Gueule de bois. Ou équivalent. Gueule de violence. La veille au soir, ça a fini un peu brutalement. Son crâne cogne et il a une gueule de fraichement déterré. Pas que ça change beaucoup de d'habitude, mais il est juste encore plus irritable. Même Jane n'a pas osé le contrarier aujourd'hui.

Il s'est habillé rapidement, des pensées diverses tournoyant dans son esprit, avant de s'installer devant ses écrans. Ses recherches se sont tournées du côté de l'androïde, et il a réussi à récupérer quelques pistes intéressantes, lorsque Jane soudain apparait devant lui en miniature.

- Tu viens de recevoir un message des chefs. Le nouveau Mentaliste est là, et ils aimeraient que t'ailles faire un tour, le sonder, voir ce que tu peux en tirer. Bref, la méfiance règne, et c'est toi qu'ils envoient. Ils doivent se dire que si t'en crèves, ça sera pas une grosse perte.

Il jette un regard sombre à Jane mais soupire. C'est lui qui l'a programmée ainsi, elle n'est que le reflet de ses propres émotions, et n'a fait qu'exprimer ce qu'il pense être vrai.

Alors, il recule sa chaise pour se lever à contrecoeur. A vrai dire, il est curieux. Il ne comprend pas ce qu'un fils d'Automate vient faire dans le secteur, tout doté de pouvoir qu'il soit, et sent l'histoire pourrie à plein nez. Et les histoires pourries, c'est son domaine. C'est lui le larbin chargé d'effacer les preuves gênantes et les témoins inopportuns. Alors un de plus ou de moins... Il y a peu de pouvoirs qui puissent l'empêcher de faire oeuvre du sien de toute manière.

Lisser le revers de son col pour se rendre présentable, passer une main dans sa chevelure courte, réflexe, puis glisser dans sa poche le mini-transmetteur de Jane et sortir pour se rendre vers le bureau du nouveau venu. Styx qu'il s'appelle. C'est pas un nom ça. Attendre patiemment que l'ascenseur descende un étage plus bas. Ils sont voisins tiens.

Et enfin, toquer à la porte du bureau en attendant une réponse. Un soupir au creux des lèvres. Il sent que ça va le gonfler encore cette histoire. A tous les coups, c'est encore un pétard mouillé, un fils de riche qui croit faire son intéressant et va se briser les dents sur l'inertie d'un système corrompu.

Mais au moins il sera le premier à pouvoir lui enlever ses illusions. Et ça, Jaden aime bien. Il adore voir l'espoir mourir dans des prunelles arrogantes. Ca lui donne l'impression de revivre.

Au signal, il pousse la porte et pénètre dans le bureau. Un temps d'arrêt en voyant la dégaine de l'homme en face de lui, il referme finalement le battant de bois avant de venir s'assoir en face de lui. Non mais c'est quoi ce cirque ? Il s'est cru où le mec ? Une armure et une sorte de cape ornée de dessins... Fallait se déguiser avant de venir en fait ?

Oh, il a même la jolie épée qui va avec. Non mais... Ok, au moins il comprend mieux pourquoi c'est lui qu'on a envoyé. C'est toujours lui qu'on envoie s'occuper des guignols. Comme s'il avait du temps à perdre avec ces conneries... Enfin bon, maintenant qu'il est là, faut qu'il fasse bonne figure au clown à la voix robotique. Comme toujours, jouer la comédie, être présentable, ce genre de choses... Ca fait partie du travail. Sois beau et tais toi, enfin, l'ouvre pas trop grande.

- Je venais juste vous souhaiter la bienvenue et m'enquérir d'un éventuel besoin d'aide. Le Temple est une univers étrange, si vous nécessitez quoi que ce soit, je serai ravi de pouvoir vous aider.

Il s'est installé confortablement sur le fauteuil, presque dédaigneusement. Il est sûr de lui, et il le montre, même s'il demeure poli. Surtout parce qu'il demeure poli. La rencontre est placée sous le signe de l'hypocrisie et du jugement, l'autre doit en avoir conscience s'il est pas trop con. Son casque est une façon fort peu subtile d'empêcher qu'on le jauge trop vite, mais le masque naturel de Jaden est presque aussi efficace. Des années de pratique trouvent matière à s'appliquer, comme toujours. Patienter.

- Je vois que les présentations ne sont pas nécessaires, Monsieur Styx. Vous êtes bien renseigné.

L'atmosphère se modifie imperceptiblement, quelque chose qui change dans le rapport de force. Cet être ne répond pas comme un guignol le ferait. Il est posé et sûr de lui, et sa voix étrange ne le rend même pas ridicule.

D'un mouvement du poignet, il crée une étrange onde que Jaden discerne à peine, juste une vague impression, mais l'émetteur dans sa poche soudain devient froid. Un grésillement désagréable s'en échappe, mais le jeune Hammond ne s'en préoccupe pas tout de suite, écoutant la suite de l'intervention de son interlocuteur, au pouvoir intéressant, bien qu'il ne soit pas parvenu à en déterminer la nature exacte. Mais les Mentalistes sont sensible au pouvoir, de quelque nature qu'il soit.

Styx se dévoile peu à peu, dans ses intentions en tout cas. En fait si, c'est bien un guignol. Un illuminé assoiffé de pouvoir. Redorer le blason d'une bande de dingues, c'est pas possible. Y a qu'à voir les cas qu'ils se trimballent. Entre Velios qui est incapable de cacher ses penchants, Melian qui croit encore aux beautés et à la vertu des Mentalistes, et tous les autres troufions qui s'agitent comme des poulets sans tête... C'est mission impossible mon gars. Compte pas sur moi pour me lancer dans une opération aussi manifestement vouée à l'échec. Je tiens à mon cul moi.

Il cache bien ce raisonnement pourtant, se contentant de manifester un intérêt poli pour ce que l'autre lui raconte. De quoi il a besoin lui ? De vacances sous les tropiques. Ca c'est une bonne idée. Et ce grésillement là... grrr.

Sa main plonge dans la poche de son uniforme, et jette finalement l'objet rond sur le bureau entre eux. Il roule sur la tranche sur quelques centimètres avant de se stabiliser.

- J'ai besoin d'un nouveau moyen de faire apparaître Jane. Elle va me passer un sacré savon quand elle reviendra.

Jaden offre un sourire énigmatique à son vis-à-vis, se redressant finalement dans son fauteuil, quittant son attitude désinvolte.

- J'ignore comment vous comptez vous y prendre, mais la chose ne sera guère aisée. Les moyens extrêmes, je connais bien, mais les raisons de les mettre en oeuvre me paraissent plus abstraites. Je vous écoute, néanmoins. Expliquez-moi, fascinez-moi.

Sa voix se fait traînante sur les derniers instants. Il est curieux, au fond de lui, même s'il ne fonde guère d'espoir sur un guignol déguisé. Sait-on jamais. Oui, qui sait ?...

Ce... cet olibrius le menace là hein ? On est bien d'accord ? Tout son beau discours, se faire mousser ainsi en avançant sa richesse, sa technologie, et toutes les autres conneries qu'il lui sert... C'est ridicule. Tourne pas autour du pot mon gars, de toute façon, je suis pas intéressé. J'vais pas aller risquer ma vie pour suivre un illuminé qui se prend pour un justicier.

Sauf que... Elle est mignonne son épée. C'est peut être des conneries ce qu'il lui raconte dessus mais, tout de même, c'est vrai qu'elle a pas l'air ordinaire. Et puis certaines choses résonnent en lui. Il avance sa main pour tirer son dossier à lui, le parcourant rapidement. C'est... moche. Des écarts, qu'il n'a parfois même pas commis, sont répertoriés de façon presque fantaisiste, extrapolation de comportements un peu limites qu'il a pu laisser échapper. Mais tout ça, il n'a pas commis. Il ne s'est jamais fait choper en train de le commettre tout du moins. Les chefs savent peut être qu'il est louche, mais ils n'ont aucune preuve. Et ce dossier, cet infâme torchon, c'est pas normal.

Il relève un regard acéré sur le Mentaliste en face de lui, son esprit tournant à toute allure. Père... Père devait être au courant bien entendu, mais il n'a rien fait. Serais-tu en train de jeter ton propre fils en pâture ?

- Ce dossier est un tissu de mensonges. J'ignore où vous avez récupéré ça, mais il y a là-dedans de nombreuses fausses accusations. J'aimerais beaucoup rencontrer son rédacteur afin de comparer notre vision des faits.

L'étincelle sombre s'est allumée dans ses prunelles, symbole de sa colère et annonciatrice d'un pouvoir imminent. Il ne l'utilisera pas sur Styx bien sûr, il n'a rien fait, mais l'idée le ronge désormais qu'on cherche à lui nuire. Il s'est pas fait chier pendant des années à rester plus ou moins dans le rang pour qu'on le charge de sales trucs qu'il a pas faits. Si c'est effectivement le cas, la proposition du guignol prend une toute nouvelle tournure... Détruire le conseil, il s'en foutait jusqu'à présent, mais si le conseil cherche à lui nuire, alors là... Faut pas énerver Jaden. Faut vraiment pas l'énerver.

Il inspire un grand coup pour se calmer, retrouvant un certain contrôle, mais ses mains tremblent encore un peu.

Un piège. C'est peut être juste un piège, un vaste piège. Peut-être tente-t-on de vérifier ses velléités de rébellion. Il ne doit pas se laisser avoir, pas si facilement. Jaden méfie toi, c'est pas la première fois qu'on essaie de te faire la peau.

- Pourquoi voulez-vous tant faire tomber le conseil en place ?

C'est prudent. Jaden est prudent.

- Et pourquoi m'en parler à moi ?

Merde ! Là, sur la photo, en galante compagnie, c'est son père. Pas que ça le surprenne qu'il puisse s'adonner à ça mais... mais merde quoi ! Y a des choses qu'on préfèrerait pas savoir. Pour son propre bien et sa santé mentale.

Il attrape d'un geste automatique ce qu'on lui tend, le regard toujours braqué sur la photo, plus abattu qu'il ne le devrait par la nouvelle. Puis ses yeux se posent sur le papier, et il étouffe un hoquet de surprise. Merde. Sa famille à lui, au guignol, c'est celle-là ? A côté, Jaden est un bouseux de basse extraction en comparaison... S'il contrarie des êtres pareils, même le Conseil pourrait pas faire grand chose pour lui s'il le voulait. Et il le voudra pas.

Jaden mon gars, pas de connerie. Le vent tourne de façon assez radicale, il n'est pas temps de rater ta chance. Il n'a jamais voulu s'impliquer plus que nécessaire dans les luttes de pouvoir. Sa position acquise grâce à son père au sein de l'Ordre lui convient très bien. Pas trop de responsabilité mais beaucoup de pouvoir. Sauf que... là s'il fait rien, il va se faire dégager. Et il imagine assez bien l'accueil d'un ancien Mentaliste réformé au sein de la population. Il va pas vivre trois jours. A moins de rester terré, ce qui ne l'enchante pas vraiment.

Son regard se relève vers le Mentaliste. Sale enfoiré. Il lui aurait collé un couteau sous la gorge, c'était pareil... Et pourtant, pourtant, il n'a absolument pas le choix. C'est marche ou crève maintenant. Et Jaden a pas très envie de crever.

Il se relève, jetant la photo sur le bureau parmi les autres, le bon précieusement serré dans sa main. L'heure n'est plus à jouer les pucelles effarouchées. Faut qu'il montre ce qu'il vaut, sinon c'est fichu, il partira qu'il le veuille ou non. Il veut pas se faire dégager. Pas maintenant qu'il a pris goût à la chaleur de la place qu'il a. Le nouveau bureau, le nouveau poste tout ça, il s'en fout. Il a pas pour ambition d'atteindre les hautes sphères du pouvoir... mais il refuse catégoriquement de se voir dégrader. S'il faut prendre du galon et se rendre indispensable pour ça, il le fera. Il est efficace l'air de rien. Faut juste qu'il le prouve.

Il tend la main droite en direction du Mentaliste, même s'il doute qu'il la lui serre. Ce sont des choses qui se font. Et Jaden est attaché aux convenances.

- Je suis votre homme.

Le pas est franchi. Maintenant, il saura s'il a merdé et s'est planté de voie. Ou s'il s'est lancé dans un truc trop compliqué pour lui. Ou si cet homme est vraiment un guignol. Trop tard pour reculer de toute manière.