Joe… J… JOE !!
Elle se bat… JOE !!! Faut… L’aider ! Aider Joe ! Joe… Ptit Joe… pas lui faire mal… non… pas ses habits, pas son corps… pas sa peau… ébène… belle… douce… plus belle que la nuit… plus profonde que le fond du ciel… ses yeux… noirs… m’y perdre…. Nager dans l’iris ébène… chatouiller sa peau… sauter de grains en grains… pic et pic… Non… NON !!!
Ptit Joe !!
Elle se débat… elle arrache et déchire… ça fait du bruit… mes oreilles… Joe… Elle va étouffer !! Faut l’aider ! Joe !!
Elle mord ! Elle gesticule… Elle crie pas… Pourquoi tu cries pas Joe !! Crie, débats-toi ! Sauve-toi ! Joe…
…
Elle bouge plus. Noir, tout est noir… le silence et ce bruit de froissement…
Sa peau n’est plus noire… verte… sa peau est devenue verte ! Joe est une chenille verte !!!
Ils l’attrapent au lasso, ils serrent… ça va lui faire mal ! Serre pas sa taille ! Faut pas… pas Joe…
…
Joe…
Jo…
J…
…
JOE !!!!
Jo…
J…
…
Joe ? Pourquoi êtes-vous déguisée en chenille ?
Jo…
J…

J’ai fait un étrange rêve. Mais j’ai bien dormi.
Et vous ?
…
Joe ?

Je suis encore dans mon rêve ?
Tiens, c’est curieux ici.
Je vois Samia là bas.
Je peux pas bouger ? C’est surement que je suis encore dans un rêve, y a que dans les rêves qu’on peut pas bouger. Ou alors je suis une chenille ? Et je suis vert ? Je vois rien.

Quelqu’un peut-il allumer ?
…

Tout le monde dort. J’ai encore sommeil. Je vais rêver de Joe et sa peau ébène.

Bonne nuit Joe.

A quoi je pensais déjà ?
Qu'est-ce je faisais ?
Rien... enfin il me semble.
J'ai dormi ?
Qu'est-ce que j'ai oublié ?

Joe ?
Qui c'est, Joe ?

J'essaie de me redresser pour voir qui appelle, mais je n'y arrive pas.
Attachée...

Je me souviens... j'attendais qu'on me soigne. Mais il fallait pas qu'on me touche.
Merde, ils m'ont eu.
Mais pourquoi il fallait pas qu'ils m'aient ? Et qui d'ailleurs ? pfff, je ne sais plus...

...mais ça va pas... je me sent oppressée... où suis-je ? Qu'est-ce que je fait là ? Quelle heure est-il ? Médicaments... non... non, pas craquer... NON !

-hahahaha... huhuhahahahahah !

Mais chuuuut ! chuuuteu !!
Oh puis merde ! Ça y est, je me suis annoncée.
Annoncée à qui d'ailleurs ?
Qui parle ? Cette voix me dit quelque chose.

Je redresse la tête pour voir. Il y a quelqu'un dans un lit en face.
Oulà ! ça va pas, il faut que je recouche ma tête. Je voudrais ramener mes bras et mes jambes près de moi, mais je peux pas. Je tire, je tremble, j'ai mal. Mal partout, toute crispée, étendue de force. J'ai besoin de me replier pour respirer, je vais étouffer !
Non... non, j'étouffe pas, même en haletant comme un chien... et ça me fait rire.

Je ris malgré moi, mais je ne dis rien.
Je ne sais pas qui est ici ni où je suis. Qu'est-ce que j'ai à faire là ?
J'y comprend rien. Le cauchemar n'est toujours pas fini ?
Qu'est-ce que je peux faire ? Qu'est-ce que je dois faire ?
Rien. J'attends, j'écoute et je ricane de temps à autres. C'est pas bien, mais ça me fait passer le temps. Il est le long le temps quand ça va mal.

"Un putois qui ricane" ?
Elle parle de moi handicapée d'en face ?!
Ça sent le rat. Et si s'en est pas un, ça en sera un quand même. Je mettrais ça sur le compte la folie. Elle va crever si j'me lève.

Ah tient, j'me lève. Pas comme je l'aurais espéré, mais je suis bien à la verticale. Je peux la voire maintenant la salope.
Mais je glisse. Le matelas glisse et moi avec. J'avance un pied, essaie de garder l'équilibre mais ça marche pas comme je veux.
Et paf, par terre, à plat ventre évidemment, le matelas sur le dos. Merde !

Il faut que je me sorte de là dessous. Ça va du tout comme ça !

-mm.... mMmrrRRRr !!! RRAAAAAHAAH !!! putaiiiiiiiiiiiiin !!!

Je gigote comme je peux, je tire sur les liens, tape des poings et des pieds par terre, exaspérée par ce poids sur mon dos qui me retient face contre terre. Je veux me relever. J'essaie de plier les genoux. J'arrive à en fléchir un en forçant bien, mais pas assez. Je peux pas me relever. Fait chier ! C'est quoi cette connerie ?!
Putain ! Je crois que je préférais la camisole finalement. En plus, je ne peux toujours pas atteindre mes médocs dans ma poche de veste.

Joe ?

Le réveil a sonné déjà ? Je ne l’ai pas entendu.
Ptit Joe est levé ? Il a pris son petit déjeuné ?
Joe ?

Je voulais effacer ce rêve avec la main comme on chasse une guêpe affamée qui veut voler notre gouté sucré. J’ai toujours les mains atta… AHHHH… WOOOOW !... Bonjour Joe

C’est mieux comme ça, debout j’ai failli encore faire un rêve. Mais qui est ce putois ?
Mon dieu Joe…
Je réalise…
Que…
Vous êtes la chenille verte de mon rêve.
Vous êtes affreuse dans ce déguisement.
Je vous préfère nue.

Dites… Vous connaissez ma voisine ? Ne lui dites rien mais je la trouve vraiment très grossière…

Je me tortille sur le matelas pour mieux voir Joe. C’est pas facile, mais j’y arrive en faisant de ridicules et amusants petits sauts sur la pointe des pieds. J’ai failli tomber, et j’en ris encore de m’imaginer en espèce de bibendum maladroit.
Il faudra que j’en parle au Maitre d’hôtel. Ces lits sont absolument inconfortables.

Joe, que faisons-nous ? Ptit Joe va bien ? Vous êtes sure de vouloir garder ce déguisement ?
Pendant que j’y pense et qu’on est en petit comité, il faudra qu’on refasse un Ptit Joe, je crois que j’ai beaucoup aimé ça.

Voisine ?
Pourquoi criez-vous ?
Ah oui, on dirait un escargot maintenant. Vous n’êtes pas plus avancé.
Et on ne vous voit plus sous votre coquille. Mais on vous entend bruyamment.
Pourriez-vous allez voir si Sam c’est bien va bien ?
Je suis un peu inquiet, je ne lui ai pas retrouvé sa vue.
C’est embêtant.

S'ils savaient comme je les hais en ce moment même...
Entre le moulin à parole et la connasse d'en fasse... tient, elle est descendue elle aussi. Peut-être que j'arriverais à l'atteindre.
Ça me va bien de ramper ? Ok, et bien allons-y !
Je me tortille et je pousse d'un pieds, je tire d'une main et je recommencer avec les deux autres pour avancer droit vers cette vermine. Plus vite ! Je ne vois pas bien ou je vais, mais je fonce ventre à terre (difficile de faire autrement avec les pattes écartées) droit sur elle.
La collision est amortie par le matelas. J'arriverais pas à lui faire grand chose comme ça, mais c'est tout ce que j'ai trouvé pour l'emmerder. Heureusement, le ridicule ne tue pas.
Et si je pousse encore, j'arriverais à la tasser dans un coin ? On peut toujours essayer.

A défaut d'être constructif et d'avoir de la gueule, c'est au moins distrayant. Assez pour me faire oublier le manque pendant un temps.

Silence!
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.

Jude n'est pas contrariant.

Libre ! Enfin seulement d'un pied. Et de l'autre !
J'arrive enfin à plier les genoux.

-hahaha !

Je ne suis plus obligée de me trainer à plat ventre. Je me redresse, à genoux. Je la vois beaucoup mieux maintenant, la connasse, celle qui m'a traité de putois et qui se réjouissait de me voir ramper.
Encore un ptit effort, un pied à plat sur le sol, puis l'autre, et me voilà debout avec le matelas au dessus de la tête, toujours accroché par les poignets.

C'est ton tour de ramper, morue.
Je commence à poser un pied sur son matelas à elle puis je grimpe dessus en faisant gaffe de pas me caser la gueule. C'est pas facile, ça fait une bosse au milieu, c'est pas stable. Alors je m'assois, le plus lourdement que je peux.

Me voilà comme un sandwich, assise entre deux tranches de matelas. Mais elle, elle est tout en dessous. Et moi j'me marre.

Silence!
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.

.
.
.
.
.
.
.
Jude se demande si le matelas est anti-acarien.

Elle rit... mais qu'est-ce qui lui prend ?
J'en reste muette.
Alors là, je ne ris plus du tout.
M'enfin, c'est quoi se délire ! Elle trouve ça drôle que je l'écrabouille ?

Je fais quoi ? Je la tabasse ?

Mais ce rire...
C'est pas comme le rire du rebelle qui nargue.
Ni le petit rire satisfait du tortionnaire sadique.
Ce n'est pas non plus celui de la poule dévergondée des quartiers de plaisir.

Tous ces rires sont interdits.
Mais ce rire là... ça me rend perplexe.

Je ne sais pas quoi faire. Rester là sans bouger ? Lui taper dessus ? Me barrer ? Me remettre à rire ? Lui gueuler dessus ? Aller taper son copain ? Je ne sais pas.

Mais je suis pas bien ici. Je transpire entre les deux matelas. Et ça bouge quand elle rit. J'ai le mal de mer.

-weuAAaaAA !!!!

Je me lève d'un bond, me carapate de sur son dos à l'autre timbré et file au milieu de la pièce. J'ai vu un truc sur son matelas, un visage avec une tronche pas possible !
Merde ! Ça fait combien de temps que j'ai pas pris ces foutus médocs ?!
Je cherche du regard... c'est bon... je crois... il n'est plus là, parti, envolé l'hallu. Mais elle va revenir, c'est sûr.
Il faut que je me libère.
Je fout mon matelas sur le côté, par terre et tente de m'en éloigner en tirant sur les sangles de mes poignets. Le tout se vautre, le matelas d'un côté, moi de l'autre, à plat ventre sur le sol. J'ai changé de sens et ça tire sur mes liens. Mais au moins, je ne l'ai plus sur le dos.

Et l'autre qui rit encore.
Je tourne la tête vers elle. Je ne sais vraiment pas quoi en faire.

-pourquoi tu ris ?

Je ne comprend déjà pas pourquoi moi-même je ris, quand ça m'arrive. Peut-être qu'elle, elle sait. Si elle sait, il faut que je sache.

-C'est de la panique ? Les nerfs qui lâchent ?

Ça arrive des fois, quand on séquestre et torture certaines personnes. Sauf que eux, après ça passe et ça ne revient pas tous les quatre matins. C'est peut-être juste ça pour elle, ça va passer.

Je m’ennuie, et je ne reconnais pas ma Joe. D’ailleurs, elle m’a dit de me taire. Je sais faire, je le fais très bien.
Je crois bien que c’est la première fois que je m’ennuie depuis que j’ai mis les pieds dans ce sublime quartier.
Je suis pas mal, même si ma position est inconfortable. Les pieds ça va, le sang y descend sans problème. Coté main, c’est plus ennuyeux, mais en remuant les doigts ça fait circuler le sang. On peut dire que je suis pas mal.

J’ai bien vu les saucissons jouer à un jeu de dortoir. Je ne sais pas qui va gagner, surement personne. C’est un gentil jeu, c’est pas un jeu qu’on perd.
Je ne vois plus Joe Sandwich, et finalement ça m’est égal. « Silence! »… je ne suis pas contrariant. Plutôt zélé. Et mon zèle me pousse à regarder vers la fenêtre et tenter d’y voir quelque chose. Evidemment, je n’y vois rien, trop loin et trop peu entrebâillée. Alors j’imagine. Je vous ai dit que j’ai une bonne imagination ? Je le dis au cas où.

J’imagine et je ferme les yeux. D’abord, c’est noir, tout noir et parsemé de couleurs qui s’emmêlent. J’ai entendu parler des feux follets. Ça pourrait en être. Dans mon imagination, dans mon rêve que j’invente, s’en est, des feux follets dans tous les sens. Et qui volent, virevoltent, s’approchent et s’éloignent aussitôt, apeurés ou espiègles. Espiègles, je les veux taquins et amusants, et ils m’amusent. Je ne m’ennuie plus, j’ai de la compagnie qui danse les milles temps dans mes yeux. La musique, j’ai choisi une folle sérénade qui va dans la nuit de mon imagination. C’est beau les rêves, on fait ce qu’on veut avec.

Elle ris pas ?
Mais si, elle a ris !! Elle se fout de moi !

-T'as ris ! Tu t'es marré comme une tarée ! j't'ai entendu !
Mais c'est ça, fait ta maline. Tu vas voir qu'en j'aurais fini de me détacher...
Je vais tous vous creveeeeeeer !!! gnnniiiaaahahahahah !

Je tire, je force, je me remet sur mes pieds, je traine le matelas, je le secoue, le tape contre le mur.
C'est épuisant. Mais je veux me libérer au moins une mains ! Ensuite je pourrais attraper mes comprimer dans ma veste et lui régler son compte à cette connasse qui veut même pas me dire pourquoi elle rit.

J'ai cru voir bouger par là.
Le mur ?
... naaaaaaan, je me suis trompée. Ça doit être le manque qui me fait voir des choses.
Il bouge encore !

Ok, il faut que je me magne de me libérer avant de dérailler d'avantage. Avant je voyais juste des visages, maintenant ce sont les murs qui se déforment.

Je me tortille, me contorsionne pour ramener mes deux pieds sur le coin du matelas, près de ma main droite, et je tire de toutes mes forces. Je tire sur mon bras et je pousse avec les pieds. Ça va bien finir par lâcher !

Bien sur qu’il bouge Joe, ça vous étonne ?
Fallait pas lui faire mal avec vos matelas.
Maintenant, il se plaint, et je le comprends.

Je ne sais pas si je l’ai rassuré. Mais j’avais envie de le dire.
Et puis, j’ai ajouté :

Comment va Ptit Joe ?

Je m’inquiète déjà, et il n’est pas encore né pourtant, tout juste un adorable amas de cellules. Les miennes, et celles de Joe. Pourvu que sa cervelle cassée ne soit pas héréditaire.
Ça me fait penser que je n’ai pas encore essayé de lui réparer. Il faudra le faire. Et si je n’y arrive pas, je pourrais la garder pour faire le ménage ou ternir une ampoule dans le salon.
D’ailleurs, comment va Sam c’est bien ? Je m’inquiète pour elle, elle aurait pu faire une mère remplaçante tout à fait potable.

Sam c’est bien… Vous allez bien ?

Elle ne répond pas…

Joe, vous pourriez nous libérer quand vous aurez terminée de jouer les punching ball ? Je voudrais voir comment va Sam c’est bien.

Parce que Sam c’est bien, elle m’a pas dit « Silence! »…

J'aime pas cet endroit
j'aime pas ce matelas
j'aime pas cette connasse qui me regarde en souriant
j'aime pas ce mur que j'ai vu bouger
j'aime pas qu'ils disent tout les deux qu'ils l'ont vu bouger
j'aime pas cette voix dans ma tête qui me dit de ne jamais oublier
et j'aime pas du tout ne pas avoir ma dose, surtout dans une situation aussi chiante !

-Je vous déteste ! TOUS !!

Ça y est, c'est parti.
Je respire comme une malade. Je tremble, me spasme.
Je me sent épiée. J'aime pas ça. J'aime pas ça du tout !
J'ai mal.
Aux poignets, au ventre, au dos, dans les côtes...
Putain ! Laissez-moi me barrer d'ici !!

Là porte. Où elle est ?
Il faut que je trouve la porte et que je m'en aille.
Mais pour ça, il faut que je bouge. Je peux pas. Il faut que je regarde autour de moi, mais je peux pas. Je peux juste restée là, les jambes pliées, à serrer fort mes mains sur les coins du matelas.

C'est rien, ça va passer.
Il faut que ça passe.
Ça passera pas.
Oh putain, ça passera pas !

Ça rend très bête, l'état de manque. J'avais même pas vu que mes poignets étaient détachés. Je ne m'en suis rendu compte qu'une fois roulée en boule sur le côté avec les deux mains fermées près de mon visage.

Qu'est-ce que j'ai oublié ?
De me relever peut-être.
J'avais un truc à faire aussi, autre que me recroqueviller et attendre que ça passe.
Ah oui, je sais... MÉDICAMENT !!!!

Ouf ! ils sont toujours là, dans la poche de ma veste. J'ouvre le tube et m'en fourre un vite fait sous le masque.
Sauvée...

Et maintenant ?
Maintenant, je m'assois sur le matelas et attend un peu que ça fasse effet. De toute façon, je suis perdue et rien ne presse.

Mais qu'est-ce qu'ils ont à me regarder comme ça ?
La connasse, j'en ai marre qu'elle m'épie, je ne la regarde plus. J'irais peut-être lui mettre un ptit coup de latte tout à l'heure.
Et lui, je connais, non ? Ça tête de blaireau me dit quelque chose. Rien qu'à le regarder, je peux pas le piffer.

-Vous êtes qui vous ?

Est-ce que c'est une de ces saloperies de rats ? Je pourrais le faire chier à lui demander ses papiers, mais avec tout le bordel qu'il s'est passé ces derniers temps, je paries qu'il les a pas.