Blanche, sans odeur, sans saveur...

Blanche, c'est mon prénom.

Tartempion, mon nom, et celui de mes "presque-parents". M et Mme Tartempion. Gérard et Monique. Résidant d'une petite banlieue grise et mélancolique. Couple sans histoire et sans enfants. Enfin si. Moi. D'aussi loin qu'ils se souviennent, j'ai toujours été là. Sagement, assise à la table du déjeuner, écoutant sagement le récit monotone de leur morne journée.

D'aussi loin qu'ils se souviennent...
Je mets la table tous les dimanches midis, car c'est le jour où "Papa" et "Maman" sont le plus névrosés. La semaine qui s'annonce n'a pas l'air plus réjouissante que les précédentes, et le dimanche est un jour d'entre-deux. A mi-chemin entre le sentiment que tout va si vite, mais que d'un autre côté, mieux vaut qu'il en soit ainsi.

D'aussi loin qu'ils se souviennent...
Je travaille dans une usine, non loin de la leur. Une usine de boite de conserve. Je ramène un maigre pécule à la maison qui couvre à peine les dépenses alimentaires du mois. Parfois, il m'arrive de ramener une ou deux boîtes de haricots verts ou de petits pois pour agrémenter le repas. Parfois seulement.

D'aussi loin qu'ils se souviennent...
Je porte les habits que "Maman" confectionne à la maison. "Maman" a des doigts de fées, le moindre morceau de tissu qui lui passe sous la main devient une œuvre d'art. Sans doute a-t-elle eu certains talents... Dans une autre vie. Pourtant, les œuvres d'art restent au placard, et je me contente des blouses d'ouvrière cousues dans un toile sans couleur, ni aspect.

D'aussi loin qu'ils se souviennent...
Je lave mon linge, je fais la vaisselle, je nettoie ma chambre, je vernis le parquet et je passe le balai. J'époussette les étagères désespérément vides, et j'arrose les géraniums sur le rebord de la fenêtre. Je bois du café à outrance, tout comme je m'inonde de déodorant le matin. Je ne maquille pas ma peau blanche et laiteuse, ni ne poudre mes cheveux couleur pluie.

D'aussi loin qu'ils se souviennent...
Je suis Blanche Tartempion, leur fille.
Pourtant... Ils n'ont jamais vérifié auprès du directeur de l'usine que je travaillais bien là-bas. Ils n'ont gardé aucune photo de moi lorsque j'étais petite. Ils n'ont jamais senti la moindre odeur de sueur sur mes vêtements. Jamais, ils n'ont cherché à comprendre la pâleur de ma peau, ni la couleur de mes cheveux. Il ne leur ai jamais venu à l'idée de soulever la jardinière de géranium. Jamais.

Blanche, c'est mon prénom.
Ce que je suis? Blanche. Sans odeur. Et sans saveur.

[Orthodoxe]

Blanche, sans odeur, sans saveur...

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