Il y a une fille, ici. Une fille qui a vraiment l'air gentille. Mais voilà, cette fille, elle est trop gentille, et d'autres en profitent. Alors elle se tait et se cache. Cette fille, je ne la connais pas très bien. Je l'aperçois, parfois, on a même déjà discuté, et je l'aime bien. Elle est drole, fraiche, elle donne envie d'apprendre à la connaitre.
Cette fille, je l'ai dit, je ne la connais pas très bien. Mais j'aimerais mieux la connaitre, et plus que tout, j'aimerais lui redonner le sourire.

Cette fille, elle n'a plus de maison. Elle est envahie par des locataires indésirables, et se retrouve sans chez-soi. J'aimerais lui dire qu'ici, elle est chez elle, c'est d'ailleurs presque le cas. Ici, les gens la réconfortent et tentent de la faire sourire. J'aimerais être de ces gens. J'aimerais la faire sourire. Mais je n'suis qu'une gosse, une gamine, bien incapable de comprendre les autres correctement et de les approcher sans les effrayer.

Je suis l'enfant, l'innocence, celle qui ne connait rien et découvre tout, celle qui apprend. Je suis les yeux pâles qui se posent sur tout ce qui m'entoure, et interroge le monde sur son absurdité. Je n'suis qu'une gosse, et je ne sais pas comment faire sourire cette fille, je ne sais pas comment l'aider.

Dis, April, tu sais toi? Dis leur April, dis leur ce qu'on pense, dis leur qui tu es, ce que nous sommes, et dis lui, qu'on est maladroits et qu'on voudrait juste pouvoir faire quelque chose pour elle.

Dis, April, s'il te plait?

Oui Lena, je vais parler, je vais leur dire tout ça.

Tu l'as dit, toi tu es l'enfant, tu es l'innocence, tu ne dois pas te salir avec ces histoires là, tu ne dois pas en vouloir à ceux qui embêtent cette fille et la privent de sa maison, tu es encore trop jeune pour ça. Tu es ce que j'ai peut être été un jour, mais dont je ne me souviens plus. Tu es ce que j'admire chez les enfants, mais que je ne rencontre jamais.

Moi? Moi je suis celui qui grandit sans l'accepter, je suis le cynisme, la partie sombre quand toi tu es la lumière. Je suis le mépris, le dégout, le rejet, celui qui a compris comment tourne le monde et ne le supporte pas, celui qui a cessé de nourrir des illusions quant aux autres, et pourtant celui qui veut vivre, profiter, qui ne veut pas couper toute relation humaine. Je suis celui qui vit en décalé, qui use de cynisme et de dérision pour rendre la vie plus drôle, pour la parer de couleur.

Oui, je suis tout ça, et pour ça, je voudrais aider cette fille qui n'a plus de maison. Je suis maladroit, je ne sais pas comment lui dire, pas comment faire. Je voudrais pouvoir débarquer chez elle pour flanquer à la porte les locataires indésirables, leur dire leurs quatre vérités en face, pour qu'elle n'ai pas à se fâcher avec eux et puisse reprendre sa vie comme avant. Mais je sais que c'est trop, ce n'est pas à moi de le faire, et elle pourrait se facher elle aussi, qu'on se mêle de ses affaires comme ça. Je pourrais n'être plus si différent de ses locataires indélicats. Je voudrais lui dire, qu'elle a le droit de s'exprimer, et que si personne ne veut l'écouter, elle n'a qu'à les laisser, car ils ne la méritent pas, elle et son trop grand respect. Mais là encore, ça serait parler trop vite, prendre le risque de la déchirer, car c'est de sa famille qu'il s'agit, et malheureusement c'est compliqué la famille...

Je voudrais lui dire que nous, on est là, que Arl il pourrait être son grand frère, le vrai, celui qui protège sa soeur et en prend soin, car je le pense, il est un peu notre grand frère à tous, et nous aussi on veut prendre soin de lui quand on le sent tout cassé et fatigué. Mais là encore, ce ne sont que des mots maladroits, qui risquent de heurter, elle ou un autre, qui risque de tomber là où il ne faut pas. Mais alors, qu'est-ce que je peux en faire, de ces mots? Ils ne peuvent pas rester dans ma tête comme ça, ils tournent en rond, ils ont besoin de sortir. Timidement d'abord, sur la pointe des pieds, pour ne pas l'effrayer, pour ne pas la blesser, en s'excusant de leur présence. Oui, c'est pas leur faute à ces mots. Ils voudraient aider mais ne peuvent pas, ils se sentent impuissants. Parfois, quand on se sent impuissant, on ne peut que montrer qu'on est là. Et c'est ce qu'ils veulent faire, ces mots. Ils s'excusent d'être là, de prendre le risque de blesser, ils se font tout petits et se contentent de dire qu'ils existent.

Enfin, je voudrais pouvoir toquer à sa porte, celle de sa maison d'ici, celle où elle est encore chez elle. Pouvoir lui dire que j'ai apporté des fleurs, du muguet, parce que c'est joli, c'est la saison, et puis ça sent bon, j'en ai plein mon jardin en plus, tu aimes ça? Je suis désolé, je suis maladroit, pardon si je t'effraie, mais voilà, j'aimerais décrocher un sourire sur ton visage.