Je me suis réveillée au bar de cette putain de fête et j'ai trainée ma gueule de bois jusqu'à un coin de verdure.

J'ai du m'arrête en urgence pour tirer mon masque et vomir entre un banc et une poubelle.
Je me sent super mal. J'ai une migraine atroce, mal partout et une espèce de chuchotement permanent et incompréhensible qui m'irrite les oreilles.

Putain, qu'est-ce que j'ai foutue la veille ? Je me souviens pas... pas de tout en tout cas.
J'avais une mission, il fallait que je ramène ce Lester. Je l'avais retrouvé, mais après... c'est pas clair.
Et qu'est-ce que je fout avec les menottes au poignet ? C'est quoi ce truc collant ? Je cherche la clé dans ma veste. Je tombe sur mon tube de cacheton. L'idée même de l'ouvrir me fout la gerbe. C'est pourtant qu'un tube avec des médocs dedans, mais j'en ai tellement marre de bouffer des saloperies...
Je trouve la clé dans l'autre poche, me libère et fout les menottes dans la poubelles. Elles sont trop crades et je ne peux plus les voir. J'ai envie de me barrer loin de cet endroit. Si j'étais plus en forme, c'est ce que je ferais, mais là, chaque geste me semble pénible. Je fatiguée. Besoin de m'assoir.

Je vais poser mes fesses là, sur le banc et prendre un peu l'air avant de me rentrer chez moi.
Il faudra aussi que j'aille voir mes supérieurs. J'imagine que j'ai raté ma mission, vu où je me retrouve et dans quel état.

Putain, qu'est-ce que j'ai foutu ?

Clignements d'yeux, frottements.
Réveil lent sous les rayons du soleil.
Sous les dômes de verre qui abritent le jardin luxueux, il règne une douce chaleur.
Toutefois, ce n'est pas "dehors". C'est ce qui a permis à Lena de dormir ici, mais elle regrette l'absence d'une brise de vent, des odeurs si caractéristiques de la nature. Ici, comme partout ailleurs, on y respire un air artificiel, chauffé, filtré et recyclé. Lena se demande même si les arbres aussi sont artificiels. Quelle étrange impression elle a dans cet endroit... Le jardin est beau, mais trop parfait, trop plastifié, ce n'est pas ça la nature. Les hommes sont bêtes de préférer une telle mascarade à l'authenticité du dehors.

Un peu mieux réveillée à présent, elle se lève.
Fait quelques pas.
Gargouillements de son ventre vide.
Elle sait que ce n'est pas ici qu'elle pourra ramasser des fruits pour se nourrir.
Où mange-t-on ici alors?

En tout cas, ce n'est pas ici.
Sortir.
Par où?
Là bas?
Ah, quelqu'un.
Une femme.
Mal en point.
Que faire?

Lena hésite. Elle n'est pas douée pour prendre des décisions, mais une fois qu'elle est décidée, rien ne l'arrête. Là, elle ne sait pas. Elle pourrait lui demander, à cette femme, où est-ce que les gens de la ville trouvent à manger. Elle pourrait aussi rentrer dès maintenant chez elle, d'autant plus qu'elle a passé la nuit dehors. Sara doit s'inquiéter. Mais elle est lucide, elle sait qu'elle devrait d'abord manger avant de se lancer dans ce trajet. D'autant plus que ceux de sa famille l'ont dit, il vaut mieux circuler la nuit.
La nuit, tous les chats sont gris.
Sont-ils des chats? Elle l'ignore, mais elle aime cette phrase.
Elle attendra la nuit pour se transformer en ombre et quitter cette ville étrange et détestable, mais pour l'heure, elle doit manger.
Elle en revient à sa questions : que devrait-elle faire?
Elle ne sait toujours pas.

Alors elle reste fixer intensément cette femme, de son regard grave d'enfant qui comprend tout.
Elle a un masque. Pourquoi a-t-elle un masque?
Lena ne sait pas, Lena continue à la fixer.

Il y a quelqu'un là bas qui approche.
Je remet mon masque correctement.
J'aimerais rentrer chez moi pour l'enlever et respirer sans sentir ma propre halène de chacal. Mais ça attendra un peu que je me motive pour me lever.

Une gamine.
Qu'est-ce qu'elle fout là ? Elle pouvait pas aller ailleurs ?! Ya pas assez de place dans le parc, faut qu'elle vienne ici, sous mon nez ?
Qu'est-ce qu'elle me veut ? Pourquoi elle me regarde ? Elle pouvait pas aller pomper l'air à quelqu'un d'autre ? Je sais, elle fait rien, elle est juste là, ya pas de quoi s'énerver, mais je suis pas d'humeur. Sa présente m'irrite. Allez, du vent ! Elle va pas dégager ? Peut-être que si je fais comme si elle était pas là elle va finir par s'en aller... j'ai pas la patience ! Elle me fatigue à me regarder comme ça.

-Quoi ?
Tu veux ma photo ?
T'as pas autre chose à faire que de rester là ?

Pourquoi elle est là ? Ya pas école ?
Je me demande comment c'est d'ailleurs, l'école pour les gamines comme elle. Ça doit pas être comme les cours au Centre... enfin qu'est-ce que ça peut foutre ? J'aime pas les mioches ! En plus à notre époque, ils ne sont même plus implantés. Faut pas s'étonner qu'ils fassent des conneries après, comme de venir trainer là, dans un parc pour faire chier les gens qui voudraient cuver en paix.

-allez dégage

Ah, elle a vraiment l'air méchante.
Lena se mord la lèvre, soucieuse.
Elle est polie Lena, même avec les humains de la ville.
Alors, il faut rester polie...

Elle fait quelques pas timides, se rapproche.
Il faut parler aux gens droit dans les yeux, c'est Sara qui lui a dit.
Et ceux de sa famille aussi.
Et s'approcher pour ne pas avoir à crier.
Lena n'aime pas crier.
Mais attention, pas trop près non plus!
L'humaine pourrait mordre.
C'est normal, qu'une humaine morde?
D'habitude, les gens des villes ne sont-ils pas soumis comme des moutons?
Peut être que même les moutons mordent quand ils sont énervés...
Et elle, pourquoi est-elle énervée?
Enfin, c'est bien normal. N'importe qui serait énervé de vivre dans un tel endroit. Elle a raison Lena.

Ah, enfin arrivée. Suffisamment près pour la regarder dans les yeux et parler sans crier, suffisamment loin pour ne pas se faire mordre.

Bonjour.

Hésitation.
Quoi après?

Vous savez où on peut trouver à manger?

-pas ici en tout cas.

A manger ?
Pourquoi elle me demande ça à moi ? Et qu'est-ce qu'elle fout là ?

-t'as qu'à demander à tes parents, où yen a de la bouffe.

C'est vrai ça, ils sont où ses parents ? Elle est à qui cette gamine qui traine dans le parc ? Ces gens, ils pourraient pas surveiller leurs mômes ?!

Putain, j'ai mal au crâne.
Et la mioche qui est toujours là... elle va pas me foutre la paix ? Me dites pas qu'elle est perdue, par pitié ! Sinon à tout les coup elle va rester planté là jusqu'à ce que je la ramène quelque part ou jusqu'à ce que je me fâche pour qu'elle foute le camp.

Et ça me murmure dans la tête, une espèce de brouhaha de plus en plus bruyant... si ça se trouve c'est de sa faute ! Ouais, il me semble que ça faisait pas autant de bruit avant qu'elle arrive.
Je me méfie, quand j'entends des voix, en général c'est pas bon signe. Je vais éviter de la regarder, des fois qu'une certaine hallu vienne se coller sur sa face de morveuse. J'ai déjà assez envie de l'étriper comme ça.

Des parents?

Lena penche la tête, pensive.

Elle n'a pas de parents. Pas de quoi pleurer, disent ceux de sa famille. Tous n'ont pas de parents, mais ils sont une famille malgré tout.

C'est sensé vous donner à manger, des parents? Ceux de sa famille semblaient pourtant penser qu'il était important qu'elle sache se débrouiller pour ça...

Et puis sa famille n'est pas là pour le moment.

En tout cas, la dame est vraiment méchante.
Malheureusement pour elle, ça donne encore plus envie à Lena de rester...
Elle n'est qu'une enfant. Elle le sait. Jusqu'où osera aller la dame pour se débarrasser d'elle? Les moutons savent-ils mordre, finalement?
Lena est curieuse, Lena veut savoir.
Alors elle va embêter le mouton. Pour voir.

Mine boudeuse, un autre pas vers l'étrangère.

J'ai pas de parents.
Si ce n'est pas ici que je peux trouver à manger, c'est où alors?
Dis madame, tu me montres?

Pas de parents ?
Mais elle sort d'où cette gamine ?!
oh... il leur est peut-être arrivé quelque chose de fâcheux à ses parents
ça arrive
plus souvent qu'on ne le croit.
Moi même, j'ai du en faire, des orphelins. Mais c'était il y a un siècle, donc ça peut pas être de ma faute si elle a pas de parents, cette mioche là.
Et puis on peut très bien vivre sans. Regardez-moi, j'ai pas eu papa et maman pour me tenir la main au Centre... mouais, pas terrible comme référence.

N'oublie jamais... oh toi ta gueule, hein !

Où j'en étais ? ... ah oui, ya la morveuse qui a faim.
Et elle peut vraiment pas se débrouiller sans moi ?!


Hyena lui jète un regard froid comme une lame d'acier. Elle la découpe des yeux, fusille cette bouille d'enfant, l'écorche de sa pâle iris. Elle voudrait lui arracher la tête avec les dents qu'elle ne la regarderait pas autrement.
La prédatrice à quand même l'œil vitreux sous cette étincelle de rage.

Soudain, elle se lève et la surplombe un moment dans un silence glacial.
Le calme avant la tempête ?


-...
Ok, on y va.


Il faut que je rentre. Après je pourrais me reposer.
On trouvera bien quelque chose à bouffer en chemin, comment ça elle me foutra la paix.
Bon par contre, on va y aller gentiment. Rien que de mettre un pied devant l'autre me file la nausée.
Je vais peut-être appeler un taxi...

Lena a presque eu peur à un moment.
Presque.
Car Lena est une grande, elle habite dans les bois, et ceux de sa famille sont supérieurs aux humains. Bien sur, c'est ceux de sa famille qui lui ont dit. Mais ils ont raison, forcément. Donc elle a bien failli avoir peur, mais ça n'est pas arrivé. Car même si Lena est une enfant, elle reste supérieure aux humains de la ville.
Ses yeux se sont tout juste un peu écartés quand la dame a tenté de la tuer du regard.
Et ses petits poings se sont un peu resserrés.
Mais c'est tout.

En plus, maintenant la dame veut bien l'emmener chercher à manger.
Mais, elle n'a pas l'air bien...
Lena a pitié, elle voudrait bien l'aider. Mais comment?
Elle n'est pas dans son milieu naturel, il n'y a pas de plantes qui soignent ici.
Elle pourrait lui tenir la main?
Mais la dame n'a vraiment pas l'air bien... Ni très gentille.

Alors elle la suit tout doucement, avec de tout petits pas, et un grand regard curieux.
Quand on est malade, on s'amuse pas à faire la méchante...

Mais Lena a envie de parler. Elle parle peu d'habitude, surtout aux gens de la ville. Mais voilà, du coup, elle est curieuse. Et elle a envie de parler.

Dis, on va où alors? Et pourquoi t'es malade? Tu sais, elle est nulle votre forêt. Dans une vraie forêt, y'a de quoi manger et se soigner, et ici, y'a rien. C'est pas trop déprimant de vivre en ville? Moi j'aimerais pas.

Soudain, elle s'arrête. Elle n'a pas un peu trop parlé là?

Je lui ai dit qu'on y allait, je lui ai pas demander de l'ouvrir.
Elle parle, elle parle et elle me saoule. J'ai mal au crâne.
Pourquoi elle pose autant de question ? On n'a pas idée de poser des questions à son age.
Qui c'est qui l'a aussi mal éduqué ?
Sale gosse !

Elle est conne ou quoi ? Qu'est-ce qu'elle a à me parler de forêt ? Ya pas de forêt ici. Elle se croit où la ptite guenon ? Dans sa jungle ?
J'ai pas envie de jouer. Si j'étais un peu plus en forme, je lui ferais bien bouffer le gazon, ça la soignerait peut-être de sa bêtise. Je vais te montrer moi, si ya pas de quoi manger et soigner dans ma forêt !

-Je suis pas malade, j'ai la gueule de bois. Et tu ferais bien de fermer la tienne si tu veux encore avoir des dents pour mâcher.

J'en connais une qui vient peut-être pas de la forêt mais qui pourrait bien finir dans le sapin si elle continue à m'emmerder.

Ou si ça se trouve elle n'habite vraiment pas en ville.. J'ai entendu parler de ses gens qui vivent à l'extérieur et qui arrivent à entrer et sortir du dôme par on ne sait quel moyen.
Mais c'est que des rumeurs, sans doute une histoire pour les gens qui s'ennuient et qui trouvent rien de mieux à faire que de colporter des conneries.

Merde, j'avance mais pour nous emmenez où ? Trouver à becter dans les quartiers automates, ça coute la peau du fion. Difficile d'aller bien loin à pied, vu la hauteur des bâtiments. On ne voit pas le sol d'ici.
Je m'arrête et passe un coup de fil pour faire venir un taxi. Il viendra nous chercher près du Carnival. Je me rend à l'endroit indiquée suivi de la merdeuse et j'attends. Il ne devrait pas tarder.

La gueuldeuboa? C'est quoi ça?
Surement une maladie de la ville. Ça a pas l'air drôle, comme maladie.

Ah, la dame a arrêté de marcher. Pour parler à un objet bizarre. Lena l'a déjà remarqué, les gens aiment bien parler seuls à des objets ici.

La dame n'a pas l'air d'aimer quand elle parle, alors elle ne dira plus rien. En revanche, elle regarde tout autour d'elle avec encore plus de concentration qu'avant. Elle plisse tellement les yeux devant ce monde qu'elle essaye de comprendre que c'en serait presque comique. Elle commence enfin à comprendre que ce monde n'est pas le sien, et que si elle reste cramponnée à ses habitudes, elle ne sortira pas d'ici.

Sara. Elle a oublié de la prévenir. Elle doit être inquiète, la pauvre. Peut être que sa famille viendra la chercher. Mais comment ils pourraient la retrouver? C'est si grand ici, et si gris.
Mais elle ne va pas se laisser faire, oh non. Elle va trouver à manger, et repartir de là où elle est venue, ça doit pas être si difficile à trouver.

N'empêche, si elles ne bougent pas, elles n'auront jamais à manger non? La nourriture ne tombe pas du ciel, c'est bien connu.

On arrive bientôt?

-La ferme !

Nan mais elle se fout de ma gueule la mioche ?! Vas-y, dis-le si ça va pas assez vite !
Je t'en foutrais des "on arrive bientôt".
J'irais bien lui en coller une, mais si elle se met à chialer ça va être chiant. Je suis sûre que ça pleure pour un rien une gamine comme ça.
Vivement que je m'en débarrasse.

Ça y est, le taxi arrive. La portière s'ouvre automatiquement. J'entre à l'intérieur et attend que la morveuse en fasse de même.

-Allez grimpe ! et dépêche toi. On va pas y passer la nuit.

Si elle se magne pas, je demande au chauffeur de démarrer et je la laisse se démerder là.
En y réfléchissant bien, j'aimerais bien qu'elle prenne tout son en fait, voir même qu'elle refuse tout de suite, comme ça j'aurais pas à me la trainer plus longtemps.

Merde, qu'est-ce qui m'a pris d'accepter de l'emmener bouffer ? Quelle conne ! Ça aurait été tellement plus simple d'appeler directement le taxi et de me barrer avant qu'elle me parle.
Pourquoi je l'ai écouté ? J'en ai rien à foutre de cette gamine.
Ça doit être la fatigue.

Remarque, j'ai peut-être encore le temps de changer d'avis... je lui dois rien à cet merdeuse.

Blop! Lena avale ses lèvres.
Avalées, disparues, cousues.
Ne plus parler, plus du tout.
Blop!

Même le minimum est trop, seul le rien semble être acceptable. Lena est sage et polie, aussi elle saura se taire.

Vrombissement, bruit abrutissant.
Lena se trouve face à un objet non-identifié volant.

Blop!
Elle ne dit toujours rien, mais elle semble choquée. En vérité, seuls ses yeux écarquillés trahissaient sa surprise.
Seuls les oiseaux volent, c'est bien connu. Et ce n'est pas un oiseau.

La petite fille est perturbée, elle ne sait plus quoi penser.
Est-ce monstrueux? Ou est-ce "mieux"?
Pouvoir voler comme les oiseaux en faisant autant de bruit...

-Allez grimpe ! et dépêche toi. On va pas y passer la nuit.

Blop!
Sans rien dire, la petite se hate de grimper tant bien que mal dans la... chose. Elle ne sait pas ce que c'est, et répugne à appeler ça un oiseau. C'est moche et ça fait du bruit. Peu à peu, elle se rappelle les préceptes qu'on lui a appris dans la forêt. Que les hommes sont bêtes, et qu'ils aiment apprivoiser ce qui devrait rester à la Nature. Donc, ça, cette chose, c'est surement une mauvaise chose. Mais elle n'a pas le choix.

Blop!
Elle observe, et s'assoit sur les sièges, sur le modèle de son ainée des villes.
Claquement sec.
La ceinture de sécurité jaillit et l'attache fermement au siège.
Une chose si banale pour ceux des villes. Ca évite les oublis, c'est normal, on n'y fait même pas attention.
Mais Lena...

Lena pâlit.
Son instinct lui hurle de se débattre, et de fuir.
Sa raison lui fait remarquer que personne ne semble s'inquiéter des liens qui les entravent.
Ses lèvres sont toujours avalées, elle ne peut pas parler, ne doit pas parler, pas paniquer, courage, c'est normal, ça semble normal, ça ne durera pas, ça n'est pas comme dans tes cauchemars, ce n'est pas un cauchemar, c'est un cauchemar, elle est éveillée, c'est un cauchemar.
Vite, arriver, partir...

Et merde, elle a vraiment pas trainé.
Dommage.

Un instant, j'ai pensé la faire passer par fenêtre une fois qu'on a démarré. On ne voit pas le bitume en bas. Avec une chute de cette hauteur là, elle se disloquerait à l'atterrissage. Puis je me suis dis que non, ça se fait pas, c'est pas bien. On ne jette pas les enfants par le fenêtres, surtout en voiture. Ça pourrait faire un accident plus bas. Et de toute façon j'ai la flemme, si je bouge trop vite j'ai mal au cœur et j'ai mal au crâne.

De toute façon, je n'aurais pas la supporter longtemps.

-Emmenez-nous au fastfood le plus proche.

Je dépose le colis encombrant et je rentrer chez moi.
En attendant elle est calme... étonnamment calme... ouais je sais, elle est morte de trouille, paralysée. Je lui ai fait peur, c'était le but, pour qu'elle la ferme et fasse pas chier. Ça marchait pas mal sur moi, quand j'étais toute petite. Ça remonte à loin... les cris, les insultes, les menaces... J'avais ? 6, 7 ans ? Ils étaient tous tellement grands avec des mains de bouchers et des écrase-gueules en guise de chaussure. Et il fallait pas les regarder dans les yeux de peur de prendre un coup de chaussure. Jamais regarder autre choses que ses foutue pompes de géant. S'écraser avant de se faire écraser.
Aujourd'hui, en y repensant, je regarde mes propres godasses... elle me paraissent pas très grandes, un petit 37. Pas très impressionnant quand on a connu les écrase-gueules des supérieurs. Ce qu'ils étaient grands... ou peut-être que c'est moi qui était petite...

Je crois que j'ai été encore plus petite qu'elle. Et aujourd'hui, je lui fais peur... et alors ? Les grands aussi ont peur. C'est ce que j'ai toujours souhaité aussi loin que je me souvienne : leur foutre les jetons et leur faire du mal, plus encore qu'on m'en faisaient. Je rêvais d'être une géante et qu'eux soient de touts petits nains, pouvoir leur casser les bras comme on arrache les ailes d'une mouche, les broyer dans mes mains et en faire de la purée avec mes semelles, les lancer contre les murs...

Et toi gamine, de quoi tu rêves ? De forêts ? Avec des trucs qui se mangent et qui soignent ? ... bizarre... De toute façon, rêver, ça sert à rien.

La voiture s'arrête juste devant le fastfood. C'est ici que nos chemins se séparent, morveuse.
La portière s'ouvre.

-Descend de la voiture. C'est tout droit, là bas. Tu fais la queue et tu demandes à bouffer au monsieur.

J'ai pas l'intention de descendre pour l'accompagner. Rien que l'affiche à l'entrée me file la gerbe. C'est de la merde leur bouffe et ça pue. En plus ça coute cher pour ce que c'est. Oh merde ! j'avais pas pensé à ça. Elle a de quoi payer la môme ? Oh et puis qu'est-ce que ça me foutre ? Elle aura qu'à casser les pieds de quelqu'un d'autre pour qu'il lui file une pièce, c'est pas mon problème.
... ouais, sauf que les gens aussi en ont rien à foutre et elle pourra mendier longtemps avant de pouvoir manger. Elle est si petite, ils ne la verront même pas...

Putain, j'en crois pas ce que je suis en train de faire ! Je hais les mioches et pourtant je la rappelle avant qu'elle soit trop loin.

-Hey, gamine !
Tient.

Je lui tend quelques pièces sorties de mon porte monnaie, de quoi se payer un repas. Filer du pognon à une merdeuse, manquerait plus que je devienne charitable. C'est sûr, je suis vraiment pas dans mon assiette.

-prend ça, sinon ils te fileront rien

Sale gosse.
Parasite.
Non seulement tu sert à rien, tu traines n'importe où, mais en plus il faut te nourrir.
Je devrais te laisser crever de faim.
Et puis un jour tu vas grandir et tu deviendras une connasse comme tout ces gens qui bouffent de la merde, ou pire, une rebelle qu'il faudra buter.

Lena observe la dame de loin, hésitant à s'approcher un peu plus malgré qu'elle l'ai appelée. Son baptême de l'air l'a proprement traumatisée. Son dos est encore trempé de sueurs froides. Ses jambes sont devenues toutes molles, elle a du mal à marcher droit, c'est vraiment pas drôle.
Elle se rappelle que la dame était malade. Est-ce que Lena est tombée malade elle aussi?

Courageuse, Lena s'approche, et la dame lui donne... Quoi?
C'est rond, dur et froid. Ca a l'air important.

La petite lève la tête pour regarder sa sauveuse droit dans les yeux, et de son air grave, lui dit avec une petite voix :

Merci.

Puis elle s'éloigne vers l'endroit à nourriture. Elle pousse péniblement la porte, et là...
Bruit.
Chaleur moite.
Odeur de graisse.
Atmosphère pesante.
Et on peut manger là dedans?

Que lui a dit la dame déjà?

"Tu fais la queue et tu demandes à bouffer au monsieur."

Et aussi...

"Prend ça, sinon ils te fileront rien."

Lena ne sait pas ce que "faire la queue" signifie. Aussi, elle se dirige d'un pas décidé vers l'endroit où tout le monde semble converger. Sur le coup, les gens ne font pas attention à elle. Les gamins qui trainent dans un fast-food, c'est normal.
Arrivée au comptoir, elle se hisse sur ses orteils, du plus haut qu'elle peut, pour que son nez dépasse un peu plus du comptoir, et s'agrippe au bord de ses petites mains. Le serveur ne lui prête pas encore attention.

"J'veux de la nourriture!"

C'est bien comme ça qu'il faut faire non?

Le serveur la regarde maintenant avec désapprobation.

"- Pardon?

- Je veux de la nourriture!"

Et de le regarder, très sérieuse, du haut de sa petite taille d'enfant, les yeux qui dépassent à peine du comptoir.
Les personnes qui attendaient sagement leur tour la regardent aussi de travers. Mais ça, bien sur, elle ne le voit pas.

"Bon... Quoi comme nourriture?"

Lena réfléchit intensément, fouillant dans ses souvenirs, avant d'en ressortir un trésor qu'elle n'aurait jamais cru pouvoir placer un jour dans une conversation.

"- 500 grammes!
- 500 grammes de quoi?
- Bah, de nourriture!"

Ses sourcils se redressent, et semblent se moquer du malheureux qui peinait à suivre la logique de la petite fille. Un instant passe, dans lequel le temps semble flotter et le bruit se faire tout petit au fond de la salle.

Ah, et j'ai ça aussi!

Elle pose les pièces sur le comptoir, au prix d'un effort supplémentaire pour s'élever encore un peu plus, une jambe qui décolle du sol et les orteils de l'autre en équilibre par terre, et pouvoir allonger son bras assez haut pour ne pas avoir à jeter les pièces par dessus le bord du comptoir. Le pauvre serveur, fatigué de sa journée, décide de battre en retraire pour cette fois. Les discussions logiques, il est pas né pour.

"Bon, Simone, un menu pour mômes..."

Après un temps d'attente très court, Lena pu s'éloigner avec son plateau, toute fière d'elle, et découvrir les joies de la nourriture pleine de graisse.