Dans la Hyénamobile, sur la route pour aller au temple, entre la 15e et la 17e, en gros sur la 16e, du moins je crois...

Quoi ? Même avec mon masque il croit que je me fout de sa gueule ?
c'est que ça cache pas tout alors... en même temps je vais pas me balader avec une cagoule et des lunettes noires non plus ! Et puis ya mon attitude aussi sans doute. Je peux pas tout cacher.

Et il en a pas assez vu, qu'il veut savoir ce qu'il y a sous mon masque ?
Faut que je lui dise alors. Bien...

-Ce que je cache sous mon masque...
Mon visage.

Le voilà bien avancé.

-... que je ne contrôle pas très bien.

un peu plus précis déjà.
J'ai encore un peu de mal à faire partir mon sourire. J'espère qu'il ne dépasse pas trop. Des fois ça doit se voir à mes yeux, mes pommettes... ma voix aussi, ça doit s'entendre un peu, ça change ma façon de prononcer les mots. Des détails comme ça...

Quant au fusil qu'il ne veut plus que je touche... Je jette un coup d'oeil au siège arrière. Il est un peu loin pour que je l'attrape sans qu'il ait le temps de réagir et de toute façon...

-J'ai pas besoin du fusil pour faire mal.

J'aurais peut-être pas du lui dire ça. Mais comme il est du genre à parler beaucoup et à poser des questions, je préfère le relancer sur le fusil plutôt que sur mon masque.

Il a encore peur. Normal, je ne fais pas grand chose pour le mettre à l'aise. Et à vrai dire, je ne sais pas trop comment faire.
J'ai rien fait en plus. J'ai juste eu disons... un petit moment de panique. Mais comme il y a eu un sourire, je n'ai pas le droit à cette excuse là. Lui par contre on dirait qu'il a eu peur pour sa vie. C'est lui la victime, c'est jamais moi. Je suis coupable de tout ce que je ne contrôle pas. Je devrais peut-être m'excuser ? "pardon, j'ai pas fait exprès d'être une psychopathe qui fait peur à tout le monde et désolée d'avoir été entrainée pour faire du mal, pauvre petite chose que je suis". Ridicule.
Encore une pensée qui me fait sourire. Je préfère alors passer à autre chose. Et puis il a eu peur mais il en est pas mort. Même pas blessé. De quoi il se plaint ?

Je sort un bonbon du paquet et l'examine attentivement. Il est un peu mou et élastique quand on appui dessus, avec une forme bizarre. Et puis il a une drôle de couleur, bleu et rouge. "Haribo", ça a même pas un nom de bouffe. Est-ce que ce serait vraiment une bonne idée de manger ça ?

Je le garde entre deux doigts et tend le paquet à Lewis. S'il en mange un, je verrais bien quel effet ça lui fait.

Alors elle ne cache rien de spécial sous son masque ? Alors pourquoi elle en met un ? Je le dis et je le répète : elle est vraiment bizarre… Elle dissimule son visage simplement parce qu’elle ne le contrôle pas… C’est original…

Je m’apprête à lui répondre mais elle ne m’en donne pas le temps. Elle change complètement de sujet en m’annonçant qu’elle n’a aucunement besoin du fusil pour faire mal. C’est rassurant. Un frisson glacé me parcours le corps. Je ne comprends pas pourquoi, elle, elle me fait peur alors que j’ai côtoyé Eva pendant assez de temps pour m’habituer à la violence. C’est peut être parce que je en la connais pas plus que ça…

Je lance un petit regard inquiet vers ma collègue. Je sais pas trop comment je dois prendre ça. Elle compte me massacrer ? Ou elle dit juste ça pour me faire peur ? En tout cas si c’est juste ça, c’est réussi.

- Je vais faire comme si je n’avais rien entendu…

Ca vaut mieux. J’ai pas trop envie de penser non-stop à ce qu’elle a dit. C’est trop louche. Par contre, je vais quand même rester sur mes gardes. Si jamais elle décide d’appliquer ce qu’elle dit, vaut mieux que je sois prêt à me défendre. Mais je préfèrerais qu’elle garde ses distances…

Et si je revenais au sujet précédent ? Ca serait plus intéressant que de parler de la façon dont elle va m’étriper. Quoi que… Ouais, nan, ça serait plus amusant de parler d’étripage s’il ne s’agissait pas de moi pour la victime. – Tout à fait entre nous, je préfère les morts lentes et douloureuses. Ca laisse plus de temps pour voir la petite flamme dans les yeux de la victime s’éteindre.

- Tu sais, personne ne maitrise parfaitement son visage. Par exemple, moi, j’ai du mal à rester impassible. C’est super facile de lire les émotions sur mon visage – et j’avoue que c’est très embêtant parfois. Pourtant t’es la première que personne que je rencontre qui tente de le dissimuler.

Je réprime un sourire et baisse les yeux.

- … En plus, t’as peut être un très beau visage.

Pendant que je parlais, elle a sorti un bonbon du paquet et depuis, elle l’examine de tous les côtés. Elle n’a donc jamais vu de bonbon de sa vie ? Mais qu’est-ce qu’elle mange alors ? – Bon, c’est vrai que y’a des tas d’autre chose à manger – mais les bonbons, quoi !

Hyena me retend le paquet, et, machinalement – avec le temps c’est devenue une habitude –, je lui prends, pioche un schtroumpf et l’engouffre. ‘Tain, qu’est-ce que c’est bon. Elle attend quoi pour manger le sien ? Qu’il lui saute dans la bouche ?

D’un coup je pointe du doigt le bonbon qu’elle tient.

- Oh ! Mais t’as le grand Schtroumpf !

Bon, c’est vrai que c’est pas sûr qu’elle connaisse. Pendant toutes ces années, Haribo à gardé les légendaires bonbons Schtroumpf, mais avec le temps, les gens ont oublié d’où ça venait. Je suis sûr que 99% de la population novlanguaise actuelle ne connaissent plus le dessin animé des Schtroumpf. En même temps il ne passe plus à la télé. Les émissions pour gosses ne sont plus que de la propagande cachée… Mais faut pas croire en m’entendant dire ça que je regarde des séries pour enfants !

Il n'a pas l'air de comprendre. Il ne voit pas la nécessité du masque. Il voit ça avec ses yeux à lui et n'imagine sans doute même pas que ça puisse exister un problème comme le miens.
Je le vois lui qui retient un sourire de temps à autre. Mais il semblerait que les siens reflètent simplement sa personnalité, les idées qui lui passent par la tête. Il se retient peut-être aussi un peu pour pas que je lui casse la gueule. Mais ce sont bien ses émotions qu'on lit sur son visage. Il n'imagine sans doute pas qu'il puisse en être autrement.

- … En plus, t’as peut être un très beau visage.

Il a bien dit ce que j'ai entendu ?
J'ai pas réagi. Pas beaucoup. Juste tourné un œil vers lui et suis revenue au bonbon dans ma main avant de risquer de croiser son regard. Je crois qu'il n'a pas levé les yeux, mais il aurait pu.
En quoi ça l'intéresse que j'ai peut-être un beau visage ? Je crois que je vais faire comme si je n'avais rien entendu. De toute façon, qu'est-ce que je pourrais bien répondre à ça ?

-C'est pas si simple.
Ce qu'on pourrait lire sur mon visage ne colle pas avec mes émotions. Ou alors il faudrait que je sois sacrément tordue.
...

Je marque une pause. Parce que c'est con mais, je suis tordue. Jusqu'à quel point, ça par contre... Peut-être pas au point de trouver drôle les choses qui me provoque des rires incontrôlés.

-j'ai eu pas mal d'ennuis à cause de ça. Au Centre par exemple. Comment expliquer à un supérieur que je ne me fout pas de sa gueule quand il est train de me péter les côtes à coup de bottes ? Il faudrait être complètement con pour rire ou même sourire dans un moment pareil. Je suis peut-être pas totalement saine d'esprit, mais je ne suis pas stupide.

Voilà, c'est ça, je ne suis pas stupide, ni suicidaire d'ailleurs. Je fais juste pas exprès. On pourrait me soupçonner d'aimer faire du mal aux gens, mais peut-être pas de me faire passer à tabacs. Ils me l'auraient faite passer, l'envie de rire, vu le nombre de fois où j'ai eu peur de mourir. Si c'était en accord avec ce que je ressentais, ça ne m'aurait pas fait rire.
Ces temps-ci, il m'arrive souvent de douter de mes propres sentiments. Peut-être à causes des médicaments... depuis Santy aussi... surtout... je ne suis pas sûre. Il faut que j'arrête un peu de douter comme ça ou je vais finir par me perdre. Tout a déjà tellement changer autour de moi depuis la faille, alors si en plus même moi je ne me reconnais plus...
C'est peut-être quand même bien de changer un peu. Il faut s'adapter. Déjà je ne suis plus une NOD, je ne vis plus dans les mêmes conditions. J'ai un appartement de luxe et des bonbons dans la voitures... je n'ai pas besoin de tout ça, mais si c'est ça la vie de mentaliste, je pourrais peut-être m'y faire... quel mal y a-t-il après tout ?

En tout cas, lui, il vient d'en manger un, de bonbon, et ça n'a pas l'air de changer grand chose. Il n'a pas l'air drogué ni quoi que ce soit. Je remarque au passage qu'il le mâche un peu avant de l'avaler. Pourtant, un ptit truc comme ça...
Bon bah, je teste. Je passe mes doigts sous le masque, avec ce truc bleu et rouge et le met dans ma bouche.

- Oh ! Mais t’as le grand Schtroumpf !

-hein ? j'ai quoi ??

merde ! je savais que j'aurais pas du faire ça ! Je fais quoi, je le recrache ? C'est quoi le chtroumf ? A quoi il voit ça ?
Je me regarde dans le rétro-viseur voir si j'ai quelque chose de changé. Peut-être que sa file des boutons son truc. Apparemment non. Je me regarde le blanc de l’œil. J'ai pas la pupille dilatée ni un truc du genre ? Non, je crois pas. Pourtant il a dit qu'il était grand, mon shtroupf, ça doit se voir.

-qu'est-ce qui te fait dire ça ?

Eh bien ! D’après ce qu’elle me dit, ça vie n’est pas une grande partie de plaisir… Et depuis quand les supérieurs jouent à battre ceux qui sont en dessous d’eux sur l’échelle hiérarchique ? Ca ne m’est jamais arrivé, et je ne me serais jamais laissé faire. Enfin, elle n’est pas moi…

Si, comme elle me l’a expliqué, elle rit pour des choses qui ne devraient pas du tout la faire rire, peut être que cet homme n’a pas apprécié. Mais cela ne lui donne pas une raison de l’éclater à coups de pied. Je la plains, mais je suis quasiment certain qu’elle n’a aucune envie de ma pitié. Je reste donc muet face à cet aveu.

Cependant, après avoir aperçu le bonbon rouge et bleu dans sa main, je ne peu m’empêcher de lui faire la remarque pour le grand Schtroumpf. Ca va sans doute permettre de détendre l’atmosphère. J’aime pas cette ambiance lugubre qui s’est soudain installée dans la voiture.

Sa réaction face à ma remarque est d’ailleurs très amusante. Je ne sais pas ce qu’elle à compris à travers mon « t’as le grand schtroumpf ! » mais elle se met à s’inspecter de toute part. En fait, je crois qu’elle n’a aucune idée de ce que peux être le grand schtroumpf.

Un gros sourire amusé apparait sur mon visage. Je doute qu’elle aime qu’on se moque d’elle, mais c’est plus fort que moi. Je trouve ça très drôle de la voir regarder dans le rétroviseur si elle n’a rien sur le visage. Elle s’imagine quoi ? Que les bonbons, c’est toxique ? Nan, c’est juste très bon. On en devient vite accro. C’est comme une drogue, sauf sans effets.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

Cette fois, j’éclate de rire. C’est stupide mais je ne peux pas m’en empêcher. C’est vraiment très marrant le fait qu’elle ne comprenne pas ce que je lui ai dit. De plus, avec toute la pression que j’ai accumulée depuis le coup du fusil, j’ai besoin de rire un peu pour me détendre.

Bon, faut peut être que je me calme avant qu’elle ne s’énerve vraiment. Je prends une grande inspiration et fait un grand effort pour arrêter de rire. Je lui adresse un regard amusé et lui tend le paquet.

- « Schtroumpf », c’est le nom des bonbons. Regarde…

Je sors un bonbon du paquet.

- En fait ce sont des bonbons en forme de petits bonshommes bleu avec un chapeau – que j’ai toujours trouvé ridicule, soit dit en passant. Tu vois ?

Merde, je lui parle comme à une gosse. Elle m’a bien dit en plus avant qu’elle n’était pas stupide. Elle va encore croire que je la prends pour une imbécile en lui parlant comme ça. Bon, tant pis, je continue sur ma lancée.

- En fait, à la base, « les Schtroumpf » était un dessin animé pour enfant, et Haribo en a fait des bonbons. Le grand Schtroumpf n’est rien d’autre que l’un des personnages du dessin animé. Et ce qui m’a fait dire que tu l’avais, c’est que c’est le seul à avoir un bonnet rouge.

J’ai faillit ajouter un « tu comprends ? » mais j’ai réussi à me retenir. Le « tu vois » a suffi, je pense. Le truc, c’est que j’ai rarement eu l’occasion de parler de ce sujet avec des adultes. En fait, la seule personne avec qui j’ai déjà parlé de Schtroumpf, c’est mon fils. Les collègues avec qui je partage habituellement mes bonbons les gobe sans discuter.

J'y crois pas, il se marre.
Mais qu'est-ce qui lui prend ? C'est un effet secondaire des bonbons ou quoi ?
Il m'annonce que j'ai un grand chtroumf et ça le fait rire. C'est quoi cette blague ?
Il y en a qui disent que le rire est communicatif. Ben moi ça me fait pas rire. Ya vraiment pas de quoi !
Ou il y a un truc que j'ai pas compris ?
Et puis ça se fait pas de se marrer comme ça ! Je lui en colle une ou pas ?

"Schtroumpf"... ça en fait des consonnes.
aaaaah en fait c'est le nom des bonbons !
Et Lewis qui me parle de petits bonhommes bleus. Je vois pas bien en quoi ça ressemble à des bonhommes ses machins. Ou alors avec des tares terribles. Des mutants ? Ce serait des bonbons à l'effigie des insurgés.

Il continue en me parlant d'un dessin animé pour enfants... avec des bonhommes bleus ?! c'est pas dangereux pour l'éducation des ptits ? Ou c'est peut-être pour les enfants daltoniens. Je suis assez septique.
Et lui, comment il connait ça ? C'est ce qu'il regardait à la télé quand il était petit ? Nous on n'avait pas des programmes comme ça au Centre. Ça me fais encore penser qu'il a pas du y rester longtemps.

Bon, donc si j'ai bien compris, les schtroumpfs en bonbon sont inoffensifs. C'est juste des ptits machins un peu mous, collant et très sucrés.
Et les mentaliste en mangent souvent ? Pour quoi faire ?
Bah, il parait que le sucre, c'est bon pour le cerveau, qu'il ne consomme que ça. Et comme côté cerveau on est pas mal boostés, on a peut-être besoin d'apports supplémentaires, ça doit aider... je reprendrais bien un bonbon.

Ça reste pas longtemps en bouche, ces ptits trucs là. Ça donne faim en plus.
Mais est-ce que c'est bien raisonnable ?

-tu crois que je peux en prendre un autre ?

J'ai déjà le pouce et l'index en pince, prêts à plonger dans le paquet.

Tiens ? Aucune réaction violente à mon fou rire ? Tant mieux. Je ne voudrais pas m’en prendre une. Elle n’a non plus fait aucune réflexion face au ton de mes explications. Deuxième tant mieux. Je préfère ça. J’ai quand même envie d’arriver entier au temple vivant et en bon état.

D’ailleurs je me demande bien comment ils m’accueilleront là-bas. Je sens que ça va me faire une réputation de faible cette histoire d’enlèvement par les insurgés. Je vois déjà le tableau : j’arriverai au temple où des types que je n’aurais jamais vu avant m’attendront. Ils m’emmèneront dans la salle de débriefing où je subirai un interrogatoire interminable. Puis un psy viendra à ma rencontre pour me faire chier avec son blabla pour m’aider, et je me retrouverai avec des séances de psy obligatoire toute les semaines. Et pour finir, ils me déclareront apte au travail. Je sens que ça va être vraiment chiant…

- Tu crois que je peux en prendre un autre ?

Hyena m’extirpe de me pensés avec sa question. Question qui encore une fois me surprend. Cette femme me donne un peu l’impression de ne pas savoir vivre. Du moins pas comme tout le monde. J’ai envie de répondre : « Non ! Surtout pas ! », mais elle ne comprendra pas que c’est une blague, du coup ce sera super drôle et je vais encore me foutre d’elle. Et ça c’est pas bien, ce qui rend la chose encore plus tentante. Du coup, pour m'éviter de faire ça, je lui tends le paquet pour qu’elle puisse en reprendre.

- Bien sûr. Vas-y, sers-toi. Ils sont là pour être manger.

Bon, c’est pas grave si elle n’ose pas en reprendre. Je me ferai une réelle joie de tous les avaler. Ca fait quand même quasiment dix ans que je suis mentaliste et presque autant de temps que je passe toutes mes heures de services à me goinfrer de sucreries en tout genre.

Bon, j’attends pas qu’elle se resserve. Moi, j’ai faim et j’ai quand même passé beaucoup de temps chez les insurgés sans être nourri. Je ramène le paquet vers moi, prends deux trois Schtroumf et retends le paquet vers Hyena.

Bien sûr, les quelques bonbons que j’ai pris n’on pas fait long feu dans ma main. En tout cas, ils sont très bons. J’aurais pas dû commencer avec ça. Je risque de ne plus pouvoir m’arrêter avant que le paquet ne soit fini…

Il en a repris trois ou quatre. On peut donc les manger par poignets ? Remarque, si c'est que du sucre, des colorants et des additifs, forcément ça craint pas grand chose.

Il me retend le paquet et à mon tour je prend trois ou quatre bonbons. Ça dure pas longtemps alors je suis prévoyante. Et comme ça je n'aurais pas à lui en redemander dans deux secondes.

Je prend le temps de les mâcher les uns après les autres.
Avec les repas-gélules de ce nouveau siècle, ça faisait un petit moment que je n'avais pas pris la peine de mastiquer des aliments. De toute façon, je n'avais pas très faim.
Mais ça détend de manger autre chose que de gélules.
C'est un peu comme si je redécouvrais que mes dents ne servent pas qu'à mordre les infirmiers. Peut-être que s'ils me donnaient des bonbons je serais plus sage quand ils s'occupent de moi.

Et si je me faisait un vrai repas ce soir ? Après tout, j'ai les moyens de me payer de la bouffe de qualité et je ne dépense jamais rien. Je pourrais même me faire livrer à domicile. Mon nouveau job est bien payer, autant que ça me serve à quelque chose.

En attendant, je me venge sur le paquet de schtroumpfs. Il a dit qu'ils étaient là pour être mangés alors je l'aide comme il faut à les finir.

C'est rare que je mange quelque chose avec quelqu'un. Le masque est pas très pratique pour ça et j'aime pas qu'on me regarde manger. J'aime pas spécialement non plus regarder quelqu'un manger. J'ai jamais compris l'intérêt de faire ça a plusieurs. Surtout en ayant chacun son assiette. Là il y a un seul paquet de bonbons pour deux, du coup c'est pas pareil. Mais c'est pas très pratique non plus, on doit piocher dedans chacun son tour pour pas se gêner. Et puis c'est peut-être pas très hygiénique. Va savoir où il a mis ses mains avant de toucher les schtroumps, surtout en revenant de chez les rebelles. Je vais éviter d'y penser, ça risque de me couper l'appétit.
Nan, en fait je vais le laisser finir tout seul, parce que j'ai pas pu m'empêcher d'y penser et que ça me dégoute un peu. Les gens sont sales, surtout les rebelles. Ça peut refiler des maladies.

Le paquet est bientôt vide et on est bientôt arrivés. Le Temple n'est plus qu'à quelques centaines de mètres.

Hyena prend plusieurs bonbons dans sa main et les mange tous, un per un, sans trop se presser. Elle a enfin compris que les bonbons, ça tue pas les gens. Ca n’a jamais fait de mal à personne. Sauf à des enfants peut-être… N’empêche, ça pourrait faire une arme redoutable… Des bonbons à l’arsenic, ça peut faire mal.

Je jette un nouveau coup d’œil à ma collègue. Elle à l’air totalement calmée. Elle fait plus peur comme avant. Il serait peut être temps que j’arrête d’être crispé comme ça. En plus assis comme je le suis, je commence légèrement à avoir mal partout.

Pendant qu’elle mange, j’en profite pour lentement me rassoir correctement. Comme tout à l’heure, je repose mets mes pieds sur le tableau de bord et détend au maximum tout mes muscles. Mais malgré cela, je ne peux m’empêcher de me méfier encore un peu. Je la regarde de temps en temps du coin de l’œil pour m’assurer qu’elle ne soit pas de nouveau bizarre comme avant.

Tiens, elle ne veut plus de bonbons. Tant pis, c’est moi qui vais tous les manger. Et merde, le calme s’est à nouveau emparé de tout le véhicule. La seule chose qu’on entend, ce sont les crissements du paquet de bonbons. En fait, c’est limite stressant. Mais je ne sais plus quoi dire…

Alors je regarde au loin. C’est pas le temple là-bas ? En tout cas, je connais vaguement cette route. Enfin, je peux très bien confondre. Mais bon, depuis le temps qu’on roule, il faut bien qu’on jour on arrive. C’est étrange parce que, d’un côté, je suis très content de bientôt pouvoir rentrer chez moi, mais d’un autre je n’ai pas envie de voir la fin de ce trajet…

D’un coup, je comprends pourquoi. Tout en restant le regard lointain, je demande à ma collègue :

- Dis-moi, Hyena, ça t’est déjà arrivé de vouloir tout arrêter ? Ce job, cette vie de merde… Et de partir, voir autre chose, hors de la ville ? Parce que c’est mon cas… Parfois…

C’est sûr que si je sors de cette ville – ce qui n’est sans doute pas chose facile – je ne sais absolument pas ce que je vais trouver, alors que si je reste ici, je peux avoir tout ce dont j’ai envie, mais j’ai pas vraiment ce dont j’ai besoin. J’avoue ne pas trop savoir ce que j’essaye de dire… En tout cas, je ne suis pas le plus heureux des hommes.

Je ferme les yeux et tente de revoir ma vie avant. Cette vie où j’étais content de ce que j’avais. Je n’avais peut être pas autant que maintenant, mais le peu de chose que je possédais me suffisait humblement. J’avais une famille pour commencer… J'ai tout perdu en changeant d'époque...

-Partir hors de la ville...

Est-ce qu'il m'ait déjà arrivé d'y penser ?
non, j'ai autre chose à faire que de rêvasser.
... si, ça m'est déjà arrivé. Mais ça sert à rien. Ça ne résout rien et on ne se sent pas mieux après y avoir pensé. Alors j'ai arrêté d'y pensé.

-c'est impossible.
Et puis pour faire quoi ? Pour aller où ?

Je vois qu'il s'est remis dans une position plus décontractée, alors je ne lui parle pas d'un certain détail inquiétant qui fait que j'envisage encore moins de partir. Pas la peine de le stresser encore. Mais sans médocs, qui sait de quoi je serais capable ? Et ça ne pousse pas sur les arbres. Une fois dehors sans traitement, qu'est-ce que je deviendrais ?
C'est pas comme ça que j'aurais la paix.

Et puis j'ai mon confort quand même ici. Je peux me payer tout ce dont j'ai besoin et j'ai mon appart... mon appart où je ne me sent plus chez moi... après ce qui est arrivé, je vais mettre du temps avant de pouvoir à nouveau le voir comme un refuge, sans craindre que la vitre vole en éclat que quelqu'un entre pour tout saccager.
Et les infirmiers aussi, ils sont rentrés comme ça pour me tirer dessus. Non seulement ils m'ont pas laissé faire ce que je voulais chez moi, mais en plus, ça veut dire qu'ils peuvent entrer quand ils veulent et faire de moi ce qu'ils veulent... enfin s'ils le voulaient.
Et il y a toujours moyen de briser une vitre, de forcer une porte et de violer le seul endroit où on se sent à peu près bien. On a beau faire des lois pour interdire ce genre de chose, il y en a toujours qui n'en ont rien à foutre. On n'est vraiment à l'abri nul part.

C'est comme ça.
Mais alors, c'est ça la vie ? devoir toujours rester sur ses gardes, ou se forcer à croire qu'on ne risque rien ou qu'on qu'on s'en fiche pour pouvoir se reposer un peu ? Faut pas s'étonner si j'ai du mal à dormir.

-mais ça m'arrive de vouloir tout arrêter. Des fois, j'aimerais que demain n'existe pas. Et il y a des jours où je me dis que je voudrais ne pas être là ni autre part, d'ailleurs.

Et en général, j'arrête ma réflexion à ce moment là, parce que la suite n'est pas envisageable. Je ne vois qu'un moyen de ne plus être ici n'y ailleurs et ni demain, mais je ne suis pas encore suicidaire. J'en ai déjà bouffé pas mal des merdes, dans ma putain de vie et je m'en suis toujours relevée jusqu'à maintenant. Dans quel état, ça c'est une autre histoire. C'est comme ça la vie, ça fait mal. Et plus on déguste plus il faut se battre. On ne succombe pas à la douleur, c'est à elle de se faire oublier.

-oublie ce que je viens de dire

je vais en faire autant si je peux. Oublier mes idées morbides, ma chienne de vie et ces rêves impossibles. J'ai déjà de la chance d'être toujours en vie, d'avoir un toit au dessus de ma tête et en plus... il est plutôt sympa Lewis. C'est pas si mal ici, dans cette voiture de fonction, avec ce collègue. Un peu étrange. Pas l'habitude de ce genre de conversation. En général, les conversations, c'est pas trop ma tasse de thé. Ça me fait souvent chier. Mais lui, même s'il pose des questions pas faciles, j'arrive quand même à me dire que je pourrais bien continuer encore un peu.
Mais la voiture avance, le Temple se rapproche et ma mission est bientôt accomplie. Il y a des choses faire. Il y aura encore de la paperasse et ils auront sans doute pleins de choses à voir avec lui, en rapport avec son séjour chez les rebelles.

La voiture s'arrête. Il faut que j'appuie sur le bouton pour déverrouiller les portes, qu'on puisse sortir et aller faire ce qu'on a à faire. Alors je le fais, mais pas trop vite. Pourtant je sais bien que ça sert à rien de trainer, il faudra bien y aller.
En plus il n'y a plus de schtroumpfs et j'ai un vrai repas de prévu pour ce soir, quand je serais rentrer dans mon appartement où je dois réapprendre à me sentir chez moi.
Peut-être que je ferais poser des barreaux devant ma baie-vitrée comme j'avais fait à mes fenêtres en 2040 pour me sentir plus tranquille après qu'un cinglé était rentré par effraction pour me couper l'oreille. Mais il faudra de sacrés barreaux. Quelle idée de faire des vitres aussi grandes.

Elle n’a jamais eu cette idée folle de quitter la ville… En même temps je dois être le seul à être assez stupide pour vouloir quitter la pseudo-sécurité de Novlangue pour le monde inconnu qui se trouve à l’extérieur. Mais ça doit être fantastique de pouvoir explorer ces lieux où vivent peut-être des gens sans technologie, sans la violence que nous connaissons tous les jours, sans ces implants qui révolte toute la population…

Si je sortais de la ville, je ne serais plus mentaliste, je ne servirais plus un gouvernement composé d’imbéciles, Je n’aurais plus vraiment d’obligations… seulement, je suis tellement habitué à ma vie – merdique, il est vrai – tranquille qu’à l’extérieur je risquerais de mourir de faim, de soif ou peut être de froid, qui sait.

Hyena continue de parler. Ce qu’elle me dit… Elle a déjà pensé… au suicide ? C’est ça qu’elle veut dire ? Elle est si pourrie que ça, sa vie ? Et moi j’ose encore me plaindre avec mes soucis mineurs… Mais le suicide… Personnellement, je ne pourrais jamais faire une chose pareille. Enfin, je dis ça, mais qui sait si je suis vraiment mal…

- Oublie ce que je viens de dire.

Ouais, je veux bien, mais maintenant c’est dit. Si tu voulais pas le dire, pourquoi tu l’as dit ? Bref, je vais faire ce qu’elle demande. Du moins je ne vais plus en parler. Je vais faire comme si je n’avais rien entendu. Je me tourne vers ma collègue et lui dis :

- Un jour je sortirai de cette ville. Je ne sais pas quand ni comment mais je m’en irai. Faut d’abord que je trouve le courage de tout abandonner derrière moi…

Et merde… On est arrivé… Faut-il vraiment que je sorte ? Le temple ne pouvait-il pas être plus loin ? Bon, courage mon grand… Tu peux y aller. J’avance ma main vers la poignée, j’ouvre doucement la porte. Je prends une grande inspiration pour me donner du courage et me tourne vers Hyena.

- Eh bien, voilà… On est arrivé… Merci de m’avoir aidé… Qui sait, peut être que sans toi, je serais encore entre les griffes des insurgés. Ou bien je serais mort… Mais c’est pareil. C’était sympa et… vraiment très étrange ce trajet avec toi. J’espère qu’on aura de nouveau l’occasion de voyager ensemble. Si jamais, je ramènerai double dose de bonbons.

Je descends à contre cœur de la voiture. Maintenant va venir les instant les plus chiants : interrogatoire, interrogatoire et interrogatoire… Comme si j’avais envie de parler de toute cette merde qui m’est arrivé chez les insurgés.

Arg… J’ai encore des séquelles de cette journée de merde. La douleur n’est pas encore totalement partie. Je sens que je vais être couvert de bleus demain. Et j’espère que je n’ai rien de cassé, fracturé, froissé ou je sais pas trop quoi.

Bon, quand faut y aller, faut y aller. Mais d’abord j’attends Hyena.

Il me remercie pour avoir accomplie ma mission ?
C'est bizarre, non ? c'est bien la première fois que la cible d'une mission est reconnaissante envers moi. En même temps, j'en ai pas eu beaucoup, des comme ça.
Mais même en dehors des missions, c'est pas quelque chose que j'entends souvent. Remarque, pourquoi on me remercierait ?

Et il voudrait me revoir ? Après la trouille qu'il a eu ?
On peut dire qu'il n'est pas rancunier.
C'est parce que je le fascine ?
Je crois qu'il est vraiment pas comme les autres.

Moi aussi j'espère qu'on se reverra (en plus il a dit qu'il ramènera encore plus de bonbons). Mais je sais pas quoi dire.

Alors je sort de la voiture pour le rejoindre et je reste là un instant, face à lui.
Je réfléchis.
J'ai une espèce d'impression bizarre. Comme s'il y avait quelque chose à ne pas louper.
Et si on ne se recroisait pas ? On sait jamais hein. Il se fera pas kidnapper tous les jours et c'est pas sûr qu'on se retrouve ensemble pour une mission.
Si je ne dis rien, il va croire que je m'en fout.
Il faut que je dise un truc, là, maintenant, avant qu'on se sépare.

-tu... tu quitteras pas la ville trop vite alors ?... sinon on ne se reverra pas...

Ouais bon, de toute façon, je sais bien qu'il est pas près de sortir du dôme. En plus il faudrait qu'il ait le courage de tout laisser derrière lui, comme il a dit.
J'aimerais bien qu'il me laisse pas derrière lui...

Hyena me rejoint peut de temps après que je sois sorti de la voiture. Elle reste là, devant moi, un instant, sans rien dire. Je le trouve un peu embarrassant ce silence. C’est peut être parce que je sais qu’il précède un au revoir qui cachera avec un peu de mal chance un adieu… Je hais les au revoir. Je hais encore plus les adieux.

- Tu... tu quitteras pas la ville trop vite alors ?... sinon on ne se reverra pas...

Un petit sourire intimidé illumine mon visage – et je crois même que je rougis, mais j’espère que non. Je dois avoir l’air d’un bel imbécile comme ça, mais je peux rien faire contre. Ce qu’elle a dit me faire croire qu’elle veut bien me revoir… J’ai vraiment l’impression d’être un gosse à réagir comme ça.

Bon, je réponds quoi ? Je réponds quoi ? Si je ne réponds pas, j’aurais encore plus l’air d’un imbécile. Je passe une main dans mes cheveux – tique nerveux de quand je suis… ben nerveux en fait. Je regarde Hyena et lui dis :

- Ben… J’ai encore quelques longues années devant moi, sauf s’il m’arrive malheur avant, mais… je ne pense pas partir tout de suite. Je peux te promettre qu’on se reverra un de ces jours. Et si c’est pas pour le boulot, alors en dehors, si tu veux…

Je jette un coup d’œil du côté du Temple. Zut… Ils m’attendent déjà… Je peux même pas rester là encore un peu et discuter… Quel monde cruel. Ca signifie que je dois dire au revoir à Hyena ? Qui, sait, elle va peut être m’accompagner jusqu’à là bas, comme on le fait avec les enfants lors de leur premier jour de cours. Ou ça ne se fait plus en 2140 ? Pffff…

- Eh bien… Je crois qu’il est temps qu’on se dise au revoir… Si je ne me dépêche pas de les rejoindre, il vous aboyer comme des chiens. Alors… A une prochaine fois… J’espère.

Je lui tends la main. Ca fait à peine pas con, mais je vois pas comment je peux la saluer autrement… Et puis merde. Je me penche et dépose un gentille baisé sur la joue de Hyena – sans arrière pensé bien sûr – puis me retourne et commence à marcher vers ces gens qui m’attendent.

Il a l'air un peu... embêté ? Gêné ? ou juste idiot ?
Il va me faire rougir à rougir comme ça ! J'ai dis quelque chose qu'il fallait pas ? Ça le fait sourire mais pas comme quand il se moque. J'en ai la chaire de poule, c'est trop bizarre.

Il promet vraiment qu'on se reverra ? Il est même près à me voir en dehors du travail si je veux ?
et est-ce que je veux ?
je vois jamais personne d'habitude en dehors du travail, je me débrouille juste pour être pénarde. Mais pourquoi pas... si c'est possible... en fait je crois que ça me serait pas venu à l'idée. Donner de mon temps de repos pour être avec quelqu'un ? comme ça ? juste pour être avec lui.
Il est chiant par moment, et pourtant j’acquiesce. A croire que j'adore ça qu'on m'emmerde. Parce que c'est presque sûr, si on se revoit, il va encore m'embêter et poser des questions bizarres. Et à questions bizarres réponses pas mieux. Sauf que lui ça a pas l'air de lui faire peur que je sois bizarre.

Il y a des gens qui sont déjà là, devant le Temple. Ils étaient visiblement pressés que je le ramène.
Je vois quelques personne en blouse blanche. Ils devaient être là au cas où il y aurait besoin de soins rapides. Mais je il va très bien, je l'ai ramené sans l'abimé.
Peut-être qu'après ça, les supérieurs arriveront enfin à me faire un peu plus confiance et peut-être que j'aurais mieux que des fléchettes anesthésiante lors de ma prochaine mission. Bon d'accord, si ça avait été des balles, il serait peut-être un peu mort, mais ça personne ne le dira.

Il est temps de se dire au revoir alors.
Il veut me serrer la main (normal)
finalement non
qu'est-ce qu'il fait ?
il s'approche vachement près, je sais pas pourquoi ça me crispe un peu.

un bisou ?
... il m'a fait ça... un bisou sur la joue
mais euh... quoi ??
et c'est normal ? il a le droit de faire ça ?

Le temps que j'essaie de comprendre et il est déjà parti.
Je pourrais le rattrapper, il est pas encore très loin. En plus moi aussi je dois aller par là pour aller faire mon rapport de mission. Mais je lui dirais quoi ?
Alors je rentre dans la voiture, avec un ptit sourire nerveux sous le masque. Et puis je fais genre j'ai oublié un truc à l'intérieur, que je ne le trouverais que quand ils seront tous partis. Ah bah tient, le fusil, ça me fera un très bon prétexte. Il faut bien que je le rende.

Pourquoi il a fait ça ?
Et pourquoi ça m'angoisse ?

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Dans la Hyénamobile, sur la route pour aller au temple, entre la 15e et la 17e, en gros sur la 16e, du moins je crois...

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