J’aime… l’air du temps, l’oisiveté, la déchéance puisque je suis une machine imparfaite. Je parfais l’inabouti à outrance. Vilain petit canard, c’est ainsi qu’on me désigne parfois, par certains qui n’ont d’autre vocation que d’assister un système dont je suis le fruit, l’objet sus tendu pour le plaisir, rien que pour le plaisir. Je vis et je vais dans l’intention permanente de voler le fruit défendu et de m’en gaver à pléthore, toujours. Mais discrètement. C’est vital. Je suis imparfait, mais pas stupide. Je pense, j’agis en fonction, sur mes gardes quand c’est nécessaire, au garde à vous par voie de conséquence. Au fond, je suis un acteur. L’acteur d’un théâtre imbécile qui m’a engendré.

Là, par exemple. Je suis assis sur un banc à ne rien faire, coulé dans la foule bien pensante. J’ai l’air impeccable des crétins qui prient ou qui accèdent à un degré de méditation hors norme. En réalité, je suis naze… mort… la tête dans le cul et en pleines varices éthyliques. On peut le dire, je cuve sévère. Je me remets discrètement d’une nuit agitée faite d’abus des plaisirs, tous, à foison, gavé jusque dans la moindre de mes cellules génétiquement modifiés. Et j’ai un putain de mal de crane. Mais qui le sait ? Qui s’en apercevrait dans un système où l’on a cloisonné chaque individu ?
Je suis, de toute évidence, à la botte d’un système qui est dans l’incapacité de maitriser les vilains rejetons de sa toute puissance.

Je me sens un peu seul dans ce monde trop bien rangé.

J’observe mes frères, confrères, appelez-les comme vous voulez. Ils sont dans la perfection d’eux-mêmes, leurs convictions parfaitement en quinconces, ils prient ou méditent, je ne sais quoi, je ne sais qui, ça m’est bien égal.
Savent-ils qu’on a fait exploser le Bagdad ? Surement pas, ils prient, lisent ou admirent l’œuvre des autres en quoi ils voient la magnificence.
Quel ennui.

Ah… que fait-elle… Jolie Mentaliste au corps de rêve… Pile, elle remâche son Pater du matin, face, elle a le gobelet intellectuel à raz bord, en pleine crise de folie sensuelle, l’entrecuisse en feu et la libido raide droite repiquée sur le taquet.
Je m’ennuie au point de faire jouer les acteurs de mon théâtre imaginaire. Imaginez tout ce beau monde saisit de cette folie et se vautrer dans la luxure, tous, les uns dans les autres, orgie devant le temple.
Ça pourrait jaser.

J’écouterais bien du Mozart.

Elle me regarde.. bingo, je veux connaître ce qui se cache derrière le masque de froideur, l’instrument du déplaisir caniche ouaf-ouaf.
Je me redresse, escalade de bancs en bancs pour terminer mon ascension assis à coté d’elle.
Si elle sursaute ? Je n’ai pas fait attention. Mais au premier coup d’œil, c’est pas le genre. Au deuxième non plus.
Pas un sourire ?
Rien ?

La Mentaliste parfaite. Le pion génuflexié à souhait. Dommage, elle est si bien faite.
Le profil remarquable. Charmant petit nez. J’en devine les courbes si bien encastrées dans ses vêtements. Parfaite, elle est le parfait outil pour faire régner nos lois.

Lis-tu dans mes pensées… Non.
Elle m’aurait giflé ou mis à terre, genoux sur la gorge ou dans les parties.
Une combattante…

Hmm… hm !
Je ne vous connais pas ?
Nous pratiquons les mêmes Arts et nous ne nous connaissons pas, serait-ce une lacune ?

Il fait beau n’est-ce pas ? Oui, il fait beau, une journée pour une promenade… de réflexion ?

Charmante…

Vous aimez Mozart ?

ça passe ou... ça casse.

" Mozart n'est pas le bienvenu en ces lieux. "

Touché. Droit dans le cœur, mea culpa, j’avais oublié que la grande musique était interdite.
Honte à moi.

Elle me regarde comme si j’avais violé la loi. Merde, je l’ai fait. M’enfin, c’est pas comme si j’avais violer une petite gosse. Mozart…
Le regard qui refroidirait un mort. J’y ai droit.
C’est un honneur.
Mourir pour Mozart, c’est une noble cause. Encore faut-il avoir envie de crever.

Oh-Oh, elle est partie comme si elle venait de s’enfiler un wagon d’exta.
Ah… la revoilà ! Toute fraiche et aussi froide qu’un bain de siège.


" J'ai comme l'impression que vous n'avez pas suivi tous vos modules jeune homme ...
L'école buissonnière à l'air d'être votre passe temps favori. "

A l’hérésie ! L’école buissonnière est interdite. L’école buissonnière est un plaisir, le plaisir est interdit !

Je me penche sur son épaule, exactement de la même manière qu’elle vient de le faire, et amusé, je lui glisse à l’oreille : « vous aussi »
Je me redresse avec un sourire lumineux, et je lui balance un clin d’œil complice. Complice…

Promis, ce sera notre petit secret !

Et maintenant, si on allait prendre une glace et faire comme si on n’était pas des sous-produits ?
Apres tout, on est complice maintenant…

J’oubliais. Le code, la loi, les règles, les interdits et le tout bien mesuré, pesé, partitionné et appris entre ces murs qui constituent le Temple.
C’est vrai, je l’avoue sans difficulté, je suis un cancre ! Ou bien, j’ai trop passé en revue chaque page du livre que je garde soigneusement planqué au lieu de m’évertuer à entendre notre enseignement.

Peu importe, on est bien différent elle et moi. On devrait se raconter des histoires d’amour, des histoires de rêves à deux, parler du soleil en riant, et du vent qui respire sur la peau, un battement de cil, un sourire, un regard, le désir… Non, la réalité est tout autre, un piège à rêve.

Je refuse…
Et je me tais.

J’accepte l’inacceptable, vivre enfermé jusqu’à ce que…

En attendant, je n’ai que ma désinvolture pour arme contre un système qui m’a bâclé, selon ses propres règles. Une arme invisible que je brandis la nuit entre les cuisses des Valkyries.

J’accepte de te voir ainsi, toi, le bras droit de Lucifer, le sergent apôtre des armées du meurtre intellectuel. Mais, je refuse de te ressembler. Jamais.

En attendant, je vais te suivre comme un bon chien, et si tu veux, je tirerais la langue en bavant, toujours pour faire comme ces toutous imbéciles.

C’est vrai, l’air est pur, il faut en profiter.
Mais pas trop. Ce serait profaner.

Allons-y.

Je la suis comme un petit mouton frappé à l’échine.

La réalité est cruelle, je déteste devoir m’y conformer. Mon moule était pourtant pourvu du must en matière de perfection, le cracha génétique du savoir eugéniste. En voici le résultat, moi. Imparfait et dans l’impossibilité de rester à ma place.
Aussi cruelle que ses mots à elle, un rappel comme une injonction au garde à vous, fesses rentrées, torse bombé. Amen et cetera.

Chopin ?
Grand dieu, vous blasphémez ma chère !
Chut… j’entends le pas des NOD… à plat ventre ! Là, derrière les buissons ! On prend le maquis ou on attend la revue des troupes ?

N’est-ce pas un peu triste, Chopin ?

L’espoir au tournant… Je ne serais donc pas la seule imperfection parmi les miens ? Je sourie à l’idée des cachoteries que nous pourrions partager, et nous rirons de nous jouer des autres.

Je jubile devant elle, devant son regard, devant sa façon si hautaine d’entrevoir la vie, les épaules parfaitement alignées sur l’ensemble. Ensemble, sommes toutes agréablement harmonieux. Surtout à regarder. Le sait-elle… Sait-elle, qu’elle est désirable… séduisante malgré ses airs et son cul serré dans sa jupe standard.

Cent questions qui se bousculent déjà.
Quelle est sa couleur préférée ? La mélodie qu’elle chantonne sous la douche ? Son plat préféré ? Aime-t-elle les tagliatelles ? Est-elle encore vierge ?

Etes-vous imparfaite ?

Oh si, elle est parfaite. Parfaite dans son tailleur parfaitement ajusté.
Sa façon de tenir sa cigarette, sa chevelure, son allure. Cet air de mépriser tout ce qui est différent. Rangé, aligné, empilé, c’est un sacerdoce qui lui colle au talon comme la merde au cul du chien.

Finalement, ça m’amuse.
Elle cache un petit quelque chose derrière des montagnes de paraître à la perfection, dans la direction qu’on nous a appris à connaître et à reconnaître. Sauf que son bas blesse là où j’aimerai le voir filer. Elle aime Chopin, et elle chasse l’interdit. Cocasse. Lumineux !
J’aime cette contradiction et son tailleur, ses hanches et ses talons, ses mollets qui séparent les deux à merveille. Et sa façon d’allumer sa cigarette, digne et secrète, une maladresse quelque part enfouie au fond d’elle. Surement dans un coin de sa cervelle qu’elle a su protéger de ce monde de merde.

Ça m’amuserait aussi de la voir perdre ses moyens, de voir un sourire naitre de cette erreur qu’elle commettra. Peut-être… si j’y mets du mien…
Mais, elle est tellement ancrée dans les préceptes inquisiteurs…

Je m'évertue à l'éradiquer de monde voyez vous.
Tout comme vous devriez le faire également.

A cette phrase empêtrée dans des mots que je ne comprends pas, impossible de m’y soumettre, impossible de jouer ce rôle de chien de nazis. Impossible…

Oui Chef !

Impossible… de garder mon sérieux.
Impossible de ne pas entrer dans ce rôle qu’elle me tend à tour de bras.
Alors… oui, je prends la pause. Au risque qu’on nous voit, qu’on me voit singer ceux qui nous entourent.
Je prends cette pause ridicule des soldats de tous les âges, ces assassins mandatés, conscience tranquille, qui défilent et se mettent au garde à vous.

Oui Chef !
Chef…

Et je sourie.
Béatement
Moqueur
Imparfait
Taquin
Ou parfait dans la peau d’un Marceau
Mime sensuel
Du crime contre l’humanité
Il en faut si peu
On est si peu de chose.

Je penche la tête en la regardant
Et puis… sourie
Juste pour elle.

Quelle bourrique.
Têtue et butée
Espèce de petite sotte.

Rien à perdre, rien
Tu ne me laisses pas d’autre choix.

J’ai pris sa main sans qu’elle me dise oui.

Ne dis rien, je vais te montrer.

Et je l’ai conduit…
A l’Opéra, dans la maison des Valkyries.


(Suite : ICI !)