n'ai pas de raison de rester. Pourtant, je dois lutter contre cette curiosité qui voudrait tout savoir d'elle pour quitter les lieux.

Pourquoi j'ai tiré ? C'est vrai ça.
En plus je l'ai manqué. J'aurais vraiment voulu la tuer, elle aurait déjà son pruneau dans le masque.
Juste pour lui faire mal alors. Mais non. Pourquoi "non", je sais pas. Je vois son sang couler sur le côté, ça fait une belle trainée bien comme il faut. Ça tranche bien sur le blanc, je ne vois que ça. Et pourtant, je ne voulais pas.
Si.
Je lui en voulais à mort. Je voulais la broyer, en faire de la charpie, lui crever les yeux pour qu'elle arrête de me fixer.
Mais au dernier moment, juste avant que le coup soit parti, j'ai dévié.

Pourquoi j'ai dévié ? Pourquoi j'ai tiré ? Qu'est-ce que j'ai voulu ?
Qu'elle parte.

Oui, c'est ça, je veux qu'elle parte ! Elle et ses conneries. Le plaisir. J'en veux pas de sa merde ! Je ne sais pas ce que ça fait et je ne veux pas le savoir.
J'ai pas tiré par plaisir !! Je sais pas ce que c'est. J'ai que de la haine. Je suis énervée. Et je n'arrive plus à m'empêcher de rire.
J'aime pas rire ! Ça fait mal. Je respire pas bien. Ça me monte à la tête, ça me remue le bide, me tord les côtes et ça fourmille dans les doigts. Je voudrais taper sur quelque chose pour que ça s'arrête mais je sais pas sur quoi. Je ne sais plus rien. Pourquoi ? Mais Pourquoi ?! J'ai tout fais comme il faut. Qu'est-ce que j'ai oublié ?

Ça fait du bruit. C'est ma voix ça ? Non, c'est pas moi ! Ça sort de ma gorge, mais c'est pas à moi. Ce rire imbécile qui n'a rien à faire là ! Et ça m'énerve.
Et plus je m'énerve plus ça me tire la gueule.

Un calmant. Il me faut un calmant ou je vais faire un carnage !
Je fouille dans ma poche et en sort le tube que je garde toujours sur moi. Un petit comprimé et ça ira mieux. Ça assomme mais au moins ça calme. Encore faut-il que j'arrive à l'avaler sans m'étouffer.
J'attends qu'elle s'éloigne, sinon ça me déconcentre. Je suis tellement crispée que j'arriverais pas à gober se foutu cacheton !

J'espère que le coup de feu l'aura rendu à moitié sourde, qu'elle ne m'entendent pas et qu'elle ne se retourne pas. Ne me pose plus de question ! Casse-toi !!

J'ai pas fait ça pour le plaisir ! C'est pas vrai ! C'est n'importe quoi ! Et puis c'est pas drôle. Alors pourquoi je ris ? Ça aussi c'est n'importe quoi ! Ça ne se fait pas.

Maudite euphorie qui me tire la tronche !
J'en ai marre.
Un comprimé dans une main, le tube dans l'autre, j'essaie de respirer à peu près normalement pour avoir une chance d'avaler ce que j'ai dans la première.
La blonde à la langue de vipère a presque franchis ce qu'il reste de la porte. Je vais y arriver...
Pourquoi j'ai l'impression qu'elle emporte quelque chose d'important avec elle ? C'est qu'une photo. Qu'est-ce que j'oublie encore ?

Et voilà que quelqu'un me choppe le poignet.
Putain c'est qui ça ? J'ai failli lui en coller une ! Si j'avais pas les mains prises et ces espèces de secousses qui me tordent les tripes... Lache moi vite ou tu l'auras ta baffe avec la main fermée (pour pas faire tomber le comprimé ) ! C'est pas le moment de m'emmerder !

"J'en ai besoin." ? De quoi il... ah. Il a repéré le tube de cacheton. Je lui tend celui que j'ai dans l'autre main en essayant de pas le faire tomber.
Je commence à avoir la tête qui tourne et j'ai mal aux zygomatiques. Putain ! Ça fait pas sérieux.

Remarque, lui non plus il fait pas sérieux. C'est quoi cette dégaine ? Et ce chapeau... un automate ? une autre Valkyrie ? Et il pouvait pas rester agoniser dans les coins avec les autres ?! Allez, prend le ce comprimé et va mourir !
En plus il va croire que je me fout de sa tronche. Mais après tout, qu'est-ce que j'en ai à carrer ?

Mais hé ! Comment il sait que c'est ce dont il a besoin et pas des mentos ou des pastilles pour la gorge ?
Qu'est-ce que j'ai oublié ?
Le rire, ça rend pas les idées claires.

C'est dans des moments comme ça que je me dit qu'ils auraient mieux fait de m'implanter. Quoique je n'ai aucun plaisir à rire.
...
Comment savoir ? si ça se trouve... non. Ce n'est pas par plaisir ! Sinon je le saurai. Non ?

Et bin c'est ça, te gène pas ! Prend donc le tube tant que t'y es !
Ma main se contracte dans le vide pendant qu'il se sert, avec une terrible envie de lui serrer mes doigts autour de sa gorge.

Il a de la poigne. La main qui me tient le poignet ne doit pas être celle d'une Valkyrie, ni d'un bureaucrate. D'ailleurs, en le dévisageant je me rend compte aussi qu'il n'en a pas la tête. Je connais ce genre de tronche. C'est celle que je devrais avoir si je ne ricanais pas comme une cinglée.
Un NOD. Et merde !
Au moins, le fait de m'en rendre compte semble avoir stoppé la crise. Mais un peu tard. A moins d'être sourd, il m'aura entendu rire. Ça craint. Comment j'ai pu être aussi bête ? Entre les bêtises avec la valkyrie et le collègue qui me surprend en train de me fendre la poire, décidément ce soir j'en rate pas une.

Le tube est revenu à sa place dans ma main et maintenant il va chercher le comprimé que j'ai dans l'autre. Ça ne lui a pas suffit ou quoi ?!
Non. Qu'est-ce qu'il fait ? Non ! Touche pas à ça ! N'approche pas tes gros doigts de mon masque ! Si tu touches à ça je te jure que...
Il a passé ses doigts en dessous. Il a osé et j'ai senti tous mes muscles se raidir. J'ai arrêté de respiré et ai hésité à lui bouffer un doigts quand j'ai senti quelque chose s'approcher de mes lèvres.

C'est juste un comprimé. On va pas s'énerver pour si peu. En plus, massacrer un collègue c'est pas un bon plan. Alors je fais ce qu'il dit, j'avale. Et si je pouvais arrêter de trembler aussi... il doit le sentir comme il me tient et ça ne me rend pas plus alaise. Et en plus il me fait la morale. Mais je ferais comme s'il n'en était rien. Vas-y, serre plus fort. Peut-être que quand le sang ne pourra plus circuler ça se calmera.

Pendant ce temps, je répond à sa question, comme il faut, d'un ton qui se veut le plus neutre possible :

-Santy Chimérik.
C'est une valkyrie.

Oui, une valkyrie. Mais vas pas t'imaginer que c'est elle qui m'a mise dans cet état. Même si... mais c'était pas par plaisir ! Je suis pas sa cliente et je la hais. Il n'y a pas lieu d'en douter. Tu me crois hein ? Peu importe. J'évite quand même de croiser son regard, des fois qu'il y trouve une trace de culpabilité. J'ai rien fait ! Que mon travail tout bien comme il faut comme on m'a appris... presque.

J'écoute son rire sournois sans me retourner. Pourtant, ce n'est pas l'envie qui me manque. L'envie de comprendre, l'envie la comprendre. Mais surtout, l'envie de la faire taire. En l'écoutant, j'ai entendu le nouveau venu, tout droit descendu des décombres. Il ne peut que venir d'en haut, du tas de gravas qui obstrue la cage d'escalier. Car s'il était arrivé de dehors, je l'aurai vu. J'aurais pu savoir à quoi il ressemble, lui qui "en a besoin".

Besoin de quoi? Besoin ou envie? Il faut que j'arrête de réfléchir, je ne suis pas en poste en ce moment, je n'ai pas à raisonner comme une Valkyrie.

J'entends les quelques mots qu'ils échangent. Ils appartiennent certainement à la même classe. Je le sens à la façon de parler du type. Un NOD, encore. Il faut croire que c'est le boulot à la mode. Ces bêtes là fleurissent comme du chien-dent. Puis, elle prononce mon nom. Elle ne m'appelle pas, elle répond juste à sa question. Quel dommage...

J'ai failli frener le pas, pour me retourner, et pour aller me présenter comme il se doit. Mais à quoi bon? Un NOD n'est pas un bon client. Des envies souvent tordues, pour au final n'avouer aucun plaisir. Et surtout, sans jamais régler ses dettes. Je continue donc mon chemin. Encore un pas, et je serai sortie de cet enfer. Pour rejoindre mon coin de paradis.

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