Les pièces se mettent en place - Partie 1

Pourquoi ? Mais pourquoi ? Avait-il fallut que Phil l'embrasse ? Qu'est-ce qui lui était passé par la tête ? Pire, il l'avait embrassé sans le mettre dans son lit ! Si au moins ils avaient conclus il y aurait eu une fin. Maintenant la boite de Pandore était ouverte, toutes les suppositions lancées dans l'air. Son nouvel homme de l'ombre pouvait imaginer n'importe quoi.

Phil se reprit, se rappelant le triste bonhomme que Lester s'acharnait à être ; cela devait surement lui sembler sans intérêt, préférant se morfondre dans sa misère fictive. Le magnat du divertissement concevait facilement que de provenir d'une cuve ne devait pas être facile tout les jours, se considérait-il seulement comme humain ? Mais Lester en faisait trop à son gout. Qu'à cela ne tienne, du moment qu'il faisait ce pour quoi il était payé.

La Bentley filait à travers la circulation matinale, Henry se tenait les côtes et hurlait de rire :

- Pourquoi ? essayait-il d'articuler. Tu as complètement perdu le sens commun !
- Fuck off, maugréa Phil. C'est le seul truc que j'ai trouvé pour qu'il arrête de geindre.

Henry reprit se respiration, hoquetant encore par moment :

- Oh, you made my day ! Tu l'affranchis, lui files un appartement et lui fait un petit bisou. On se croirait dans ce vieux film, Pretty Woman ! À la tienne !

Il leva sa tasse de café et ria encore. Phil changea de siège, s'installa à côté de lui et renifla sa tasse.

- Je le savais ! Tu as mis du whisky !
- Hey ! Tu nous fait bosser un dimanche ! répondit Henry.

Ce dernier fixa Phil dans les yeux, un sourire complice aux lèvres.

- Et toi ? demanda-t-il.
- Earl Grey et rhum, répondit Phil en détournant le regard, faisant mine de rien.
- Je t'aime, frangin.
- Tu l'as dit toi même c'est dimanche.
- Tu es un putain d'hypocrite mais je t'aime quand même.

Henry claqua la cuisse de Phil alors que le véhicule s'immobilisait au pied du nouvel immeuble du mentaliste et Mason l'appela.

- J'ai le droit de faire des blagues ? demanda Henry.
- Tu te tiens tranquille s'il te plait. Pas de vagues. On doit bosser.
- Entendu patron !

Lester attendait, assis, pitoyablement, sur le perron de cet immeuble fricos. Il avait changé d'habits pour ses habituels vêtements en vinyle (on ne se refait pas, vingt-neuf ans d'habitude tout de même...). Aujourd'hui, pantalon gris, moins seyant que le blanc mais plus discret. Un gris foncé, qui tirait sur le bleuté. Pour le reste, il avait revêtu un T-shirt tout ce qu'il y avait de plus banal, caché sous son manteau long. Et il tenait dans ses mains le costume de Phil Mason, dûment repassé, plié, enroulé dans un étui plastique transparent. Et tout cela... de ses mains propres ! Lester n'avait pas payé de repasseuse, service auquel il aurait eu droit. Mais il n'aimait pas l'idée d'être, tout à coup, un riche.

D'un certain côté, il avait toujours été à l'abri du besoin, avec des moyens qu'on aurait pu décrire comme équivalents aux « anciennes classes bourgeoises ». Lester se complaisait dans la médiocrité, voire dans une pauvreté feinte. Se shooter à l'ombre d'une poubelle, pisser dans le caniveau, se rouler dans la décharge, coller son corps froid contre les cuisses encore humides d'une prostituée bon marché. Vivre la médiocrité (c'est encore un euphémisme) lui donnait l'impression d'exister, comme s'il devait se prouver qu'il était bien vivant, se persuader qu'on a choisi de vivre comme ça, donc qu'on a encore un peu de liberté. « C'est ma putain de vie, laissez-moi traîner mon sac où je le veux ! »

Évidemment, Lester n'avait pas dormi dans son nouvel appartement, qui, rien qu'à cause de toute cette surface, lui donnait la gerbe. Trop grand, trop spacieux. Lester avait l'impression que les murs tanguaient et que le sol, sous ses pieds, ondulait, comme dans un bateau. Ainsi, il avait compris qu'il était sensible au mal de mer.
Et puis les chiottes étaient trop loin. S'il fallait faire plus de quatre pas, c'était mort, fallait partir plus tôt alors, et il n'avait pas DU TOUT envie de se presser, lorsque, le cul sur le canapé, le haut du corps sur le plancher, il se laisser aller à un semi-coma bienfaiteur.

Lester avait retrouvé son appartement, son chez-lui, le vrai, ces quatre murs de béton qui l'avaient vu grandir. Il avait ouvert le frigo qu'il savait vide, et avait essayé de boire une canette de boisson énergisante. Quelle joie de la recracher dans l'évier quand le goût âcre lui avait rappeler que cela faisait trois mois qu'elle attendait. Il avait senti le mélange café/guacamole jusqu'au petit matin.

Entendre les gueulantes des autres mentalistes durant la nuit allait lui manquer. Sérieusement même.

Une voiture s'engouffra jusque devant l'immeuble. Lester se releva, un peu pantois, sourire béat sur les lèvres, petit « coucou » de circonstance. On est pas dans cendrillon, il n'allait pas adopter les allures d'un prince en une nuit ! D'ailleurs, il ne se souvenait plus trop de ce que Phil attendait de lui. Toujours trop exubérant de l'avoir choisi lui, le résidus de bêcher. D'ailleurs, c'était moins aberrant que son baiser, avant de partir. Phil devait être de ces automates qui se délectent de leur pouvoir sur les autres, notamment en s'estimant pouvoir faire n'importe quoi avec n'importe qui n'importe quand et en n'importe quelle situation. Soit, si ça lui plaisait.

— Hello world !
Et le voilà engouffré dans la Bentley. Joli bolide, soit-dit en passant.
— C'est quoi notre programme ?
Ben oui, un peu de sérieux quand même... Ca peut jamais faire de mal. Et il vaudrait mieux pour Lester se faire bien voir par son patron, et pas cafouiller dès le premier jour de boulot !

Il y a son associé. Lester a un peu la honte, mais il le dit quand même :
— Et tient, le costume que tu m'avais prêté...

Henry essayait de se contenir depuis que Lester était monté dans la Bentley, son regard fuyait et il se mordait la lèvre à moitié dans une nouvelle tentative pour ne pas rire. Bien entendu toute cette tension se répercutait légèrement sur Phil, qui essayait de ne pas tomber de le piège, il savait qu'avec la fatigue ses nerfs pouvaient le lâcher et qu'il partirait en fou rire également si Henry ne se calmer pas.

Le mentaliste s'était installé et avait directement demandé le programme, un bon point pour lui, même si Phil ne pouvait encore lui répondre, bien trop occupé à agripper discrètement le bras de son associé pour faire taire ses gloussements. Lester allait finir par mal le prendre s'il continuait ses hoquets hilares. Mais lorsqu'il rendit son costume à Phil, Henry fit un petit bond et sortit son ordinateur de poche, une tablette tenant dans la main et fit quelques manipulations.

Phil allait répondre à la question de Lester lorsqu'un son de batterie sortit des enceintes du véhicule, suivit d'une musique que Phil avait déjà entendu. Encore quelques notes et il bondit à son tour lorsqu'il se rappela enfin de quoi parlait Henry. Un très vieux film en effet.

- Mais tu arrêtes tes conneries oui ! le disputa Phil en essayant de lui prendre son pad.

Quelques secondes de bataille puérile et tout revint à la normale, les deux acolytes se calmèrent et Phil reprit comme si tienne s'était passé.

- Bien, on va retrouver un contact et ensuite on va pouvoir commencer, j'espère que tu es en forme aujourd'hui, on part à la chasse.

Il y a quelque chose dans l'air, comme de l'électricité, presque quelque chose d'aussi pesant que l'âcre goût qui s'empare des bronches avant un orage, mélange de chaleur, d'humidité et de terre. Insidieusement, la main de Phil cramponna le pantalon de Henry, son associé, et les ongles, comme une pince, se mirent à racler le textile. Pourquoi le griffait-il ? Lester sentit la gène poindre.

Il commença à s'imaginer des choses. C'était vrai, trop étrange, ce richissime homme qui se comporte comme... comme quoi ? Pas comme il devrait en tout cas, et qui semble communiquer télépathiquement avec son associé. C'est possible ? Sans doute, avec toutes les nouvelles électrodes qu'ils vous foutent dans le cerveau au Temple, l'option télépathie devait y figurer. Lester avait toujours refusé leurs merdes, ce qui n'avait fait qu'un peu plus exacerber ses supérieurs. Si déjà il est nul, mais qu'en plus il refuse d'améliorer le rendement...

Un rire refoulé s'échappa des lèvres d'Henry, et Phil se contracta, ne laissant, pour sa part, qu'échapper un mince filet d'air. Ils pouffaient ? Lester ne comprit pas, jusqu'à ce que la musique s'élève.

Et là, incapable de se retenir.

Il rit à son tour, vraiment.

Pourquoi ? Aucune idée ! Mais il y avait quelque chose de drôle à voir son patron et son associé (pour ne pas dire autre chose) se chamailler dans la Bentley (ouais, une BENTLEY merde !) tels deux tarés sodomites fraîchement échappés de l’hôpital psy.

Un peu de sérieux (si peu?). Aller, on fait mine de vouloir savoir la suite :
- Si vous voulez...

Henry regarda Lester, étonné par le fou rire que ce dernier avait eu. Soit il connaissait ce fim vieux de plus de cent ans, soit il était encore plus bizarre que ce qu'il croyait.

Phil échangea quelques mots avec le mentaliste, laissant entrevoir de l'action, mais rien de précis. Lester acquiesça brièvement, sans plus de questions. Phil observait attentivement Lester, surtout pour ses premiers jours, il voulait en découvrir le maximum sur sa façon d'agir et de travailler afin d'en tirer le plus de rendement.
La transition entre le Temple et les entreprises Mason s'était manifestement faite rapidement, il lui mangeait dans la main et obéissait sans broncher. Il allait tout de même falloir lui insuffler de l'initative, en faire une pièce pensante et ingénieuse, et non le pantin que le Temple avait formaté à recevoir bêtement des ordres.
Peut-être était-ce pour cela que Lester n'avait jamais été un bon mentaliste ? Si on se contentait de lui donner des directives sans lui montrer le magnifique dessein qui se cache derrières, cela devait paraitre fade et dénué d'intérêt.

Le véhicule filait dans une circulation aérienne de plus en plus dense, au bout de cinq minutes, le trafic ralenti et ils durent affronter les bouchons dominicaux.

- Et merde, dit Henry en regardant par la fenêtre. On en a bien pour une demi heure.

Il ouvrit la porte et se pencha au dessus du vide pour regarder en haut et en bas.

- Et c'est bouché partout, dessous et dessus.

Il ressortit son pad et chercha de quoi passer le temps.

- Je ne connais pas tes gouts musicaux Lester, reprit-il. Mais j'aime énormément le rock du 20e siècle.

Il appuya sur une touche et le son des guitares électriques résonna dans l'habitacle arrière.

- 171 ans et toujours aussi bon à écouter, cria Phil par dessus la musique.

La bentley continuait à avancer au pas, tandis qu'Henry s'occupait de la musique et que Phil parlait avec Lester. Trente minutes plus tard, ils serait enfin au Cozumel.

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