Musique d'ambiance


La vermine grouille. Elle est partout. Tout autour de moi. Les ventes crapuleuses, les clochards puants, les prostituées qui se vendent... en plein jour, aux yeux du peuple indifférent. Quel quartier pourri. J'erre dans ces rues, à la recherche d'un endroit où me rafraîchir, le temps de quelques minutes. Mais la simple vue de ces êtres immondes me donne la nausée. Rien qu'à voir leur apparence, cela en dit long sur leur personnalité. Des dégénérés, des malintentionnés, des ennemis. Je n'ai pas choisi le meilleur quartier de cette ville, Zach. Et pourtant, c'est en se familiarisant avec l'ennemi qu'on peut mieux le cerner. A les voir se mouvoir, ils semblent vivre de leurs magouilles. Les dockeurs qui passent de la marchandise illégale en douce, les commerçants qui fourguent toutes sortes de drogues. Ils doivent utiliser un système pour ne pas avoir à entrer en contact l'un et l'autre. Respecter la distance du receleur et de l'acheteur. Enfin...

Je marchais, slalomant dans la foule, esquivant ceux déjà imbibés d'alcool qui titubaient, et les autres qui ne prêtaient attention à rien, qui semblaient aussi vides qu'une bulle d'air. Je m'assis à la table du bar qui semblait le moins miteux possible. J'avais beau être sous couverture, je n'en restais pas moins répugné par ce genre d'endroit grouillant de parasites. En attendant la venue du barman, je portais mon magnétophone à la hauteur de ma bouche.


" Zach, il est quatorze heures vingt-quatre minutes. Le temps est couvert. Je suis à la terrasse du... "Jack-n'a-qu'un-oeil", un bar pittoresque, contrastant avec ce décor urbain étouffant. Ma cible m'a échappée, hier. J'étais vraiment près du but cette fois-ci. Mais tout ce que j'ai récolté, c'est trois cadavres supplémentaires. Néanmoins, je sais qu'il est dans cette ville, et qu'il y restera. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, je suis sous couverture, le bureau m'a envoyé ici pour démanteler un réseau d'insurgé qui alimenterait le commerce illégal de drogue et produits détournés. De tels actes, criminels, qui plus est, vont à l'encontre des valeurs de Novlangue City et de celles que prônent nos dirigeants. Il faut rééduquer cette population sans repaire, car sans discipline, ils ne feront que vivre dans le pêché. Nous devons leur dicter leurs actes, car sinon, rien de bien ne se dégagera d'eux. Il suffit d'observer ce qu'il se passe sous mes yeux "

Je remarquai que le barman me fixait de loin. Certes, il n'était pas de coutume qu'un client fasse l'usage d'un magnétophone. Néanmoins, avec le bruit ambiant, personne n'avait entendu le moindre mot. Alors tant qu'il se contentait de faire son travail, c'est à dire sourire, prendre commande, servir, et sourire à nouveau, alors tout allait bien se passer pour lui. Il vint d'ailleurs me voir et pris ma commande. Je ne pris qu'un simple verre d'eau, puis me mis à observer les alentours. Et, plus précisément, les dockeurs, et les vendeurs. J'épiais chacun de leurs gestes. Ma spécialité, c'était le langage corporel. Un simple mouvement de doigt pouvait en dire long sur la relation entre deux personnes. J'observais également leurs vêtements, leur démarche, leur regard, leurs petits gestes... Tous, ils étaient tous suspects. Et à la fin de la journée, je devais remplir mon quota impératif. Deux personnes minimum. Alors autant bien faire mon boulot, et me concentrer pour attraper les criminels, plutôt que d'avoir, à nouveau, à faire porter le chapeau à un innocent.


Je bus quelques gorgées pour me dessécher la gorge. Le temps passait lentement. Si je ne remarquais pas rapidement quelque chose de suspect, j'allais devoir changer de bar. Rester trop longtemps à un même endroit risquait d'attirer l'attention. J'étais concentré sur ma mission, mais le temps d'un regard indiscret sur la foule, je ne pus m'empêcher de remarquer une femme. Sa démarche et son apparence témoignait une telle assurance qu'il n'en résultait que deux possibilités. C'était une femme de convictions, par conséquent, ou bien elle appartenait au N.O.D, ou bien elle était du côté des insurgés. Et au vu de son expression morne, il n'y avait pas de doute possible. C'était une "collègue". Mais que venait-elle faire dans ce quartier ? J'espérais qu'elle n'allait pas entraver ma mission, si tant est qu'elle daigne me remarquer. Auquel cas, ma couverture n'était pas si perfectionnée.

Il y avait maintenant trois heures que l'agente Arto filait la nouvelle recrue Cooper.. Elle devait juger de son intervention sur le terrain. Espionner les nouveaux n'était pas rare mais ce n'était pas non plus habituel. Ce n'était pas non plus dans les missions favorites de l'agente, particulièrement dans ce quartier pourri, mais elle comprenait l'importance de savoir si on pouvait se fier ou non aux collègues et par conséquent, elle s'était donnée à fond. Il n'y a pas de mission bâclée lorsqu'on est un NOD digne de ce nom. Cooper s'était découvert l'appel pour l'ordre et la justice de Novlangue sur le tard et il importait de s'assurer qu'il soit apte à accomplir ses tâches de façon satisfaisante.

Son dossier indiquait qu'il avait déjà reçu une formation complémentaire qui lui permettait de rejoindre l'équipe des recrues malgré son âge. La nature de cette formation était classée confidentielle. Arto ne ressentait aucune curiosité à cet effet. Seul lui importait le résultat et il semblait que celui-ci soit concluant.

Il avait faillit la repérer six fois malgré qu'elle soit hautement formée à se fondre dans les foules, c'est à dire capable d'imiter de façon convaincante les attitudes de toutes les classes et se faisant, rester parfaitement anonyme. Un bon score. Bien supérieur à ce qu'on pouvait attendre d'un nouvel agent. Six fois elle avait sentit son regard curieux qui s'attardait sur elle et elle s'était éclipsée aussitôt afin de changer de déguisement dans la camionnette banalisée qui la suivait à quelques rues de distance.

Une fois son idée faite sur les divers points forts et faibles du nouvel agent, elle s'avança à visage découvert près du bar de dépravé où il macérait et attendit de voir combien de temps il lui faudrait pour la repérer. Il lui fallut exactement 5 secondes. Arto soutint son regard afin qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur le fait que la reconnaissance soit réciproque. Elle lui adressa un signe de tête afin de lui faire savoir qu'il devait la suivre. Pour qu'il n'ait aucun soupçon sur son identité, elle lui adressa l'un des signes secrets de la faction et se mit à marcher vers une rue transversale attendant qu'il la rejoigne.

(si tu ne me suis pas, ou que tu prévois autre chose, j'éditerai dac ?)

Lorsqu'il fut à sa hauteur elle lui adressa le salut réglementaire d'un signe discret tout en continuant à marcher.

- Je suis l'agente Arto. Votre mission est terminée pour aujourd'hui. Je vous ai observé ces trois dernières heures et je vais maintenant vous faire mon rapport. Dit-elle d'un ton froid et détaché. Le secteur n'est pas sécuritaire. Nous monteront dans ce véhicule

Elle indiqua du regard une vieille camionnette roulante qui se dirigeait lentement vers eux.

Le NOD Cooper lui balança son rapport sans y avoir été invité. Elle y nota une certaine contrariété, probablement celle d'avoir été interrompu dans sa mission. Elle le foudroya du regard.

- Vous n'avez pas été invité à faire votre rapport agent Cooper. Je ne suis pas votre supérieur hiérarchique. C'est à un supérieur que vous devez vous rapporter.

Elle le dévisagea à la recherche de signe de contrariété de s'être ainsi fait rappeler à l'ordre.

Elle boucla sa ceinture alors que le véhicule se mettait en branle.

- Vous avez été efficace. Dit-elle abruptement. Votre point le plus fort est votre sens de l'observation. Supérieur à la moyenne. Votre positionnement physique est en général choisi positivement et vous êtes assez discret dans vos observations pour éviter de vous faire remarquer.

Elle lui accorda un regard qui n'était certes pas un encouragement mais plutôt la confirmation que son opinion sur son travail s'avérait positive sur les aspects qu'elle venait de soulever.

- Ceci dit, et considérant votre habileté, certains de vos agissements me laisse perplexe agent Cooper. De un, le verre d'eau. Les dockers ne vont pas traîner dans les bars pour boire de l'eau. C'était malhabile. Vous vous en souviendrez. À cet effet, consultez le document "Mission de filature" tome 2, chapitre 3, "Couverture". Il contient les boissons appropriées à consommer dans chaque milieu où vous pouvez vous retrouver. N'hésitez pas à le consulter dès que vous êtes appelé pour une une telle mission.

Elle l'observa à nouveau afin de s'assurer qu'il comprenait l'importance de sa semonce.

- De deux, vous vous êtes inutilement mis en danger agent Cooper et avez risqué de faire échouer la mission. Dit-elle d'un air presque furibond. Veuillez me remettre votre enregistreuse immédiatement.

Elle n'arrivait pas à comprendre ce geste stupide qui défiait l'entendement. Un agent aussi compétent qui attire sur lui une attention indue pour enregistrer des commentaires qui ne peuvent qu'être superflus dans le contexte. Il y avait anguille sous roche.

L'agent Cooper en refusant de lui remettre son magnétophone devint immédiatement suspect. Bien entendu, selon le règlement, il n'avait pas à obéir à un collègue hiérarchiquement égal. Cependant, comme elle l'avait clairement informé que cet objet représentait un danger important pour lui et pour sa mission, son refus d'obtempérer indiquait qu'il plaçait cette stupide habitude au dessus de la sécurité et de l'ordre de la faction. Il violait de ce fait a règle la plus importante sur Novlangue : le bien commun domine le bien individuel.

De plus, son petit discours sur la place à tenir dans la hiérarchie ne pouvait venir que d'un novice. Les choses étaient plus complexe que plus haut ou plus bas. Ce nouvel agent semblait quelque peu naïf. Elle nota que son refus de se soumettre indiquait par là qu'il était du genre forte tête. Ce n'était pas un mal. C'était même un préalable pour se voir accorder des missions qui demande d'avantage d'initiative. Il restait cependant du chemin à faire pour que la force de cette tête soit un plus au lieu d'un danger pour la faction.

Arto avait le fascisme dans le sang, elle ne tolérait aucun écart mais elle savait également juger du potentiel d'un agent, recrue de surcroît. Elle choisit de tenter de le ramener à l'ordre avant de devoir faire un rapport qui mènerait à une intervention plus radicale des autorités NODs.

- Agent Cooper, je vais vous donner une chance. Une seule. Dit-elle avec un air qui ne prêtait pas à rire. L'objet que vous portez n'est pas réglementaire et par conséquent, illégal. Votre bracelet contient un enregistreur connecté à la centrale et il vous est possible d'y déposer toutes les preuves verbales nécessaires à votre mission. Cet objet n'est donc en rien essentiel et le fait qu'il "ne soit pas des plus discret" met en danger vous, votre mission et donc toute la centrale. Aucun docker n'enregistre ses pensées sur magnétophone ce qui dans cette situation, vous désigne au néon en tant qu'indic ou en tant qu'agent. Si vous refusez de me remettre cet objet immédiatement, je devrai considérer qu'il contient des preuves potentiellement incriminantes et vous serez mis aux arrêts sur le champ le temps de faire enquête.

Elle le fixa sévèrement, prête à réagir immédiatement.

- Me suis-je bien fait comprendre agent Cooper ?

(Désolé pour le magnéto, mais tu conviendras qu'il serait impossible que les NODs tel qu'ils sont présentés tolère un truc qui sert à collecter les pensées personnelles, Sorry Par chance, pas besoin de magnéto pour pouvoir les lire dans ta tête )

( Pas de soucis, je comprends. Je tiens quand même à le récupérer par la suite, pour des RP plus personnels )

Comme attendu, Arto n'en démordait pas. Elle employa l'ultimatum envers moi, et je ne comptais pas opposer plus de résistance pour entacher ma carrière d'une enquête inutile. Arto était sans nul doute le genre de personne à appliquer la loi d'une main de fer. Elle semblait connaître le code sur le bout des doigts. Chose normale pour un NOD, mais moi, j'avais encore du mal avec certains passages. C'était comme connaitre par cœur les règlements d'appartement. Un mécanisme qui peine à rentrer. Quoi qu'il en soit, elle campait sur sa position, et je n'avais pas vraiment le choix. Je savais pertinemment ce qui m'attendait en arrivant ici, et je n'ai pas choisi cette voie par hasard. Je décidai donc de m'en remettre à ma collègue et lui tandis le magnétophone.

"Voilà, tenez. La cassette y est également. Elle contient toutes mes observations faites aujourd'hui. Gardez la cassette si vous voulez, mais une fois que vous aurez terminé vos vérifications, j'aimerai récupérer le magnétophone, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Je l'utilise dans le cadre d'une enquête privée qui dure depuis plusieurs années. Mais vous avez du consulter mon dossier, vous savez donc que quelques notes en font mention."

Je n'avais rien à cacher, par conséquent, qu'elle ait mon bien m'importait peu. Je devais simplement le récupérer, et le garder sous-sceller, en attendant que l'assassin se manifeste à nouveau. Je me tus brièvement puis pris la peine de rajouter une petite phrase.

"Bien, si je dois répondre à des questions, je vous écoute. "

Je restais impassible face à Arto. Elle semblait avoir un coeur de pierre, mais cela m'intéressait. Elle pense dans mon sens, mais avec un sens de l'honneur presque parfait. Je me demande si elle a su mettre ses sentiments de côté, puisqu'elle n'était pas puçée. Ce genre de personne, robotique à en être affolant, était pourtant intriguant. J'ai encore bien du chemin à parcourir, Zach. La personne que je traque est forcément sur le même pied de pensée qu'elle.

L'agent Cooper lui remit l'objet du litige en demandant qu'on le lui rende si c'était possible.

Forte tête oui, mais pas con. À son avis, un bon agent qui s'avérait mal dégrossi pour l'instant. Il ne valait donc pas la peine de s'attarder d'avantage sur cette erreur qui lui resterait cependant en mémoire à jamais et sur lequel elle ferait rapport, bien entendu. Clairement, il y avait une émotion qui se rattachait au magnétophone. Ce n'était pas une question de plaisir, visiblement. L'agente fut donc plus encline à ne pas en faire un cas.

Elle sortit un sac de plastique stérile d'un filet noir près du banc et glissa le magnéto dedans. Elle scella le sac puis déboucla sa ceinture. Elle se leva et attrapa une petite poignée de fer près du plafond de la camionnette. Elle tira et une petite trappe s'ouvrit en basculant. Elle y déposa le sachet et referma la trappe. Un petit clavier jusqu'ici invisible, s'illumina de vert. Elle y inscrivit la date et le numéro de la mission puis se rassit et reboucla sa ceinture.

- Vous pourrez récupérer cet objet auprès de votre commandant si il juge bon de vous le rendre. L'informa Arto.

Il la regarda fixement et elle crut tout d'abord déceler un certain défi.

"Si je dois répondre à des questions, je vous écoute. "

Non, ce n'était pas un défi. Il se posait en collègue, l'invitant à en finir et à vider son sac si jamais il y en avait un qui trainait dans le coin. Arto fut en accord avec cette attitude. Les non-dits ne servaient que les traitres. La clarté franche et nette entre les agents était ce qui servait le bien commun.

- Votre dossier contient peu d'information. dit Arto en le regardant dans les yeux. La plupart sont classés confidentielles. Il y est cependant inscrit que vous avez une formation complémentaire équivalente et il y est mentionné également vous étiez jadis sur l'affaire d'un tueur en série. Une affaire qui, si je ne m'abuse, n'a jamais été résolu.

Arto garda le silence quelques instants, question que Cooper réalise qu'elle donnait à cette information, toute l'importance qui lui était due.

Puisque vous m'y invitez, je vous poserai cette question ...

Arto s'avança vers lui en posant ses coudes sur ses genoux. Une position d'écoute attentive, d'égal à égal.

- Quelles sont vos motivations à faire partie des NODs agent Cooper ?

Si Arto en avait été capable, elle aurait probablement été triste pour Cooper. Un agent avec autant de potentiel mais dominé par tant de stupides émotions était presque du gaspillage. À cet effet, l'agente trouvait que le remplacement progressif des NODs humain par des cyborg était une très bonne chose. La meilleure peut-être qui soit arrivée à cette ville. L’humanité qui transparaissait de ce discours lui déplaisait au possible. Elle était cependant disposée à évaluer que cet épanchement provenait de son inexpérience de la culture NOD plutôt que d’un défaut intrinsèque.

Elle haussa les épaules devant la question de son collègue.

- Si votre formation n'a pas réussi à vous permettre de dominer vos émotions agent Cooper, je crains que mes conseils quel qu'ils soient ne sauraient vous aider. Sachez seulement ceci. Les émotions sont le pire ennemi que vous aurez jamais. Il est de votre devoir de les broyer. Vous devez les anéantir. Ajouta-t-elle froidement. C’est ce qui fait la différence entre un bon agent NOD et un agent médiocre. Et un agent médiocre restera toujours un danger pour la faction. Il est irresponsable, illogique et indigne de confiance. Bon à classer des dossiers.

Ce n’était pas une semonce. Il n’y avait nulle menace, nulle morale. C’était l’étalage objectif de faits concrets et prouvés.

- Malheureusement, il n’est pas toujours possible d’éliminer complètement les émotions humaines. Nous ne sommes pas implantés. Certaines doivent donc être gérées. Ajouta Arto d’un air sérieux, comme s’il lui déplaisait d’aborder ce sujet. Il vous incombe d’identifier celles-ci et d’agir avec discernement. À cet effet, je vous suggère de consulter le manuel « Gestion d’états humains » tome 4 qui aborde cette question. Ceci dit …

Arto dévisagea son collègue comme si elle mesurait son intelligence et sa capacité d’entendement. Dire qu’elle éprouvait de la sympathie pour lui aurait été une lourde erreur. Imaginer qu’elle appréciait ce collègue l’aurait été encore d’avantage. Elle évaluait plutôt que l’agent Cooper pourrait être un excellent rouage de la machine NOD aussi, il importait de l’orienter de manière efficace afin que la centrale puisse profiter de ses qualités sans avoir à pâtir de ses défauts.

La gestion d’émotion chez les NODs était un phénomène grandement étudié et documenté. On avait essayé les drogues, les implants modifiés, le dressage Pavlovien et de nombreuses autres techniques mais chacune amoindrissait le potentiel des agents. Certaines désorientaient le jugement, d’autres diminuaient l’efficacité ou encore, dans le cas d’implants, permettait à un tiers d’influencer un agent à ses propres fins. La seule solution viable consistait donc à identifier puis à mettre à profit les émotions incontrôlables qui échappaient à la domination de la conscience. Dans le cas de l’agent Cooper, et de son propre aveu, les émotions reliées à son enquête faisaient clairement partie de ce groupe. L’ignorer ne servirait pas le bien commun.

- ... Ceci dit, toutes vos bonnes intentions ne serviront de rien agent Cooper. Cette enquête non-résolue entravera votre travail et nuira à votre efficacité quoi que vous en disiez. Je vous conseille de référer au psychogestionnaire de la centrale. Si vos soupçons sur l’activité d’un assassin sévissant dans notre ville sont convaincants et que vos aptitudes sont jugées suffisantes, vous devriez normalement vous voir confier l’enquête ou du moins, y être affecté.

Lors de la formation, on leur avait présenté des films d’époque où un sergent délestait un policier d’une enquête pour le seul motif qu’il y était trop impliqué. En général, le policier faisait enquête de son côté et résolvait l’affaire sans en avoir le droit. On leur avait confirmé que c’était une situation récurrente avant l’avènement du nouveau monde et plus étrange encore, que ces policiers rebelles étaient félicités plutôt qu'éliminés. Cette lucidité cinématographique et cette inefficacité concrète donnait envie de pleurer. Aujourd’hui, on savait utiliser efficacement ce type d’intérêt. Si on le jugeait apte, l’implication émotionnelle d’un agent pouvait en fait grandement servir le bien commun. Si cet assassin sévissait réellement, nul autre que l’agent Cooper n’arriverait à le coincer plus rapidement et avec plus d’efficacité.

- Avez-vous des preuves de ce que vous avancez agent Cooper ? Demanda Arto en le dévisageant.

Arto ne souhaitait pas d'un tueur à Novlangue en effet. Comme elle ne souhaitait pas que s'y trouve aucun de ces maniaques qui tirent plaisir de ce qu'ils font. Tout comme elle souhaitait également que l'on démolisse la maison dépravée des valkyrie. Arto souhaitait un monde propre.

À ce titre, les assassins étaient moins criminels que les fornicateurs. Les fornicateurs étaient deux (et plus) à éprouver du plaisir tandis que les assassins ne partageait aucunement le leur. Cependant, comme ces tueurs menaçaient l'ordre public, créant des vents de panique dans la population et minant la confiance envers le gouvernement, ils étaient des criminels de haut niveau et donc, plus préoccupants au final que les fornicateurs.

Cooper avoua tout de suite son imperfection. Arto fut en accord avec son attitude. Mieux valait reconnaître ses faiblesses que les nier si on souhaitait être fort.

- Cette cure nous attend tous agent Cooper, du moins, tant qu'il y aura des humains chez les NODs. Ces documents sont spécialement préparés pour nous aider à l'accomplir. Il n'en tient qu'à vous de choisir le chemin le plus long ou le plus court.

Toute sa formation, on avait bourré le crâne d'Arto et de celui de tous les NODs avec ce type de propagande. Aussi, à ses yeux, Dieu n'aurait pu avoir plus de sagesse et de bon sens que ces bouquins bourrées de recettes pour devenir le parfait fasciste.

Cooper s'anima en parlant de son assassin. Ses yeux brillèrent, sans pourtant qu'on y décèle de l'emportement. À son avis, il pouvait être le type d'enquêteur impliqué auquel la centrale accordait leur mission. Ceci dit, ce n'était pas à elle d'en décider. De plus compétents qu'elle s'en chargeraient. Cependant, en tant que collègue, rien ne l'empêchait de le mettre dans la bonne voie.

- Les victimes sont peu de choses en comparaison de la stabilité du gouvernement agent Cooper, ne l'oubliez pas. C'est ce qui rend un assassin dangereux et c'est ce qui intéressera vos supérieur. dit Arto en lui indiquant ainsi la manière de procéder

- Votre dossier contient la mention de différentes missions auxquelles vous avez été affecté afin d'illustrer vos compétences mais il y a peu de détails sur l'affaire dont vous me parlez. Étiez-vous sur l'équipe envoyée sur les lieux du crime de Novlangue ?

L'affaire lui apparaissait intéressante. Une sorte de casse-tête très complexe.

- Dites-m'en plus. Demanda-t-elle alors que le camion passant dans un trou sur la chaussée les fit sauter de leur siège.

Sa jambe frôla celle de l'agent Cooper. Elle s'empressa de la retirer et de reprendre vivement sa place. Ces véhicules roulants, bien que pratique pour les missions dans les bas quartiers, était vraiment une sale pourriture.

Arto écouta attentivement les information que lui donna l'agent Cooper.. Bref, net et sans fioritures . Un bon résumé. L'affaire était inquiétante. Elle trouva surprenant que la centrale ne lui ait pas donné plus d'importance. Ils avaient leur raisons que d'ailleurs il n'était pas ses affaires de juger, par contre, certaines erreurs pouvaient toujours être commises. Il serait judicieux de relancer la centrale à ce propos afin de s'assurer qu'on avait pas laissé filer cette information ou du moins, qu'on lui avait prêté attention. Elle l'inscrirait dans son rapport.

L'agent Cooper lui demanda ensuite si elle avait jamais éprouvé des émotions. Cette demande lui déplut profondément. Si elle avait jamais éprouvé quoi que ce soit, elle ne souhaitait pas s'en souvenir. Le seul fait d'y penser frôlait l'impureté. Elle lui lança un regard glacial.

- Vous dépassez en effet le cadre professionnel agent Cooper. Cette question ne vous regarde en rien et la poser est indigne d'un NOD. Si vous avez des interrogations de ce type, référez-vous au psychogestionnaire de la centrale. Trancha-t-elle sur un ton qui ne prêtait pas à rire.

Cet agent avait encore du chemin à faire avant d'être un NOD digne de ce nom (... ou du moins, un NOD tel qu'Arto considérait qu'un NOD devait être. C'est à dire parfaitement robotique.) Le véhicule s'arrêta soudain et une petite lumière verte s'alluma au dessus de la porte pour indiquer que les agents pouvaient descendre. Arto se leva et ouvrit la porte brusquement. Elle descendit du camion et se retrouva dans le débarcadère du stationnement. Elle se retourna vers son collègue.

- Tenez-moi au courant de cette enquête, dit-elle d'un ton neutre comme si rien ne s'était passé. J'en ferai mention dans mon rapport et verrai à ce qu'on lui accorde l'attention qu'elle mérite.

Elle se retourna et entra dans la centrale sans autre forme de procès. L'affaire soulevée par l'agent Cooper était plutôt inquiétante. Elle serait intéressée à être mise dans l'équipe dévolue à l'enquête si enquête il y avait. Clairement, Cooper aurait besoin d'être surveillé.