Il y a bien longtemps que la lumière réconfortante du dépôt n'est plus visible. J'avance lentement, rasant le mur depuis le départ pour éviter de me perdre dans cette obscurité. Je ne vois même pas à un pas devant moi, mais je sais que la ville insurgée est proche du grand carrefour des voies de métro. Ce devrait être suffisant pour la trouver.
Quand même... je n'ai pas croisé la moindre personne jusqu'à maintenant, pas une once de bruit ou de lumière, seulement le son résonnant de mes vieilles chaussures à chaque pas. J'ai presque peur lorsqu'elles rencontrent une pierre, peur que le raclement n'éveille quelque bête tapie dans le noir comme dans les histoires pour enfants.

Mal aux jambes... c'est la première fois que je marche aussi longtemps, même si je gagne en assurance. Il m'arrivait de quitter le camp, pour me dégourdir les pattes, mais jamais de m'éloigner vraiment. Pourquoi... une sorte de conditionnement, sans doute. On s'habitue toujours à ce que l'on vit et j'imagine que ce ne doit pas être différent pour ceux d'en haut, les implantés. On leur a retiré le plaisir, ils ont dû en crever d'angoisse et de désespoir, au début. Mais après... on se force à vivre le reste, et on oublie.

Encore un bruit étrange. Tout prend de l'ampleur quand on n'a aucun repère. Mais ce n'est que mon ventre... j'ai été incapable de manger avant de partir, à cause du cadavre. Je n'ai pas non plus osé la toucher, j'aurais peut-être dû la rendre belle une dernière fois, décente au moins. Au lieu de ça, je suis juste parti. Pour de bon. Et je la regrette...
Pour chasser toutes ses pensées, rien de tel qu'un peu de musique. Je ressors l'od de ma poche, enfonce les écouteurs dans mes oreilles et le lance. Pourquoi cette saleté ne fait plus de lumière, comme avant... j'en ai presque envie de l'éclater sur le mur. Mais aux premières notes, j'oublie tout. Si la magie existe comme dans les contes, elle doit ressembler à ça.

https://www.youtube.com/watch?v=WEQnzs8wl6E

Je n'ai plus l'impression d'être seul dans l'obscurité et curieusement, mon courage revient avec le rythme qui s'accélère. Mieux encore, je crois bien apercevoir un éclairage au loin, tout au fond, à peine visible. Par contre, impossible d'entendre quoi que ce soit... si quelqu'un se manifeste, il devra attendre la fin du solo.

(hrp: à mon grand désarroi, je n'ai pas trouvé mieux qu'un lien youtube pour la chanson...)

Qu'est-ce que...

AAAAAAH!!!

Tout devient flou, si on peut le dire ainsi dans le noir complet. Le coeur qui se met à battre à tout rompre, jusque dans la boite crânienne où même mes tempes jouent du tambourin. Je réalise à peine que j'ai fait quelques pas en arrière et que je suis tombé directement sur l'arrière train. Quelle frousse... c'était quoi, ce truc qui m'a touché l'épaule, un rat? Nan, ça ressemblait plus à des doigts. Si ça se trouve, j'ai finalement réussi.
Je plisse les yeux comme si je pouvais mieux voir, et à ma grande surprise je distingue effectivement une silhouette. Alors je me relève lentement, toujours sur la défensive. Il ou elle fait à peu près la même taille que moi, un peu plus grand peut-être.

Impossible d'en savoir plus... un insurgé, un NOD, autre chose? J'en viens à me demander si je veux toujours faire des rencontres, si c'est pour tomber sur les mauvaises personnes et dans ces conditions. La pointe d'excitation qui s'est frayé un chemin en moi se mêle à l'appréhension, à la peur... entamer le dialogue, oui, mais garder ses distances. Au moins pour l'instant.

Qui êtes-vous?

J'aurais voulu parler d'une voix plus assurée, moins rauque. Et que fait-il ici? Il n'a pas de lumière non plus, à moins qu'il l'ait éteinte en sachant ma présence. Pas bon signe. Je n'ai rien croisé depuis le départ, alors pourquoi est-il là, au milieu de nul part. Perdu comme moi, peut-être... ça c'est encourageant.

Je m'appelle Chad.

Voila qui est mieux. A son tour, maintenant, et ne reste plus qu'à prier pour que j'ai raison à son sujet.

Ca me rassure... il en est au même point que moi. Yuann. A première vue, il n'a pas l'air hostile. Plutôt sympa même, et s'il cherche les insurgés c'est que je n'ai rien à craindre. Là où il va être déçu, c'est que je n'ai pas grand chose de mieux à lui proposer qu'un peu de compagnie pour finir le trajet. Je ne sais rien d'eux, j'ai simplement une vague idée de l'endroit où je pourrais les trouver.

Je le laisse finir sa tirade, en passant sans trop réfléchir sur le fait qu'il sache ce que je ressens. Assez spécial, je garde ça dans un coin de ma tête. Sa question... je ne sais pas si je veux trop en dire, je viens à peine de le rencontrer.

Non, je n'en suis pas un... je les cherche, comme vous. Mais j'ai toujours vécu ici.

Ni trop, ni trop peu. On ferait mieux de se remettre en route, si toutefois il veut m'accompagner, parce que la lumière parait toujours aussi lointaine. Autrement dit... on a encore le temps de faire la discution. Je rattrape les écouteurs tombés pendant la chute et les renfourne dans ma poche.

Si je ne me trompe pas, leur ville est là bas, là où c'est éclairé. Sinon, on pourra toujours demander notre chemin.

Et sans attendre davantage, je me remets en route. En lâchant le mur cette fois, et une série de questions me viennent en tête. Les premières sortent avant que je puisse me demander si je fais bien de les poser.

Vous venez du dehors? Vous êtes implantés?

J'écoute mon nouveau compagnon avec attention. Une première discution avec quelqu'un d'extérieur à mon tout petit monde, ça se soigne. Il n'est pas implanté, c'est bien ce que je pensais, il est trop... vivant pour ça. C'est un peu dommage, j'aimerais voir comment ces personnes là se comportent, s'ils ont un comportement.
En tout cas, nos ressemblances m'amusent. Nous sommes tous les deux seuls, sans vraiment d'attaches, et partis à la découverte d'un univers qui nous est complètement inconnus. De quoi préférer être à deux, assurément. J'ai encore une foule de questions qui me traversent l'esprit, mais je m'efforce de les retenir où elles sont. A lui d'en apprendre sur moi s'il le souhaite. Et justement, il me relance.

Moi, je viens du bout de ce rail. Je n'en ai pas bougé jusqu'à maintenant, autant dire que je ne suis personne. Mais j'espère trouver ma place chez les insurgés, et ensuite...

J'hésite un instant à terminer ma phrase. Je ferais peut-être mieux de garder ça pour moi, je viens à peine de rencontrer cet homme. D'un autre côté, j'ai justement envie de tout déballer pour une fois que je le peux, et ça ne me coûte rien.

Mon rêve, c'est de voir l'extérieur, d'apprendre les arts qu'on nous a interdit.

Et s'il le faut, combattre ceux qui interdisent. J'y ai pensé plusieurs fois pendant ma longue marche. Bien sûr, je ne sais pas si j'aurais le courage d'être un véritable rebelle le moment venu. Pourtant... je n'ai aucune raison d'accepter qu'on nous enterre ainsi, et j'aime à croire que cela peut encore changer.
Maintenant que le silence est revenu, je m'aperçois qu'on peut maintenant entendre un bruit. De loin, un grondement... le bruit d'une foule, plusieurs bruits en fait, innombrables. La ville.

On y est presque.

On approche. L'éclairage qui m'avait guidé vient d'un néon, le premier que je vois fonctionner depuis mon enfance et je me rappelle sans grande joie cette lumière synthétique, qui heurte le regard si on la fixe trop longtemps. Derrière, je distingue clairement des plaques de taule et de métal qui font barrages, et plusieurs silhouettes qui gardent certainement l'entrée. Comme l'a dit Yuann, il serait préférable qu'on ai bon accueil.
Je repense à ses paroles, et m'étonne à retardement qu'il ne connaisse pas les arts. C'est le privilège des gens du dessus, ceux qui n'ont pas d'implant du moins. Et lui n'en a pas. Moi qui pensais apprendre de mes semblables, je me retrouve à devoir expliquer une notion que je connais à peine.

Les arts... c'est difficile à décrire, surtout que je n'en sais pas grand chose. Pour faire simple, disons que ce sont des sons, des mots, des images ou même des objets créés pour le simple plaisir des sens. Je n'en ai apprécié qu'une forme jusqu'à maintenant, la musique. Je vous ferais écouter quand on sera à l'intérieur.

Parce que les silhouettes maintenant bien visibles se sont toutes redressées, et deux viennent vers nous. On va enfin savoir si l'on peut passer de l'autre côté, et si ce n'est pas le cas... non, mieux vaut ne pas y penser.
Un coup d'oeil à Yuann, qui s'est arrêté aussi, et dans la lumière je remarque qu'il a un bandeau sur les yeux. Il voit à travers, ou bien il est aveugle? Pourtant il marchait sans difficulté, c'est même moi qui avait le plus de mal. Peu importe, je remets ces réflexions à plus tard. Pour l'instant, j'imagine qu'on doit se présenter.

- Bonjour...
- C'est la première fois que vous venez?

Un hochement de tête affirmatif, comme si j'avais peur de donner la réponse. C'est un peu vrai, soit dit en passant.

- Bras en l'air.

Je m'exécute sans réfléchir, et le garde s'approche encore. Il touche mes vêtements, de haut en bas puis de bas en haut avant de rabattre ma capuche en arrière et commence à fouiller mes cheveux. Comme premier contact, j'ai connu plus chaleureux. Quoique je ne suis pas un habité en la matière. Pas moyen de tourner la tête, mais je devine que Yuann subit le même traitement. Finalement, le garde s'écarte et lâche d'une voix on ne peut plus neutre:

- Il est clean.

Le deuxième lui répond la même chose dans un soupir presque soulagé.

- Bienvenue au Mirail.

Les plaques de taule crissent sur le ciment, libérant le passage... facile.