J’ai sauté
Plouf!, les chaussures à mon cou et l’eau qui a voulu m’emporter au fond. Au début, j’ai trouvé ça plutôt amusant. Visiter le fond de l’eau, c’est une expérience comme une autre. Une sorte de retour aux sources. Je dis ça en pensant au ventre de maman, sauf que lui était fait d’acier et de verre. Avant, je savais boire la tasse sans m’étouffer ni me noyer. Mais, j’ai compris que c’était avant.
J’ai touché le fond, et j’ai soufflé des bulles dans l’eau en observant un poisson nager. Je n’avais encore jamais vu un poisson nager. Pas d’aussi près. C’était amusant, un joli poisson qui volait dans l’eau. Au bout d’un temps trop court, je n’avais plus de bulle. C’est là que j’ai compris que je n’étais plus un nouveau-né et que couler au fond de l’eau c’était un problème. Il m’en a fallu du temps. Mais grandir, c’est pas facile quand on n’a pas une maman pour expliquer. Mon père lui, calculait, pensait, réfléchissait, mais ne parlait pas. J’ai souvent regardé ce vieux balai qu’on avait oublié contre le mur en pensant à lui. L’un comme l’autre avait ce trait commun, de ne rien dire.
Je suis l’enfant d’un récipient et d’un balai. C’est pas très heureux comme parentalité.
Au bout des bulles, je me suis dit qu’il fallait remonter. J’ai alors repensé à Archimède. J’ai poussé très très fort sur mes jambes, et j’ai touché le haut de l’eau.
J’ai respiré et pataugé jusqu’à la rive. Là, je me suis allongé sur le dos pour contempler le miracle.
Mais je n’en n’avais pas conscience, pas encore. Je savais seulement que j’étais bien, que le mur était devant moi, et que j’étais de l’autre côté.
J’ai du m’endormir. Et puis, j’ai marché. Ça avait l’avantage de nous faire sécher, mon baluchon, mes chaussures et moi.
J’ai tellement marché. J’ai semé des miettes de pain, un peu. J’ai respiré tellement fort que j’ai eu le vertige. La liberté, quand on ne la connait pas, c’est enivrant.
Et puis, il y avait tout le reste. Tout ce que je soupçonnais mais que je n’avais jamais vu, écouté, touché, senti…
Alors, j’ai tout regardé, tout écouté, tout touché, tout senti. Et c’était bon.
Si bon, que je souriais seul, et je riais fort en regardant le ciel et le bleu, et le soleil qui m’obligeait à fermer les yeux.
Si bon, que je suis tombé par terre, à genoux parce qu’il ne pouvait en être autrement. La beauté, la grâce, je ne pouvais que la saluer.
J’ai couru ! Dans tous les sens, n’importe comment, de travers, en biais, sur la tête ! J’ai du grimper jusqu’en haut, dans les nuages pour les sculpter et en faire des personnages drôles qui embrassaient le ciel. Je voulais que la lune rougisse quand elle sortirait de sa cachette, tout à l’heure. J’étais coquin, espiègle comme un enfant qui découvre.
J’ai bu l’eau de la rivière. Une eau si pure, si fraiche, et vous savez quoi ? Elle avait un gout… je ne savais pas que l’eau a un gout.
J’ai marché et couru encore, encore et jusqu’au milieu d’un pré. Je crois que ça s’appelle comme ça, un pré. Et au milieu, il y avait un arbre géant. En vrai, il n’avait rien de géant, mais je l’ai voulu très grand. Pour voir encore plus loin.
J’ai grimpé dans l’arbre sur la plus haute branche !
Et là… j’ai tout vu…
Tout…
J’ai arrêté de respirer, parce qu’il le fallait. Pour tout entendre. Tous les bruits que je connaissais. Et qui n’existait plus. Perché sur la plus haute branche, j’écoutais ce que je n’entendais plus. Et c’était magnifique. Si dieu est magnifique, alors j’écoutais dieu.
Je me suis allongé à califourchon sur la branche. La plus haute. Les jambes pendantes dans le vide.
J’ai touché l’écorce et regardé les fourmis aller et venir comme des petits Hommes. Sans me lasser. Et puis le soleil a disparu. Je savais que ça arriverait. Mais, j’ai senti mon cœur dire ouille. Comme un pincement à l’intérieur. Je n’étais pas préparé. Le temps a passé trop vite.
J’ai enfoui mon visage dans le feuillage qui avait grimpé avant moi, et qui avait enveloppé l’arbre et puis la branche comme un grand pull-over. La nature est généreuse. Elle pense aux arbres qui pourraient s’enrhumer.
J’étais un peu triste de me retrouver seul tout à coup. Sans le soleil, les jours ne seraient plus jamais les mêmes.
Je me suis réveillé un peu en sursaut. Un bruit étrange qui semblait venir de partout et pas loin. Comme un grondement presque animal.
Un peu effrayé, je me suis redressé appuyé sur mes coudes. Pour voir, comprendre. Quel est ce bruit étrange ? Et puis, encore ce même bruit. Mais diffèrent.
J’ai compris. Je n’avais rien mangé depuis des heures. Et mon ventre qui résonnait contre l’écorce venait de me le rappeler.
Et j’ai vu. La lune.
Je crois que mes yeux m’ont joué un vilain tour. Comme si quelqu’un faisait pousser une tour de Pise dans les chutes du Niagara.
J’ai perdu beaucoup d’eau. Des larmes épaisses et chaudes qui voulaient absolument couler. J’ai bien essayé de les contenir. J’ai serré fort les paupières ! Mais, ça n’a pas suffi. Les larmes coulaient et coulaient et mes joues se mouillaient. J’ai ri quand elles ont glissé sur mon cou. J’ai eu un fou-rire. Dans la nuit, j’ai ri aux éclats en contemplant la plus belle chose que j’avais vue. La lune.
Il y a longtemps, j’ai voulu dessiner un sourire à la lune. Je venais de comprendre que c’était idiot. Comment dessiner un sourire à la lune ? C’est impossible. Il suffit de savoir bien la regarder pour savoir. La lune est un sourire. On ne peut pas dessiner un sourire à un sourire. Ce serait inutile. Et on pourrait le gâcher.
Je me suis retourné pour m’allonger sur le dos et voir… tout ! Je voulais tout voir, tout le ciel, toutes les étoiles qui le remplissaient comme un océan de couleurs qui brillent partout en vrac. Je les ai comptés ! Oh pas toutes… non, c’est impossible. Il y en a tant. Et j’ai compris ! Et j’ai joué à saute-mouton toute la nuit, jusqu’à tomber de fatigue, les yeux lourds et le regard comblé. Et puis des rêves plein la tête.
Mes tiroirs n’avaient plus besoin d’être remplis. Les jolies choses étaient là, partout, sur la terre, et dans le ciel. Et perché sur ma branche, je me remplissais d’elles.
Au matin, les premières lueurs m’ont réveillé et rendu encore plus heureux. Le soleil n’était pas parti ! Il était là, et il brillait ! Mes yeux pleuraient encore. Sans doute parce que j’étais ébloui.
Parfois, j’oublie que la terre est ronde.
C’est idiot quand on n’a pas de maman pour nous dire l’essentiel.
Je respirais fort, j’aspirais la vie, les odeurs, les lumières, le chant de mon ami l’oiseau sur la branche d’à côté, et puis le souffle du vent qui me décoiffait, et la chaleur du premier soleil, et les étoiles qui brillaient encore dans ma tête, les yeux plein d’étincelles, le regard apaisé. C’est à ce moment-là, que j’ai compris le sens du mot liberté. C’était ça, le miracle.
J’étais heureux.