Quelque peu de douceur dans ce monde de brutes...

Plusieurs clics sur la ligne indiquent des passages de relais un peu louches.

Une voix robotique (ou robotisée ?) finit par se faire entendre :

Deidre Fairfax ?
On veut parler à Leith. Tout de suite.

...
Evidemment.

Bon, par contre, c'est pas la politesse qui les étouffe.

Je prends pas la peine de répondre, amène le téléphone dans la salle de bains et le tend à mon drôle d'oiseau.

- Vos amis, sweetie. Sûrement pour les détails de la rançon.

... C'est un peu crétin ça, je sais : si ça se trouve, il va y avoir un commando armé qui va forcer ma porte, du coup.

Mais zut. Les gens qui ne disent ni bonjour ni merci, et qui pensent m'intimider en signifiant qu'ils connaissent mon nom... Cela m'insupporte. Bande de ploucs.

Je fais demi-tour en levant le nez de façon très éloquemment vexée, et je retourne m'habiller.

Leith suit d'un oeil perplexe le départ abrupt de sa belle, puis finit par porter le téléphone à son oreille.

Oui ?

Leith ? Ça va ?

Heu, oui, pourquoi ?

Tu changes pas... Bon, on arrive, vieux. Prépare-toi pour l'exfiltration, ça risque de défourailler.

Hein ? L'exfilquoi ? Mais non ! Laissez-moi tranquille, je suis très bien, ici !

Soupir.

Bon, alors pourquoi tu nous as envoyé le code « SOS, retenu contre mon gré » ?

Heu... Non mais les gars, vous êtes pénibles avec vos codes. C'est comment déjà, « je suis en sécurité, ne vous inquiétez pas » ?

Soupir.

Leith, t'es vraiment un boulet. Bon, tu fais quoi chez cette Valkyrie ?

Heu... Mais c'est très indiscret comme question !

Rire.

Je vois. Une rousse, je parie ?

LA rousse, mossieur, pas « une » rousse.

Rire.

Méfie-toi quand même... Bah, ça sert à rien que je te dise ça. Repasse-la-moi.

Sûrement pas, vous l'avez vexée.

... OK. Alors dis-lui que si elle te trahit, on le saura.

Clic. Tûûût... tûûût... tûûût...

Leith raccroche et pousse un gros soupir.

Deidre ? appelle-t-il en la cherchant dans tout l'appartement, avant de la trouver dans la cuisine.

Il lui tend son téléphone avec un air penaud.

Désolé. C'est de ma faute, je me rappelle jamais les codes...

Le téléphone lui ressonne dans la main.

Je me retourne en l'entendant entrer, soufflant sur mon café et le visage fermé.

Désolé. C'est de ma faute, je me rappelle jamais les codes...

Ne pas se laisser attendrir par son si adorable air chafouin. Nonnonon. Ses amis sont des affreux et...

Sonnerie. Encore ??

Je lui prends le téléphone des mains et soupire : cette fois-ci, c'est pour moi. Mon rendez-vous d'il y a dix minutes.

Je décroche. Voix mourante.

- Allô, Stew chéri ? Oui... Je suis... désolée, vraiment. Je viens de me réveiller : je n'ai pas vraiment dormi de la nuit, je suis... souffrante... et complètement hors d'état pour aujourd'hui.

Je m'éloigne un peu, ma voix devient plus câline.

- Mais bien sûr, que je vous trouve un créneau au plus vite. Vous le savez bien : vous êtes une priorité, pour moi.

Et c'est vrai : c'est un puits d'informations, cet homme.

- A très bientôt...

Je raccroche. Sans me retourner vers Leith, j'utilise mon secrétariat virtuel pour décommander mes rendez-vous d'aujourd'hui... au moins.

Voilà.

Je suis aussi libre qu'une Valkyrie peut l'être.

Stew chéri ?

Leith la suit dans le salon, les yeux écarquillés.

Priorité ?

Bon, face à ce drame, il a deux possibilités :

Soit il va se rhabiller et part comme un prince (en claquant la porte, de préférence), soit il s'évanouit sur la moquette et elle se précipite, toute sollicitude, pour lui expliquer que non, c'est vraiment pas ce qu'il croit.

La deuxième lui plaît bien mieux.

Bom.

... "Boum" ??

Je me retourne pour voir mon olibrius favori allongé sur ma moquette, les yeux fermés. ... Je rêve, ou il feint l'inconscience ? ... Non, l'inconscience, il ne la feint pas. Il feint l'évanouissement, je veux dire.

Je pose mon téléphone, viens m'agenouiller à son côté, lui caresse les cheveux.

- Leith ? ... Je pense qu'il vaut mieux que vous le sachiez... Les Valkyries... Ce qu'on vend, c'est... non seulement nos compétences, mais un peu... de nous. .... Ceci dit, il n'y a pas de... comparaison, vous savez ? Entre ce qui se passe avec eux et...

Mordillage embêté de lèvres. Je sais bien que ce n'est pas réellement -pes seulement- de la prostitution, ce que nous faisons : j'ai plus de clients qui viennent pour discuter et se détendre que pour... quoi que ce soit d'autre. Cependant, ça peut y ressembler furieusement : donner du plaisir aux gens contre rétribution, ça n'a jamais été un métier très glorifiant.

Soupir. Baiser sur le front.

- Si vous ne... pouvez pas le supporter, je comprendrai.

Je me lève lentement.

Merde, pleurer, ça me rougit les yeux et le nez de façon horrible.

Il entrouvre un oeil. Quoi, elle s'en va déjà ? Mais c'est qu'il ne se sentait qu'aux trois quarts consolé, là !

Il se lève d'un bond, va la prendre par les épaules pour la tourner vers lui. Ah mais non ! Ces petits éclats de lumière dans ses yeux, ça éblouit, ça lui envoie des reflets vicieux, et lui aussi, il va se mettre à briller des pupilles ! Pas de ça Lisette !

Il la serre contre lui pour un câlin très tendre (si si, il en est capable aussi) et lui souffle à l'oreille :

Mademoiselle, sachez que je suis un insurgé qui mange les enfants et torture les vieilles dames. En plus, mes amis sont des mufles. Je serais bien impertinent de vous juger.

Il se recule pour la regarder, puis se penche sur l'autre oreille :

Mademoiselle, sachez que je vous aime depuis toujours, et que tous les "Stew chéri" du monde n'y changeront rien.

Volte-face, pas tout à fait préméditée. Espérée, ça oui, mais je pousse quand même un couinement de stupéfaction en levant les yeux vers ceux de mon invité surprise.

Mademoiselle, sachez que je suis un insurgé qui mange les enfants et torture les vieilles dames. En plus, mes amis sont des mufles. Je serais bien impertinent de vous juger.

Suavité aux senteurs d'homme et de fleurs d'îles dont seul le nom subsiste. J'enfouis mon nez dans un cou tout tiède, et cette douceur remplit mon coeur de miel, pas autant cependant que sa phrase suivante :

Mademoiselle, sachez que je vous aime depuis toujours, et que tous les "Stew chéri" du monde n'y changeront rien.

Je pose mes mains sur ses joues, vrille mes yeux dans les siens, cherche où se trouve l'étincelle qui révèle le mensonge si on sait où la chercher...

Rien.

Soit c'est vraiment vrai.... Soit il y croit très fort.

Je murmure en riant à demi :

- Après ce que vous venez de dire, si vous m'annoncez que vous rentrez chez vous... Je crois que je m'autodissous.

Baiser.
Long.

Très.

Puis :

- J'avais prévu que nous pourrions... vous faire livrer de quoi peindre, et de la nourriture, dans cet ordre de priorités, mais...

Je recule un peu. Curiosité.

- Que vous voulaient vos amis ? Vous deviez faire quelque chose ? Des... trucs d'insurgés, comme torturer des gens ?

Sourire.

Il se gratte vigoureusement la nuque avec un rire gêné de pré-ado.

Ça s'appelle pas vivre aux crochets de quelqu'un, ça ?

Heu, ce qu'ils me voulaient ? C'est-à-dire qu'on a des codes... Six chiffres chacun... Et évidemment on n'a pas le droit de les écrire... Alors, heu... Ils ont cru que j'étais en danger parce que j'ai un peu confondu "Je suis en sécurité, ne vous inquiétez pas" avec "SOS, retenu contre mon gré". C'est ballot, hein ?

Il redevient un poil plus sérieux pour ajouter :

Certains d'entre nous tuent des gens et posent des bombes. C'est un fait. Moi, non. Mon rôle, c'est de rappeler aux Orthodoxes que le plaisir existe, de leur mettre sous le nez ce qu'ils ratent. En leur balançant des couleurs plein les yeux.

Un peu comme vous, non ?

Je hausse les sourcils.

- Vous faites ma déco, je paie le matériel. Et pour la nourriture...

Sourire coquin, main qui se pose sur l'épaule et glisse lentement sur le torse...

- J'espérais vaguement un paiement en nature...

... et migre au tout dernier moment sur la hanche, où elle se pose.

...
Non ? Il a vraiment fait ça ?
Je pouffe.

- Je comprends pourquoi ils ont été... moyennement polis, du coup.

...

- Tout le monde n'a pas nécessairement envie de risquer de mourir ou d'être défiguré pour ressentir. Nous sommes, mes camarades et moi même, beaucoup moins effrayants que vous. ... A ce propos... Où sont vos pieds fourchus, vos cornes, vos écailles et votre bosse ? Je suis très déçue.

Je lui tourne autour, inquisitrice.

Paiement en nature ? Mais comment donc ! Scout toujours p... Ah, pas tout de suite. Bon.

Elle lui tourne autour, taquine.

Ma bosse ? Mais là, mademoiselle. Il désigne une partie de son anatomie, effectivement protubérante. Rappelons qu'il n'a toujours pas le moindre vêtement sur lui.

Pour le reste, c'est vrai, j'avoue, je suis très décevant. Je n'ai jamais été implanté, donc forcément, jamais dépucé, alors je n'ai rien de très folklorique à... Tiens, si ! Hahah, non, laissez tomber, vous n'allez jamais me croire.

Léger sourire. Je recule jusqu'au salon, me laisse tomber sur le canapé, croise haut mes jambes sous ma robe de soie verte.

- Je ne pense pas que vous soyez réellement en position de me raconter des bobards, mon petit chou. J'ai dans l'idée que votre cerveau va sous peu ne plus être assez irrigué pour ça.

Voix très douce, caressante comme du duvet d'oiseau.

- Et donc, cette révélation ?

Je le détaille du regard, puis remonte à ses yeux, dévorée de curiosité.

Un peu gêné quand même -- normalement, c'est les hommes qui se rincent l'oeil, non mais des fois ! -- il s'assied en face d'elle, ce qui lui permet de cacher sa bosse.

Eh bien, figurez-vous que je suis né... à l'ancienne. Je veux dire que j'ai poussé dans le ventre de ma mère, à l'issue d'une fécondation in vivo tout ce qu'il y a de plus archaïque.

Il examine ses ongles, faussement désinvolte.

Ce qui explique sans doute que je ne sois pas tout à fait fini.

L'émotion étrange que j'ai ressentie au début de sa réponse -émerveillement, surprise, douceur- cesse brutalement avec la seconde partie. Comment ça pas fini ? C'est indignée que je me laisse glisser au sol à genoux et que j'entoure son visage de mes mains.

- A qui il faut que je fasse casser la figure pour vous dire des horreurs pareilles ? Et vous les avoir faites croire, surtout ?

Je cherche ses yeux.

- Un mot de vous et ils n'ont plus de rotules.

Mais... Mais vous êtes violente, vous !

Ce qui ne l'empêche pas d'en profiter pour plonger ses mains dans les cheveux de sa sirène.

Vous voyez bien... J'oublie les codes. Et puis il y a un tas de choses qui semblent très importantes aux autres, et qui m'ennuient à mourir. Et encore un tas de choses qui me semblent très importantes et qui ennuient les autres à mourir. Si vous préférez, je vais le dire comme ça : je ne suis pas "normal".

Ça n'a pas l'air de le déranger beaucoup, ceci dit. Sans doute une chose qui doit sembler très importante aux autres...

Je peux vous embrasser ?

Je me détends lentement. Il n'a pas l'air malheureux... C'est l'essentiel. Son calme est reposant.

Sourire.

- Ah, parce que c'est MAINTENANT que vous posez la question ?

Baiser sur la truffe.

- Bien sûr, que vous pouvez. Andouille.

Baiser sur l'arcade sourcilière.

- Vous ne vous mettez jamais en colère ?

Il rit et s'apprête à profiter de la permission offerte quand une question intéressante pointe son nez.

Attendez que je réfléchisse... Si. La laideur, ça m'énerve.

Une activité bien plus passionnante était en cours depuis un moment -- à savoir, embrasser sa dulcinée -- quand un grondement aux allures de séisme monte de son estomac.

Mais chut, toi ! fait-il à son ventre, avant de revenir aux affaires.

...

Éclat de rire.

- Je suis une très mauvaise maîtresse de maison : je vous tue à la tâche et je vous affame !

Je me relève, rajuste correctement mes vêtements qui ont tendance à se faire la malle en présence de Leith, lui prend la main avant qu'il ne l'aventure en des endroits qui me feraient perdre le fil de ma pensée, et le tire légèrement vers la cuisine.

- Allez. Vous préférez le sucré ou le salé ?

Et là, surprise : on sonne à la porte. Flottement.

- ... Vos amis ont décidé de venir quand même ?

Ma voix tremble un petit peu.

Il fait non de la tête, pas très rassuré lui non plus, visiblement.

Il n'y a aucune raison que ce soit eux...

Grattage vigoureux de nuque.

Qu'est-ce qu'on fait ? Je me cache dans la chambre et vous ouvrez ? Non, si c'est des méchants, je ne pourrai pas vous faire un rempart de mon corps.

Il baisse les yeux sur ledit corps et ajoute :

Je vais peut-être m'habiller, déjà.

Il fonce dans la chambre pour remettre ses frusques en deux temps trois mouvements -- bien possible qu'il ait un peu oublié son caleçon, dans la précipitation -- et revient se poster devant la porte avec Deidre.
Par un heureux hasard, il a remis son tee-shirt à l'envers, et si les coutures apparentes lui donnent un air encore plus négligé que d'habitude, au moins l'inscription subversive n'est plus visible.

...

J'attends le retour de Leith en m'activant un peu : j'enlève le brouillage, et active la camera extérieure. Oh. Marmonne.

- Ce n'est peut-être pas SI grave...

Quand j'entends mon am... ical partenaire arriver, je soupire et ouvre.

Spoiler:

- Hildy chérie ??

La tornade brune entre, se pend à mon cou. J'évite de justesse un baiser mouillé... Impact - 4 secondes.

- Tu es malade ?

Impact - 3 secondes.

- Qu'est-ce t'as ?

Impact - 2 secondes.

- Tu veux que je reste ?

Impact - 1 seconde.

- Tu veux un c...

Impact.

- Oh. ... Oooooooooooooh.

Murmure à mon oreille, sans me lâcher.

- Malade, hmmm ? Pourquoi je tombe jamais sur des microbes comme ça ?

Résignée, je la laisse s'approcher de Leith, tous yeux pétillants et gourmands, et lui tourner autour.

- Vous voulez pas que je reste, non ?

Je me claque le front avec consternation.

Mais qu'est-ce que c'est que cette... chose ?

C'est où, le bouton pour l'arrêter ?

Leith adresse un regard de détresse à sa rousse pendant que la prédatrice brune lui tourne autour avec des yeux affamés. Il fait cet effet à toutes les Valkyries, ou quoi ? Excellent pour l'ego, mais à part ça...

Poli, pas poli ? Leith se rappelle au dernier moment qu'il n'est pas chez lui et fait un gros effort. Mains dans les poches, yeux fixés sur ses pieds nus, il grommelle :

'Jour mzelle.

Je muselle mon envie de rire devant l'air épouvanté / agacé / résigné de Leith... et celui, presque outragé, de Hilde. On a rarement de réactions négatives à son encontre, et aussi fortes... c'est une première.

Je pique un baiser sur l'épaule nue de ma petite camarade, en passant, puis vais passer les bras autour de la taille de mon barbouilleur de génie.

- Il est un peu timide, pour le moment. On en discutera plus tard... D'accord ?

Plus sérieusement.

- Motus, ma douce, d'accord ? C'est un extra.

Mais pas trop.

- Et avant que tu poses la question : oui, il est extra.

... Passera, passera pas ?

- .... Kyaaaa ! Compte sur moi, j'dirai rien !

Passé. On n'échappe pas au câlin collectif, et je crois qu'elle a un peu peloté Leith au passage, mais bon. Elle ne dira rien.

-Du coup, je... vous laisse, hein ? Bisous les amoureux !!!

Il y a un grand silence quand elle referme la porte derrière elle.

Leith met un moment à se remettre du passage de l'ouragan en talons aiguille. Puis il se frotte le menton, jette un oeil perplexe à sa dame et demande :

C'est vraiment votre amie ? Non, parce que, si c'est le cas, je crois qu'on est à égalité pour ce qui est des mauvaises fréquentations.

Son air se fait incrédule et choqué :

Elle m'a quand même touché les fesses !

Il va nicher son nez dans le cou de Deidre et ajoute d'une toute petite voix :

J'ai besoin d'un câlin pour m'en remettre...

Ton compréhensif.

- Oh. C'est zone interdite alors ? Mon pauvre amour. Je lui dirai de ne plus tripoter votre anatomie arrière... et peut être qu'elle m'écoutera, sait-on jamais.

Ne pas rire... Ne pas rire... Ne pas... Trop tard.

J'essaie de camoufler mon fou rire contre son épaule mais je ne suis pas certaine d'être très crédible. J'essaie les baisers comme pansements à l'ego : c'est que c'est sensiiible, les artistes !

Leith tente de maintenir son air outragé aussi longtemps que possible, puis se met à pouffer à l'unisson.

Entre deux baisers, il rectifie :

Zone interdite, jamais pour vous, ma chère.

Il s'apprêtait (et avec enthousiasme) à entamer une cinquième partie de jambes en l'air quand un détail l'arrête.

Comment vous m'avez appelé ?

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