Entré dans le pub à la musique entrainante, je m'assois au bar et donne ma commande
"Une grenadine s'iouplait" dis-je avec un grand sourire innocent.
"J'ai pas." me répond méchamment le barman.
"Oh, euh, une menthe-à-l'eau alors..."
"J'ai pas.""..."

Tout compte fait, je serais pas mieux servi chez moi, avec mes propres sirops achetés au marché noir?

"C'est bon, j'ai compris... Une bière, putain..."
"Avec plaisir jeune homme!"

J'aime pas la bière, c'est pas bon et ça pique. Mais je suppose qu'il vaut mieux que je m'habitue au gout, on sait jamais. En plus on a toujours l'air d'une tapette quand on demande pas d'alcool (voir l'exemple précédent). Oui, un jour, je me prendrais une cuite pour voir, mais quand j'aurais des gens avec moi pour vérifier que mes trois pièces restent au fond de ma poche. Car des sales types, y'en a partout, et pas qu'en haut.

Pourquoi je suis là moi au fait? Ah, oui. Trouver quelqu'un qui puisse m'enlever cette saleté de puce toujours présente dans mon cerveau. Maintenant, je crois que je suis prêt à affronter d'éventuels (qui a dit inévitables?) changements physiques, même si l'idée ne me plait pas beaucoup. J'étais venu ici en espérant reconnaitre des gens de mon enfance, après tout un pub est un lieu de passage.

Je sirote donc ma bière par toutes petites gorgées en zyeutant autour de moi.

Super, et l'autre qui se paye ma tête maintenant... Je contemple ma bière, une grimace au coin de la bouche.

"Honnêtement, les effets secondaires mis à part, je me demande si ça aurait pas été préférable..."

D'un coup, je me met à envier son cocktail, qui est peut être aussi alcoolisé mais moins dégueulasse. Quoique...

"Qu'est-ce qui vous dit que votre cocktail, c'est pas de l'amidon et de l'eau de pluie, à vous aussi?"

Allez, sur ce, je vide ma chope cul sec!
C'est horrible, ça pique, j'ai failli m'étouffer, c'est la honte. J'ai l'impression d'avoir les oreilles chauffées à blanc. Et j'ai chaud. Je crève de chaud.

Fais chaud ici vous trouvez pas? Je souffle dans un rale avec une voix de vieillard.

Hop, tee shirt d'enlevé!

Mais il fait toujours aussi chaud...

Permettez?

Je prend son verre, le vide aussi rapidement. C'est vrai dans ma bouche mais chaud dans ma gorge, dans mes tripes, c'est l'horreur. La tête me tourne, je suis d'ailleurs étonné que son contenu se soit pas encore répandu par terre... Car là ma cervelle doit être en train de se liquéfier...

Oh putain, j'ai merdé... C'est bien d'être assez lucide pour s'en rendre compte. Ma lucidité me fait même gentiment remarquer que je ne tiens sans doute pas très bien l'alcool. Merci, ça ne m'était pas venu à l'esprit. Oh ma tête...
Je tente tant bien que mal de rattraper le carnage.

S'cusez, euh... Je vous rembourserai, pour, le... verre là. C'était pas bon d'façon vous savez.

Je rajoute, plus pour moi même cette fois :

En tout cas c'est sur, la prochaine fois, je reste sur une grenadine, l'amidon et l'eau de pluie c'est pas si mal...

Mais si c'est des contacts que vous cherchez, j'peux vous aider vous savez... Je connais... des gens.

J'me sens de plus en plus con, c'est génial. Je dois avoir l'air d'un môme qui veut se donner de l'importance, alors que non, je connais vraiment quelques personnes de ci de là. Mon implant me permettant d'évoluer parmi les orthodoxes sans avoir à me forcer pour l'expression faciale, je faisais souvent des boulots de transport ou d'échanges d'informations entre informateurs et insurgés, ce genre de chose. C'est pas grandiose, mais ça paye et peut parfois être utile.
Bon c'est bien beau, mais je sens qu'expliquer ma bonne foi au mec d'en face va être un peu difficile quand même...

Et allez! J'étais déjà pas assez honteux, assez merdeux, faut qu'il en rajoute!
L'avantage de ses paroles est l'effet douche froide qu'elles ont sur moi. Enfin faut pas rêver hein, j'ai toujours une symphonie de batteries dans la tête, mais ça aide quand même.

Allez, retour au sérieux... Avec une voix pâteuse en bonus, mais là je peux rien y faire.

Je sais bien que c'est dangereux, que je pourrais me faire exploser la cervelle par le premier NOD qui m'apercevrait, vous croyez que ça m'enchante? Le seul avantage que je tire de cette saloperie, c'est de pouvoir me fondre dans le décor des orthodoxes pour faire le coursier avec les indics, j'sais bien que c'est utile, mais ça reste peu flatteur!
L'implosion de puce? Avec plaisir! Vous avez un flingue sur vous peut être? Non car jusqu'à présent, je suis pas beaucoup tombé sur des généreux à ce niveau là, plutot sur des types qui se font monnayés ce service, on est bien loin de l'ambiance solidaire d'il y a quelques années, ça je peux vous le dire...

Je regarde le papier chiffonné qu'il me tend. Un numéro de téléphone? De qui? Bah, peu importe, ça peut toujours servir...

Merci... Vous avez raison, je ne suis pas dans un bon état, je ferais mieux de rentrer chez moi et d'arrêter de vous importuner... A une prochaine fois, je vous revaudrai ça.

Et comme je ne suis pas un sale type, en fouillant bien dans mes poches, j'en retire quelques pièces qui devraient suffire à payer le cocktail que je lui ai siphonné, et je les pose devant lui.

Pour le verre.

Je m'éloigne, zigzaguant entre les tables, tout étonné de voir le sol se montrer joueur et serpenter sous mes pieds...