[Venant de là]

J'avais eu le droit à toute la leçon de morale nécessaire en chemin. Tiens toi droite, souris, sois gentille, fais pas trop l'idiote. Ne le tue pas de préférence. Enfin ne sois pas Nej quoi. En résumé.
Oui, maman. Je ne dirais pas trop de conneries, ni de gros mots, promis.

De là à cacher que j'ai une personnalité... Comment dire, avec mon piercing au nez je perds déjà en crédibilité.

Puis elle m'a laissée une fois qu'on s'est retrouvées en vue de l'immeuble. C'est que moi j'avais l'air parfaitement normal, elle clairement pas. Elle m'a quand même glissée que j'avais pas intérêt à me défiler, qu'elle me surveillait de là-haut avec une belle arme entre les mains. Hey, en passant Nyny, j'en voudrais une aussi !
En attendant, je la croyais même si je doutais quelque peu de ses capacités à appuyer sur la gâchette.

- Bonjour madame bien sapée, j'ai rendez-vous avec Mr Torkef.

Me regarde pas comme ça blondasse, les blousons en cuir c'est indémodable. Et c'pas parce que j'suis pas dans un tailleur moulant qui t'empêche de marcher que j'ai pas rendez-vous pour de vrai avec l'autre automate.

Assis dans mon fauteuil, je sirote un verre de cognac en me demandant si j'ai bien fait de suivre Nyriss dans son projet.
Elle n'a pas été ravie, comme je l'avais prévu, d'apprendre le prix que je demandais. Mais il faut dire que je n'ai pas été du tout ravi non plus d'apprendre l'explosion du laboratoire et la mort de tous mes ingénieurs.
Cela a fait tâche dans notre petit cercle. La disparition soudaine d'autant de spécialistes de la robotique ont déjà fait jaser certains et éveiller les soupçons. Le mot "Orgienne" revient de plus en plus souvent dans les conversations.

Je suis interrompu dans mes réflexions par  une voix moqueuse qui s'adresse à ma secrétaire dans la pièce voisine.
je me lève et vais ouvrir la porte, saluant mon invitée.

Vous devez être Nej. Je suis Erek Torkef, ravi de vous rencontrer.  
J'espère que votre... arrivée.. s'est bien passée et que vous vous faites vite à votre nouvel environnement.

D'un geste de la main, je l'invite à entrer et à s'asseoir. Un verre vide est posé à coté des bouteilles sur une petite table à coté.

Je vous sert quelque chose?

Je l'observe sans me cacher. Elle a tout d'une humaine. Rien ne laisse paraître que c'est une Orgienne. Quel contraste avec Nyriss, que j'avais revue aussi après son travail. Au contraire, Nyriss était devenue encore plus robotique, si l'on puis dire.

- Oh ben je me sens comme un pied dans son gant.

C'est comme ça qu'on dit non ? Mouarf, rien à foutre. Donc voilà le Torkef.
En fait, je l'avais déjà vu, via Nyriss, enfin via nous quoi. Même si elle m'a enlevé quelques souvenirs bien choisis. Je le sais parce qu'elle me l'a dit.

Je m'assis sans aucunes manières, posant mes bottines sur la table basse. Clairement qu'on voit la différence de style entre elle et moi. Si ça peut t'aider à comprendre pourquoi ce besoin urgent de se séparer de moi. Ah non, c'est vrai, c'était altruiste.

- Un bon vieux whisky, vingt ans minimum steup !

Mais bon fallait quand même que je joue le jeu. Un peu.

- Sacrée chose que l'IA hein ? On programme des trucs bidons dans des circuits, et hop, ça pond des trucs improbables. Enfin je dis ça, je dis rien.

Ouais, je parle de Nyny en fait mais c'est pour faire genre.

- Sinon, désolée pour l'incident, j'ai un tantinet sous estimé ma force en balançant le barbu vers l'étagère de produits chimiques. D'un autre côté, croyez bien que Nyny a puisé tout ce qu'elle pouvait de connaissances auprès d'eux, si un jour vous avez besoin d'une opération du cerveau ou quoi, z'avez qu'à lui demander... Elle vous en doit pas mal je crois... Même si je sais que me rencontrer ça vaut son pesant de cacahuètes.

Elle n'a pourtant pas grand chose d'une Orgienne. A sa façon de parler, son attitude nonchalente de poser les pieds sur la table, on dirait plutôt avoir affaire à une jeune rebelle en pleine crise d'adolescence qu'à une merveille de technologie intelligente.

Son expression légèrement déformée sur le pied et le gant me tire un sourire, bien que je ne laisse rien paraître de plus.

Hm... Vous avez des goûts de luxe ma chère, mais je vous comprends, il faut bien en profiter un maximum pour rattraper le temps perdu..

Je choisis une de mes meilleures bouteilles de whisky et lui sert une généreuse rasade dans le verre en cristal. Je prend le verre et le lui tend généreusement, avant de m'asseoir en face d'elle après m'être servi la même chose.

Je l'écoute entrer dans le vif du sujet, me parler de la technologie. Je ne dis rien, hochant simplement la tête à ses remarques sur les improbables surprises de l'intelligence artificielle.
Puis elle enchaîne sur l'incident du labo et un air sceptique prend place sur mon visage. Je ne suis pas dupe et les efforts de Nyriss pour maquiller un tant soit peu ce qu'il s'est passé n'ont pas su me convaincre.
Je soupçonne les deux Orgiennes de n'avoir voulu aucun témoin, personne qui n'aurait pu dire de quoi était vraiment faite cette Nej...

Un bien regrettable... incident.. en effet. Avec ceci qui n'était pas prévu dans notre accord, je considère effectivement qu'elle me doit quelques retours de service. Votre rencontre était la contrepartie pour votre liberté, mais le carnage qui a été fait augmente le prix de ce que me dois Nyriss... Ne sous-estimez pas ma contribution dans ce projet, sans moi vous ne seriez pas là!
Les connaissances de votre collègue dans les nombreuses spécialités scientifiques seront nécessaire pour réparer le préjudice de la disparition de mes spécialistes. Sans compter que cela peut aussi vous porter préjudice.
Déjà les soupçons se sont éveillés dans les hautes sphères...

J'évitais de l'accuser ou de la menacer directement, mais ma voix s'était faite plus dure. J'étais clairement mécontent de la tournure des choses et je n'hésiterais pas à modifier quelques termes du contrat si je devais en ressortir perdant par leur faute. J'entendais bien profiter des compétences de Nyriss en compensation des scientifiques tués.

Puis j'enchaîne sur un sujet un peu plus badin, mais qui pourrait m'en dire long sur elle.

Alors, que comptez-vous faire de cette nouvelle vie? Quelles compétences allez-vous mettre à profit? A moins que vous ne souhaitiez juste en profiter pour vous amuser sans compter, ou pour voyager peut-être?

Ma curiosité était sincère, bien que sur le ton de la plaisanterie.

- Elle fera, elle fera. Elle est trop honnête pour vous dire non.

J'attrapai aussitôt mon verre et plongeai mes lèvres dedans avec toute la non-élégance qui me caractérisait. Mais vu comment c'était bon -ça me rappelait le temps passé avec ce connard de Daïre - je ne le buvais quand même pas d'une traite, j'avais des manières des fois.

- Ce que je compte faire ? Ça va vous décevoir mais oui, juste profiter. Y'a trop de choses que j'ai jamais eu le temps de faire lors de ma précédente vie, qui fut malheureusement écourtée assez vite. Ça doit vous dire quelque chose. Nyriss m'a fait un cadeau et je compte bien l'honorer. Toute à l'heure, je mangeais un bon gros burger, et demain je compte bien me faire tatouer. Voyager ? Faut voir, y'a quelque chose en dehors de ce trou à rat ?

Je lui lançai alors un petit regard moqueur, accompagné d'un sourire.

- Z'êtes déçu hein ?

Elle ne contredit rien quand à ma légitime colère vis à vis de l'"incident" qui s'est produit dans l’entrepôt. Je crois qu'en réalité, elle s'en fiche complètement. Je soupçonne qu'elle n'est pas étrangère à la mort de mes scientifiques et qu'elle relègue volontiers les retombées à Nyriss.
Une vraie garce en somme. Un léger sourire vient à mes lèvres à cette pensée. Sacrée Nyriss! Son honnêteté et son sens de la justice la perdra peut-être.

Je regarde Nej boire son verre avec un certain manque de raffinement, mais sans aller dans le grossier non plus.
C'est alors qu'elle raconte ce qu'elle compte faire. Et sa réponse ne me surprend guère. Elle badine, elle plaisante, mais je pense qu'elle est sincère. Elle compte reprendre plus ou moins son ancienne vie. Et je ne doute pas, bien qu'elle n'en dise rien, qu'elle fricotera à nouveau avec les insurgés comme du temps de sa première vie.

Peut-être n'ais-je pas joué très finement cette partie en fin de compte.J'ai perdu mes scientifiques renommés et gagné une nouvelle ennemie en devenir... Mais bon, je ne suis pas trop du genre à m'en faire pour un rien. J'aviserais le moment venu s'il le faut.

A vrai dire, je ne le suis qu'un petit peu. J'aurais pu m'attendre à quelque chose de plus... grandiose, mais je me doute que ce sont les petits plaisirs simples de la vie qui vous ont manqués..

Un regard vers son verre presque vide.

Je vous en sert un autre?
Pour l'extérieur, il parait qu'il y a de beaux paysages en dehors du Dôme, mais la vie n'y serais pas aussi douce...

A mon tour d'être moqueur, cette Orgienne m'amuse beaucoup à vrai dire.

Eh bien je ne puis que vous souhaitez de bien profiter de votre liberté retrouvée. Avez-vous un endroit où loger?

Marrant qu'il fasse référence à mon petit programme alors que je parlais de moi en générale. Avec Nyriss il avait dû s'attendre à du grandiose en effet. Mais non, difficile de faire mieux qu'elle de toute façon. Moi j'ai pas de prétentions, je veux juste vivre tranquille.

Je lui tendis mon verre en signe que j'en voulais bien encore, et même encore après ça. Et ainsi de suite.

- Si vous m'invitez dans votre palace cinq étoiles, je vous remercie, mais c'est non, j'ai déjà connu ça et puis mes fesses en inox ne craignent pas une vie plus spartiate. Enfin, en vrai j'ai juste pas confiance.

Je bus mon verre d'une traite et reposai mes jambes au sol, posant mes mains sur mes genoux comme pour me relever mais sans encore bouger.

- D'ailleurs c'est pas tout ça, mais si vous en avez fini, j'ai le tour des bars à faire !

Ou plutôt une envie de tatoos.

Elle me tend son verre d'un geste nonchalant, et je la ressert avant de la voir siroter l'alcool avant qu'elle ne me réponde encore.
Et lorsque j'entends sa réponse, je reste un moment impassible, comme figé quelques secondes, avant qu'un grand sourire ne vienne sur mes lèvres. J'étais presque aux limites du rire.

Haha, non, je ne vous proposais pas de partager mon palace, mais je dispose de divers appartements d'appoints qui peuvent parfois servir.
Mais si vous préférez les sombres recoins un peu plus rudimentaires, je ne vais pas insister.

Elle bouge légèrement, repose ses jambes et adopte une attitude plus impatiente. Je la sens pressée de s'en aller vivre sa vie.
Je dois admettre que je reste un peu surpris, je en m'attendais pas à ce que cette Orgienne soit ainsi. Elle est décidément bien différente de Nyriss, mais je pressens qu'elle ne sera pas une grande combattante contre Novlangue. Elle tissera certes des liens avec les Insurgés, venant de là à l'origine, mais je ne pense pas qu'elle sacrifiera ses petits plaisirs pour la cause insurgée. Elle me semble trop égoïste pour cela.

Je comprend bien oui. Naturellement vous êtes libres de vous en aller. Je vous souhaite bonne chance dans votre nouvelle vie, et qui sait si nous ne nous croiserons pas à nouveau.

Je me levais pour la raccompagner moi-même à la porte.

Oui, oui, je préfère. Inutile d'insister. Je ne suis là que pour la picole. D'ailleurs s'il fallait négocier, je ne dirais pas non à un bar bien remplit.
Mais pour rien au monde je ne dormirais dans n'importe lequel de ses appartements, j'avais plus dans l'idée de disparaitre.

Après être allée chez le tatoueur.

Et alors que je me lève, je suis très surprise qu'il n'essaye pas de me retenir. De nature méfiante je surveille mes arrières en me dirigeant vers la porte, et je continuerais ainsi jusqu'à ce que je sois assez loin. D'un coup, je fais une demi-volte sur place et dessine une grandiose et pathétique révérence avec moult manières inutiles.

- Et bien ce fut un plaisir. Merci pour la boisson, pour le reste je doute qu'on se recroise. Si jamais vous me cherchez, ben trouvez Nyriss, ça sera mieux.

Et sans plus attendre je me taille, ras le cul des vieux richos et des politesses à la con.