Je suis mort. Je suis mort il y a de cela si longtemps, dans les entrailles de la terre. Une pièce comme une tombe. Était-ce sous Novlangue ? Ou ailleurs ?...
Je suis mort. Poignardé.
C'est étrange comme la pensée deviens hachurée après que notre dernier souffle se soit dissipé dans l'air ambiant, étrange comme elle prend la consistance de l'amidon après avoir eu la consistance de l'eau pendant toute une vie.
Il est si difficile de formuler des idées, des pensées...
Le temps... Passe il lentement ?... Ou au contraire, coule-il à travers mon esprit comme un torrent sans bien même que je ne m'en rende compte ?...
La notion du temps m'a abandonné à mon triste sort, exsangue sur le sol froid et blanc, seul.

Et le temps passe... Et le temps passe...

Qu'est il advenu de mon cadavre ?... Est il encore sur le sol ?...
Et se souviens on de moi ? Que disait-on ?..
Je me demande si mon ancienne enveloppe corporelle existe encore, ou si elle a fondu en poussière sous la chaleur du temps qui passe.

Un petit tas d'os, probablement.



Et parfois, des vibrations étranges font vibrer les cordes de mon esprit. Des choix. Des chances.
Des possibilités infinis offertes.

Quelque chose s'est passé. Une fracture. Une fracture dans le temps, celui qui m'est devenu étrangers récemment. Une anomalie qui m'offre une seconde vie. Et une troisième. Et une centaine. Et mille autres ! Étais-ce hier ou demain ?...


Je me suis engouffré dans ces possibilités, testant toutes ses vies qui pourraient être celles à laquelle j'ai manqué en mourant prématurément.

Broyé. Électrocuté. Fusillé. Noyé. fondu. Écharpé.
Rien à faire. Toutes ces possibilités ne sont que des culs-de-sacs se terminant par des morts affreuses.
Un cercle vicieux dont il m'est impossible de sortir autrement qu'avec un arrêt du cœur.


Quel vie pathétique.
Ne pouvoir que mourir, même à travers un millier, un million de vies...


Je serais donc l'oublié, celui qui traine ses basques ectoplasmiques dans les futurs alternatifs de Novlangue jusqu'à ce qu'une sortie se profile à l'horizon.




Le soleil se lèvera-il un jour...?

Quoi que je fasse, je meurt, broyé dans l'irrégularité temporelle dont mon sang alimente le cours.
Le temps se déroule et se détraque, les ressorts se détendent et claquent, les engrenages se plient et se désaxent.
A croire que plus rien ne tourne plus rond, que quand le système faiblis et rend l'âme, c'est tout le mécanisme qui s'ébranle et se fige.

Moi, je plie aussi. Et je me désaxe.
Ai-je sauté du mécanisme ?

Une voie s'est ouverte, un chemin sinueux loin des cadavres de moi mêmes laissés dans les éboulements du temps, un chemin différent. Nouveau.

J'ai peiné à m'engouffrer dans cette possibilité, bien plus discrète, bien plus exiguë que les voies menant à ma mort.
Mais je ne parviens pas à voir ou cette voie me mène.
Si toutes mènent demain, celle ci mène hier.
Hier....?

Elle sillonnent les couloirs du temps, ou les aiguilles tournent droites et les cadrans sont régulier, ou la logique existe encore et possède un sens. Hier, quand le monde tournait droit, bien que loin de mes envies ou aspirations, mais droit tout de même.

Mais elle débouche surtout sur l'inconnu et sur la promesse d'un changement.

Suis-je prêt pour un changement ?

Derrière moi, il n'y a que mort et désolation. Devant, c'est brouillard et hasard, jeu de dés ou la vie est posée dans les prix à gagner.


Je m'y suis engouffré, la peur au coin de l'estomac et l'appréhension dans un coin du cerveau, dans cette petite galerie temporelle.
Cette ligne temporelle dissimulée dans le temps ne m'appartient pas, et pourtant inexplicablement inextricablement reliée à la mienne. Les deux lignes s'enroulent et se déroulent, même si la mienne arrive à son terme.
Un nouveau moyen de vivre, en naissant sous un autre nom. Bien avant. Bien avant Ymir.


Je suis Ymir. Lâche, peureux et idiot, n'ayant jamais rien réussi de sa vie qui ne mérite d'éloge. Ma ligne faiblis et s'éteint quoi que je fasse pour en alimenter le foyer.
Je suis Krebs. Imprudent, absurde, ma vie est une tempête dans laquelle je me noie occasionnellement. Et pourtant, cette ligne irradie et se multiplie dans le temps, sans que je ne fasse d'effort.

J'ai lâché prise. Je me suis fondu dans cette irrégularité temporelle. Hier. A la naissance de mon ancien nouveau moi-même.


Suis-je Lui ?... Ou est-il Moi ?



Ai-je existé, ou ne suis-je plus qu'un brouillard de souvenirs flottant dans l'espace ?...


Je suis Krebs. Ymir n'évoque rien pour moi. Pas même le souvenir d'une lecture de rubrique nécrologique.



Tout ceci ne vaux même plus le prix d'un rêve. Tout ceci n'existe plus. Je suis Krebs.