Temps gris, temps de pluie [Complètement Libre]

Il pleut.

Les évènements n'avaient pas été en ma faveur. Mais qu'à cela ne tienne.

Les jours passaient. Lents. Sans saveurs particulières, car ils se ressemblaient tous, ou presque. Dans la plupart des quartiers où j'ai eu l'occasion de traîner, il y a trop d'ordre, trop de calme, trop de 'robots humains'. Tout est réglé comme une horloge ancestrale, chaque pas est pré-calculé, contrôlé, sans faute. Pour le drone que je suis, cette société pseudo-parfaite est sans intérêt, mais pour les scientifiques qui reçoivent les données enregistrées par mes yeux.. Tout peut être bon à prendre. Après tout, je suis un cobaye à leur service: je vois, j'imprime, je transmets mais seuls eux décident. Eux, ou leur supérieur. Là n'est pas mon problème, et je ne veux pas le savoir.

Même si je n'avais pas été conditionnée, je pense que réfléchir à ce que je fais est un non-sens absolu, tout comme envisager ce que pourraient faire les scientifiques de ce que je vois chaque jour. Peut être même que ce serait plus néfaste encore de connaître la vérité sur l'expérience que je suis... Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, après tout.

Ma surveillance s'était 'étendue'. Je passais donc des quartiers 'contrôlés' aux quartiers plus glauques, plus 'libres'. Le NOD n'avait qu'un contrôle limité dans ces endroits sombres et coupe-gorge, et le gouvernement... Ce n'était guère mieux. Les trafics ici, de la contrebande de matériel aux marchandises humaines étaient très nombreux, mais invisibles. Tous des criminels ou des rebelles, le genre de personnes que je dois repérer, observer, enregistrer.. Que je dois poursuivre ou infiltrer coûte que coûte. Enfin, ça, c'est la théorie.

En pratique, je devais me contenter d'errer, de garder un rôle naturel mais s'adaptant aux situations diverses rencontrées.. Tout était prédéfini, comme une liste préparée à l'avance. Ainsi, ma marche errante dans cet endroit mal famé me donnait l'air d'une simple mendiante. Une mendiante jeune, qui ne paraissait pas dangereuse le moins du monde. Suis-je une orpheline, perdue, laissée à l'abandon et livrée à mon propre sort? Suis-je une non-implantée, qui tente de fuir ses sensations en plongeant là où le NOD ne pourra pas m'atteindre? Je suis ce que vous voulez, je m'adapte à vos pensés, à vos remarques et vos envies. Vous faîtes le premier pas, je m'adapte. L'inverse serait peu naturel, mais les circonstances peuvent tout changer. c'est aussi simple que cela.

Mes vêtements sont de circonstances. Une robe noire, sale et déchirée, et une veste ressemblant plus à un morceau de toile plastique arrachée qu'à quelque chose de décent.. Mais qui a l'avantage de me protéger de la pluie... Un peu. Ma chevelure est nauséabonde, mes mains salies, j'ai froid, j'ai faim, et.... je suis fatiguée. Toutes ces sensations humaines que je peux encore ressentir, mais contre lesquelles je ne peux pas grand chose. Endurer est la seule chose à faire, car cette vie, cette existence.. Elle n'est pas à moi. Elle leur appartient. Et seulement eux peuvent décider de mon futur, de ce que je vais faire, de ce que je dois faire. En attendant, je dois agir au mieux de mes capacités, pour être aussi efficace et utile que possible.

La pluie ne cesse pas. Et ce que je porte sur les épaules est une bonne chose. C'est mieux que d'être entièrement trempée, non? Même si je ressemble à une clocharde -c'est le but me direz vous- des pieds à la tête, ne vous méprenez pas.. Je regarde. J'enregistre. J'observe. Toujours.

"AAaaaatchaaa!"

*Snif*

Éternuement.

Parfois, ressembler à un humain est déplaisant. Vraiment déplaisant.

Il pleut.

C'est que c'était prévu.

Je devrais être à vos côtés et non ici, monsieur.
Il faut bien relever des informations fiables Matteus. Veillez a passer inaperçu et à recueillir tout ce dont nous avons besoin.
Oui, monsieur.

Matteus ne discute pas, il sait que cela est inutile. Quand Weissman ordonne on obéit, surtout Matteus. En quinze année de services il n'a pas désobéi ni échoué une seule fois, pas la moindre tache pour obscurcir le tableau.
Infiltrer les quartiers insurgés... Pour Matteus cette mission n'est pas dangereuse, les gens le remarquent à peine et la plupart ne se souviendront même pas de lui.
Être un spectateur, observer sans agir si possible et surtout ne jamais faire le premier pas. Il est une silhouette sans nom dont on a pas besoin de se soucier ni de se méfier. Les gens le voient et l'oublient aussitôt qu'il a disparu, quelle que soit la situation ils n'auront pas envie d'aller lui parler à moins que ce soit ce qu'il veuille.
Le problème reste la présence de cyborgs et humains qui ne sont pas affectés par, mais heureusement ceux-ci sont rares chez les insurgés. Matteus peut donc remplir son travail sans être gêné même si la vigilance doit perdurer. Car les insurgés restent dangereux même si là...

Misérables, ils sont misérables. La plupart mourront dans l'année et se battent plus contre la mort que contre le gouvernement. Mais perdus dans la masse on peut en trouver d'une autre trempe, ceux qui marchent la tête haute, ceux qui se battent. Ceux qui malgré leurs illusions ne sont que des pions, ceux qui seront utiles et utilisés pour préserver cet Ordre qu'ils veulent détruire. Mais pour bien manipuler il faut des informations et c'est là que Matteus entre en action.

Regarder, écouter, observer, enregistrer ce qui est nécessaire et puis rentrer, quoi de plus simple ? Un drone pourrait s'en charger, mais Weissman ne leur fait pas confiance. On lui cache des choses sur ce qu'il se passe dans les bas-quartiers. Lui aussi leur cache des choses, mais c'est pour préserver l'Ordre et l’Équilibre. Alors dans cette guerre d'informations chaque camp fait ce qu'il peut pour ne pas être berné, et envoie ses propres agents sur le terrain.

Aaaaatchaaa!

Une jeune fille a éternué devant lui et s'était arrêté en plein milieu du chemin. Ne l'ayant pas remarquée à cause de sa petite taille, Matteus l'a percuté.
Que faire? L'aider à se relever? La politesse l'exigerait, mais Matteus n'a pas pour mission d'être poli.
Disparaître? Trop tard, la chute de la petite fille a du attirer les regards sur eux, rien n'est stable. Il vaut mieux ne pas être trop suspect.

Matteus tend la main à la jeune fille et la relève. Rapidement, il lui tourne le dos et commence à s'éloigner.

[Voilà à quoi ressemble Matteus (dans le spoiler)]

Spoiler:

*Boum*

Même pas le temps de ressentir ou d'essuyer la fine goutte qui voulait perler de mon nez que déjà j'étais au sol, assise sur les fesses. Pas vraiment sonnée, mais plutôt surprise. Ma conception et mes caractéristiques physiques demeuraient tout de même assez convenables pour un cyborg de ma catégorie: je n'étais certes pas très résistante, sujette à l'écrasement des muscles artificiels ou à la destruction de l'ossature corporelle, mais les organes internes étaient très bien protégés... Que cela soit l'électronique, la cybernétique ou même juste le cerveau... S'il n'y avait rien de plus facile pour moi de me couper, de me blesser ou d'être frappée, sombrer dans l'inconscient à cause d'un coup était en revanche plus difficile.

Mon fonctionnement ne devait pas connaître de failles. Les blessures n'étaient là que pour tromper l'ennemi. Et le système devait être protégé, coûte que coûte. Après tout, c'étaient de précieuses données qui étaient récoltées. Ce qu'allait en faire les scientifiques, et à qui ils transmettaient tout cela, ce n'était pas mes affaires. Je restais un drone avant tout: obéissance, surveillance, autonomie.

L'eau froide qui traversait ma robe, mon sous-vêtement.. Il n'y avait rien de plus désagréable! Surtout par un tel temps.. c'était paradoxal de voir à quel point une douche relaxante et une pluie agaçante pouvaient être perçues différemment. Je voulais me relever aussitôt, pour palier à ce désagrément, mais j'étais censée être frêle. Je SUIS frêle. Toujours dans mon rôle, je devais laisser une certaine latence entre ma réaction et l'évènement... Comme une humaine que je ne suis pas.

Étrangement, une main se présenta, m'aidant à me relever malgré tout. Une âme charitable? Dans ces quartiers nauséabonds et dangereux? Un simple réflexe? Ou un être qui respectais les personnes sans biens, sans rien? Quoiqu'il en était, il m'avait aidée à me lever. L'eau sale coulant le long de mes jambes était particulièrement désagréable, et ma protection de fortune, mon morceau de plastique était désormais inutile. Heureusement que je ne peux pas tomber malade, ou en tout cas pas dans ces circonstances.

A peine le temps de m’épousseter que l'homme à la veste noire et aux lunettes partait déjà. Les choses se seraient logiquement arrêtées ici, chacun repartant de son côté, sauf que...

"Ex... excusez moi..."

Une voix faible, mais suffisamment forte pour couvrir le bruit tonitruant des trombes d'eau alentours. Dans mes mains tendues vers lui, comme si j'avais peur de m'approcher, un objet rond. Noir. Je ne savais pas ce que c'était, mais il l'avait laissé probablement tomber en se penchant pour m'aider. Si cela craignait l'eau, alors le fonctionnement devait être atteint. Cet objet, il était sûrement à lui, n'y étant pas avant. Et puis... Cette homme laissait paraître un certain charisme du peu que j'en discernais, preuve qu'il n'était peut être pas n'importe qui. Un trafiquant local? Un insurgé? Peut être même un haut membre de la rébellion. Voir un membre du NOD, ou un mentaliste. Tout était possible, et pour moi, tout était bon à prendre.

Volte-face. J'étais repartie dans le sens inverse. Courant rapidement, m'éloignant autant que possible de l'être, avec l'objet dans les mains. Finalement, fuir avec cet étrange objet était aussi une réaction tout à fait naturelle pour quelqu'un qui n'avait rien: plutôt que de le rendre, il était possible de le troquer contre de la nourriture ou des vêtements... Restait à voir si son propriétaire peu dupe allait chercher à la rattraper pour le récupérer ou simplement ne se rendre compte de rien du tout et la laisser partir. Toutes les solutions étaient possibles et envisageables après tout.

[Newton vient de là bas, tout cabossé et truffé de mouchards du NOD]

D'après mon horloge interne, ça fait 5 heures 37 minutes et 12 secondes que je déambules en longeant les murs.
J'ai du me tromper de chemin. Je suis vraiment perdu sans mon œil. Il ne m'a pas raté, cet insurgé. Et les NODs non plus.

crouic klank clic clac crouic klank clic clac

Ma démarche boiteuse fait plus de bruit que d'habitude.
J'entends aussi la pluie sur ma carrosserie. J'espère qu'elle est encore assez étanche, sinon je risque un court circuit.

Je suis aveugle, j'ai une fuite d'huile et si je ne trouve pas une prise pour recharger ma batterie d'ici une vingtaine d'heure, je vais m'éteindre.

Si au moins j'avais la parole, je pourrais demander de l'aide pour retrouver mon chemin... enfin si je trouvais quelqu'un qui voudrait bien parler à un chien rouillé dans mon genre.

J'arrive à l'angle d'un mur.
Est-ce que je le longe vers la droite ou est-ce que j'avance tout droit jusqu'au prochain ?
Est-ce que j'avance vraiment droit quand je crois aller tout droit ou est-ce que ma patte tordue me fait dévier de ma trajectoire ?
J'ai un peu de mal à analyser toutes les données. Avec tous les coups que j'ai reçut, ce n'est pas vraiment étonnant. Je me suis sacrément fait secoué les puces. Je crois que mes appareils d'équilibrations en on pris un coup aussi, car j'ai l'impression que le sol est incliné sur la droite partout où je vais.

Je vais essayer tout droit.

crouic klank clac clic crouic klank clac clic crouic klank clac paf

J'ai heurté quelque chose.
Quelque chose de plutôt mou apparemment.
Quelque chose qui bouge.
C'est vivant ?
Peut-être les jambes d'un passant. Il m'avait bien semblé avoir entendu parler. Je voulais les éviter, mais j'ai du dévier de ma trajectoire.

Est-ce que j'arriverais à retrouver l'atelier en étant désorienté à ce point ?
Il faut essayer de toute façon.
Ou me mettre en veille et rester là à attendre qu'on vienne me chercher ?
Mais qui viendra me chercher ? Emilie ? Et si quelqu'un d'autre me trouve avant elle, qu'est-ce qu'il fera de moi ? Qui voudrait se coltiner un tas de ferraille boiteux ? Ou bien pour me revendre en pièces détachées peut-être ? Que j'entende quelqu'un évoquer seulement cet idée et je tire. Si ça n’atteint pas la cible, ça la dissuadera peut-être de me toucher.

"Ex... excusez moi..."

La jeune fille a parlé, Matteus se retourne donc juste a temps pour la voir partir en courant. Elle semble porter un objet contre elle, cela est suspect. Elle aurait volé quelque chose au mentaliste ?
Matteus doit prendre une décision: Reprendre sa route ou la rattraper pour voir ce qu'elle cache.

En temps normal la discrétion est la première priorité, condition absolue à la réussite du mentaliste. Mais là n'est pas un temps normal.
Elle est dangereuse, elle a vu Matteus et lui a adressé la parole. Peut être l'a-t-elle identifié comme un mentaliste ? Ou a-t-elle utilisé son objet pour marquer Matteus ou lui faire un prélèvement ?
A partir du moment où ils sont entrés en interaction, les dés étaient jetés. Il aurait du s'en rendre compte plus tôt, il a perdu le droit à l'initiative.

Il s'élance donc à sa poursuite, rapide mais discret, le plus furtif possible. Ce n'est pas évident en courant, même avec son pouvoir. Il sent un regard se poser sur lui, aperçoit un homme le dévisager, et puis un deuxième et un troisième, cela sent mauvais.
Mais heureusement cela ne dure pas longtemps, il la rattrape rapidement alors qu'elle s'engouffrait dans une ruelle déserte. Il la pousse, sans violence, pour qu'elle aille un peu plus loin, là où on ne les entendra pas. Elle dos au mur, il se positionne de manière à surveiller les environs.

Il parle alors, d'une voix calme et posée.
Qu'est ce que vous avez en main ? Pourquoi vous êtes vous enfuie ?

Alors qu'il termine sa question, Matteus sans quelque chose lui toucher la jambe. Pourtant, il regardait...
C'est une sorte de chien robot, décidément les objets de petites tailles sont presque invisibles pour lui.

C'est à vous ?

[HRP]Désolé, je ne peux pas faire mieux ce soir.[/HRP]

Ma fuite avait été de courte durée. Avec mes petites jambes, je ne pouvais pas aller bien loin avant de me faire rattraper par le propriétaire de l'objet. Ce n'était pas vraiment prévu, rien n'avait été prévu en fait. J'avais improvisé tout en me servant de ma base de données, tout en me servant des aptitudes/attitudes apprises, inculquées et/ou imprimées en moi.. Il n'était pas difficile de jouer la comédie pour un humain, mais moi je n'étais pas humaine. Déceler ma vraie/fausse personnalité, mes vraies/fausses émotions ou manies était quasiment impossible, quasiment seulement... Car je restais presque humaine, de part le dernier organe que je conservais de mon existence passée. Donc sujette à erreur.

Courant le long des immeubles crasseux, franchissant flaques d'eau et évitant les gouttes fines de ce temps taquin, je m'étais engagée sans vraiment le savoir dans une ruelle qui ne disposait que d'une seule sortie. Et avant même de l'atteindre, l'homme rencontré précédemment me bloqua le passage, poussant mon corps frêle dans une voie sans issue... A l'abri des regards, des oreilles indiscrètes. Rapidement acculée à un mur, je n'avais déjà plus d'échappatoires. Même avec mes données sur les lieux, j'avais été piégée par cet homme. Il connaissait parfaitement l'endroit, où alors c'était juste un manque de chance pour Lyly.. L'aura qu'il dégageait, sa taille intimidante... Non, il n'était pas n'importe qui. Mais... qui était-il exactement?

L'expression de la peur, les symptômes de la peur. J'avais peur. Tout en n'ayant nullement crainte. C'était un rôle joué, mais joué à la perfection. Seulement... La part humaine qui me restait semblait anxieuse également, dévoilant peu à peu un signal d'alarme et de danger. A croire que ma nature était indélébile, même conditionnée et prête à servir ou à mourir pour ceux que je sers... Il restait un petit quelque chose en moi d'humain, même si je n'étais plus qu'un drone.

Les mots de l'homme semblaient rassurants, mais.. Il ne fallait s'y fier. Elle ne pouvait se fier à personne de toute façon. Les terroristes pouvaient être n'importe où. Les insurgés pouvaient être n'importe où. Les criminels, les trafiquants et autres hors-la-loi qu'elle devait traquer pouvaient être n'importe où. Alors... Ce côté calme pouvait bien cacher tout et n'importe quoi.

Tendant les mains en tremblant, dévoilant l'objet rond prêt à être récupéré par son propriétaire légitime, je n'en menais pas large, bredouillant quelques excuses à voix basse...

"Je suis désolée, je ne voulais pas... Je l'ai trouvé par terre, si.. si j'avais su que c'était à vous... Je vous le rends... Je vous le rends..."

L'être humain est une créature imprévisible. Elle l'a toujours été. C'était donc à moi de faire attention, de calculer le moindre risque et d'anticiper les évènements pour rester opérationnelle le plus longuement possible pour confondre tout ce petit monde.. La seconde demande de l'homme afficha une interrogation dans l'esprit de Lyly... 'C'est à elle'? Qu'est-ce qui était à elle? Ouvrant les yeux doucement, les mêmes pupilles qu'elle avait fermé peu avant sous la crainte, elle vit un étrange appareil au sol... Un chien mécanique? Il semblait en plutôt mauvais état, et la pluie n'aidait probablement pas.. L'homme demandait donc si cette chose lui appartenait? La réponse était non, bien évidemment. Un 'non' qui fut exprimé pour un mouvement de tête significatif.

Silence...

Allait-il se contenter de récupérer l'objet et partir? Ou désirait-il être dédommagé par la jeune fille? Habillée en souillon, sale, il était clair qu'elle n'avait rien à donner ni à offrir, si ce n'était ses organes, dans le cadre des trafics du genre. Comment allait-il réagir? Qu'allait-faire cet homme grand et intimidant? Tension, suspense, doute, crainte, tension à nouveau, et...

"Aaaatchaaaa!..."

Et ça, aussi, oui. Vilaine pluie, vilain vent frais!

Cela en valait la peine finalement, Matteus est soulagé. Si cet objet était tombé entre les mains des insurgés le mentaliste aurait probablement perdu la tête, au sens propre. Il range le précieux objet dans la poche intérieure de sa veste, il devra le rapporter à son maître le plus vite possible.

Il ne lui reste plus qu'à laisser la petite fille se débrouiller seuls et à reprendre sa mission. A cette exception près qu'elle a répondu non de la tête, ce n'est donc pas son chien. Il y a anguille sous roche, ce chien n'est pas l'un des modèles vendus par le gouvernement. Quand bien même cela serait le cas, il ne devrait pas être là, les gens du coin ne devraient pas pouvoir se payer un engin pareil.

Matteus se met donc accroupi pour mieux examiner la bête mais sans la toucher, c'est plus prudent. Impacts de balles sur tout le corps, fuite d'huile, une sorte de canon fixé sur son dos, œil unique crevé et l'une de ses pattes semble hors service... Il en a vécu des choses ce robot.

Insurgé, probablement. Mais après tout ce n'est pas étonnant.
Probablement un produit de l'artisanat local, il aurait survécu à une attaque de NODs ? Possible, dans ce cas il n'est pas négligeable. Outre les informations sur son constructeur, il serait important de savoir si les exilés sont capables de lancer la production en masse de tels robots.

Bonjour le chien. Tu m'entends ? Si oui fait aller ta tête de bas en haut.

Jeune fille, connaissez vous le quartier ? Y-aurait-il un endroit où nous pourrions nous abriter ?

Je ne sais pas vraiment ce qu'ils fabriquent tous les deux, mais ça m'a l'air louche. La jeune femme est terrorisée, ça s'entend à sa voix. Il semblerait qu'elle ait pris quelque chose au monsieur. Quelque chose d'important sans doute.

Puis il parle d'une autre chose qui appartiendrait peut-être à la demoiselle. Elle ne lui a pas répondu ou alors pas avec des mots. Tout cela titille ma curiosité artificielle. Comment savoir quelles sont ses choses dont ils parlent ? Ce bruit de tissus indique-t-il que l'un des objets est rangé dans la poche d'une veste ? Une chose de petite taille ?

Je règle au mieux mes micro pour que la scène sonore m'apparaisse le plus clairement possible.
Il parait que quand un humain perd la vue, ces autres sens se développent pour compenser cette cécité. Ce qui n'est pas mon cas. Je ne peux pas pousser mes capacités auditives au delà ce que le matériel me permet. Il faudrait qu'on me démonte pour les remplacer par d'autres plus puissants. Ce sont des choses bien intrigantes que les capacités d'adaptation et de régénération du corps humain. En revanche il est moins aisé pour eux de changer un œil ou autre organe défaillant. Je n'aurais pas besoin de bandage ni d'un temps de récupération lorsqu'on m'aura réparé.

Sans mains humaines et qualifiées pour me remettre en état, j’admets qu'une cicatrisation organique spontanée serait bien plus avantageuse et pourrait m'éviter de tomber en pane. Mais à quoi bon penser l'impossible. Je suis une machine et ne serait jamais un humain en chair et en os comme ceux qui se tiennent devant moi. Si j'avais un cerveau fonctionnant comme le leur et non une IA, je pourrais croire que je suis envieux de leur condition.
C'est ce que font souvent les humains, ils se comparent avec ce qu'ils ne sont pas, déplorent de ne pas avoir les avantages d'autrui et cela les rend triste, parfois même violents. Une violence qui n'a même pas pour but d'obtenir ces avantages mais seulement de nuire à celui qui les as. La jalousie, comme bien d'autres émotions, n’amène pas un comportement logique et constructif.
Quant à ma réflexion, elle reste relativement stérile, elle aussi. Mais j'ai été conçut par des humains qui ont jugé utile de me programmer de telle sorte que je sois curieux, que je réfléchisse pour apprendre toutes sortes de choses même si elles n'apportent aucune amélioration à ma condition.

J'entends la voix de l'homme plus clairement. Il est plus proche et moins haut situé. Il a du se baisser pour se mettre à la hauteur du "chien".
Je l'entend, même très bien, alors je fais comme il dit de faire, je bouge ma tête de haut en bas. Ça grince.
En plus des coups que j'ai pris, je suis peut-être en train de rouiller. Si la jeune fille connait un endroit où s'abriter je ferais bien de les suivre. Avec un peu de chance, l'un d'eux pourra m'indiquer la proximité d'une prise de courant.

La jeune fille n'a pas le temps de répondre que Matteus ne lui accorde déjà plus aucune attention. Ce fut furtif, mais il intercepta le regard d'un insurgé. Un regard désireux, avide et remplis d'intentions dont la bonté dépend de quel côté on se trouve.
Matteus ne devrait pas intervenir, il devrait laisser se passer les choses comme il se doit. C'est son rôle, la réminiscence de l'ombre d'un fantôme perdue dans les ténèbres de la nuit. Impossible à voir si on ne le cherche pas, anodin, une silhouette à peine entraperçue.
Un témoin et rien de plus, aucune action si ce n'est celle de rassembler les informations. Une vie par procuration sans réel plaisir ni aucune expérience, juste de l'imagination et des connaissances théories.

Mais Matteus en a plus qu'assez d'une telle vie, surtout que son père adoptif lui a donné le droit de désobéir à cette règle il y a bien longtemps, à la seule condition que ce soit sa volonté. Pas pour obéir à un ordre ou à une règle, mais pour satisfaire ses propres désir.
Donc, s'il le veut, il peut désactiver son pouvoir et se montrer au grand jour pour faire fuir la vermine qui voudrait s'en prendre à ses deux "compagnons", ou bien rester cacher et les regarder agresser la gamine et démonter le chien.

Que faire ? Ce qu'il veut, mais que veut-il ? Il veut survivre, il veut avoir plus d'informations, il veut de l'action. Ca fait tellement longtemps l'action, depuis que les mentalistes ont tué sa famille alors qu'il n'était qu'un enfant. Cela serait si bon, de dégainer son arme et de lire l'étonnement dans les yeux de l'insurgé qui s'approche maintenant.

Mauvaise idée.

Son arme au poing il a désactivé son pouvoir. L'insurgé n'avait rien vu venir et s'est arrêté stupéfait. Derrière le mentaliste un cri, une petite fille qui voulait sortir de l'immeuble par la ruelle est arrivée au mauvais moment.
Ou au bon... Oui en fait, Matteus fonce vers elle et maintient la porte ouverte. Il ordonne aux insurgés de filer avant de faire rentrer la fillette et le chien dans le couloir.

Des petits appartements modestes, la plupart des locataires sont ailleurs à travailler ou truander. Une chance, l'immeuble appartient au gouvernement, le mentaliste peut donc désactiver l'alarme avec son code de service, et même ouvrir les portes.
Le trio est désormais dans un petit deux-pièces au rez-de-chaussée. Il a apporté des serviettes et une couverture à la petite fille pour qu'elle puisse se sécher et s'est approché du robot.

Je peux t'examiner ? J'ai des connaissances en robotique, je pourrai peut être t'aider.

Des connaissances, il n'a que ça... Alors pour une fois il va les utiliser !

De l'agitation, des cris mais que le son et pas l'image. C'est pas pratique.
On me pousse. Je pense que c'est le monsieur qui est pas loin, celui qui semble avoir de bonnes attentions. Peut-être qu'il aime les chiens.
Je me laisse entrainé quelque part où le sol ne résonne pas de la même façon sous mes pattes de fer. Le son de la pluie est assourdi comme derrière un mur.
On est à l'intérieur d'un bâtiment, mais je ne sais pas lequel.

Si j'avais plus de capteurs tactiles, notamment sous les pattes, je pourrais identifier la nature du sol avec plus de précision. Je devine seulement que ce n'est plus du bitume.
Si j'avais des capteurs thermique, je saurais s'il y a du chauffage ou si je suis dans une pièce ouverte avec des courants d'air.
Le vent. Juste pouvoir sentir la brise du vent, ce serait déjà une information.

Mon premier corps, créé pour servir le NOD, était complexe avec une dizaine d'options sensorielles. Celui que m'a confectionné Emilie est d'une simplicité... handicapante. Ce mot prend d'autant plus de sens que je ne perçoit plus aucune image. Je n'ai rien d'autre que l'audition, le sens de l'équilibre et quelques capteurs grossiers pour savoir quand je me cogne dans un mur.

Ces conditions ne sont pas suffisante à ma survie.
Moi qui fut jadis plus fort qu'un homme, avec les capacités pour neutraliser les nuisibles et protéger les bons citoyens (si on met de côté quelques bugs et la lenteur de chargement de certaines tâches), je me retrouve plus vulnérable que ces êtres fragiles fait de chair et de sang.
Dans un corps comme le miens, dans l'état où il est, un cerveau humain serait sans doute terrorisé. Mon IA se contente d'être en alerte et de me rappeler mon programme de survie comme une priorité.

Est-ce que c'est ça ma directive première : me préserver ? La première directive première était de neutraliser les hors la loi, mais j'ai du ignorer cet ordre tellement de fois que c'est tout juste si j'y prête encore attention. C'est désormais un programme inutile, obsolète. Je ne sais pas exactement à quel moment l'un à pris le pas sur l'autre. Peut-être que c'est un vice de fabrication, un défaut qui présent dans mes circuits depuis le début.

En tout cas, ma survie semble dépendre des ces personnes, présentement.
A force de vivre dans le corps d'un chien, je suis devenu dépendant des hommes, comme un chien. Tout être humain peut donc décider de mon sort comme de celui d'un animal inférieur ?

Je suis docile. Je ne fais plus preuve d'aucune résistance quand cet homme me pousse dans une pièce que je ne connais pas.
Je ne sais même pas au nom de quoi je dois survivre. Je ne sert plus à rien. Je ne suis pas grand chose. J'aurais pu être détruit il y a peu, en accomplissant ce pour quoi j'ai été conçut à l'origine.

C'est compliqué le libre arbitre. On fait des choix sans toujours savoir ce qui est le mieux. Parfois ce dit qu'on aurait pu faire autrement mais il est déjà trop tard et il faut faire avec les pièces qui vous sont données.
A défaut d'une vision opérationnelle, je me repasse les images enregistrées dans ma mémoire. Je cherche l'erreur, réfléchis à d'autres stratégies et tente d'apprendre des choses à partir de mon passé. Je suis programmé pour ça : apprendre.
Mais à quoi bon apprendre sur ce qui est révolu ? Je peux revoir avec précision chaque détail de chaque moment passé. Je peux retrouver et analyser chacune de mes erreurs mais je ne peux pas les corriger.
Je n'ai plus la vue, seulement des images avec des choses que j'ai raté. Toujours les mêmes images, pas de nouvelles. L’œil inutile, n'ayant que la mémoire à repasser.

Voir ses erreurs, penser un autre passé qui ne sera peut-être jamais plus réalisable, être insatisfait du présent... c'est bien ça le regret ?
Je n'ai pourtant pas été fait pour regretter ni pour me laisser apprivoiser par le premier venu, comme un chien.
Je n'ai pas été préparé pour ce genre de situation. Mes concepteurs n'avaient surement pas prévu ça, toutes ces choses qui sont arrivées depuis la décharge où Émilie m'a ramassé jusqu'à aujourd'hui.

Le monsieur demande à m'examiner. Il veux m'aider. Bien sûr, j’acquiesce avec ma lourde tête en haut et en bas trois fois de suite. J'ai besoin d'aide.
Mais pourquoi ? Qui a besoin de moi ? Émilie ? Et si je ne la retrouve pas, quelle sera ma fonction ?

Matteus est ravi d'avoir eu l'autorisation d'examiner le robot. Le ravissement est peut être exagérer, mais il y a tout du moins une certaine joie mêlée à l'excitation de faire quelque chose de nouveau, voire d'enfin faire quelque chose tout court.

Il s'approche du chien et se met à genoux pour mieux voir. Il aperçoit les visses qui tiennent le capot en place, l'une d'entre elles est d'ailleurs manquante.

Ne bouge pas, je vais devoir t'ouvrir pour examiner. Je vais chercher du matériel dans l'appartement.

Car Matteus n'est pas mécanicien de formation, et n'en n'a donc pas les outils contrairement aux connaissances. Il part donc fouiller les différentes pièces alors que dehors la nuit tombe.
Bien entendu le propriétaire n'a pas de nécessaire à bricolage, puisque le bricolage est un loisir et donc interdit, mais il a des couteaux, du gros scotch et divers ustensiles de la vie de tous les jours qui pourront servir au mentaliste.

Me revoilà, tu es prêt ?

Il commence par ouvrir le capot et constater l'étendue des dégâts. Divers fils sont sectionnés, le câble d'huile est troué, une partie des circuits à grillé et... il y a des mouchards du NOD partout !
C'est une chose peu banale que de voir un robot insurgé qui doit envoyer bien quinze signaux différent à la police des pensées. C'est gênant aussi, il faut espérer que ces sauvages ne feront pas une descente maintenant.

Mais qu'importe: cette affaire est celle des mentalistes désormais, aussi Matteus n'a-t-il aucun scrupule à détacher autant de mouchards qu'il peut à l'aide du couteau. Il fait cependant très attention à ne pas les endommager pour qu'ils continuent d'émettre, car tout changement alerterait la police.

Le NOD t'as placé des pièces parasites, je dois les enlever pour ta sécurité.

En farfouillant dans le corps du mécha-chien, le mentaliste a trouvé une batterie raccordée à une prise de courant. Il demande donc à Newton de le suivre pour qu'il puisse le brancher tout en surveillant que rien ne prend feu.
Ouf, cela semble fonctionner.

Si tu te rends compte que cela surchauffe préviens moi en te déplaçant vers la droite et je débrancherai directement, compris ?

Il faut maintenant s'atteler à la réparation en elle même, enfin dans ce qui est possible c'est à dire pas grand chose. La fuite d'huile est colmatée et certains fils sectionnés sont plus ou moins raccordés mais cela ne fonctionnera pas vraiment.

Voilà, c'est terminé. Si possible j'ai besoin que tu mettes certains programmes en veille. Celui pour gérer la vision par exemple, je ne pourrai pas réparer ton œil.

Il se recule et laisse le capot ouvert, cela a le double avantage de réduire les risques de surchauffe et de lui permettre de surveiller le bon déroulement du fonctionnement du robot.

Je l'ai laissé faire tout ce qu'il voulait, acquiesçant de temps en temps à ce qu'il me disait.
Apparemment, j'ai bien fait de lui faire confiance.
Mon niveau d'huile est un peu faible, mais il ne baisse plus. Ma batterie se recharge, branchée sur le secteur. Je ne savais pas que je risquais une surchauffe, mais il y a pallier en me laissant le dos ouvert. Ça c'est un truc que les humains ne peuvent pas faire : s'ouvrir le dos quand ils ont trop chaud. J'ai déjà essayé sur un rebelle, du temps où j'avais mon corps de NOD, et ça l'a tué. Plus tard, on me l'a bien fait payer.

L'humain qui prend actuellement soin de moi m'a aussi retiré des parasites que j'ignorais porter. Mais ce qui m'étonne c'est qu'il ait dit "je dois les enlever pour ta sécurité." Pour ma sécurité, mais pas pour la sienne ? Aussi, je ne perçoit pas trop d'inquiétude dans sa voix. Il semble plutôt sûr de lui. Je note également une forme de détachement quand il parle de NOD. Il ne les craint pas ? En tout cas pas comme la plupart des rebelles qui masquent leur peur dans le mépris.
J'en prend note.

Qui peut bien être cet homme paraissant peu émotif ? Un mécanicien comme Emilie ? Il a l'air de savoir ce qu'il fait.
Je passe la plupart de mes fonctions en mode veille, comme il me le demande, qu'il puisse travailler à sa guise. La vision, la visée, la locomotion, l'équilibration, les capteurs tactiles... je ne garde que le contrôle de mes centres vitaux, l'ouïe et les fonctions cognitives essentielles en marche.

Je crois que ça lui plait de s'occuper de moi. Il vient de faire l'essentiel : m'éviter la panne. Mais ne compte pas s'arrêter là.
Trouve-t-il une quelconque utilité à me réparer ? Est-ce que je pourrais lui servir à quelque chose ? Ou est-ce qu'il agit par altruisme avec une vision plus ou moins anthropomorphique de ce que je suis ? Ou peut-être qu'il aime juste le bricolage...

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Temps gris, temps de pluie [Complètement Libre]

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