Note: Nous sommes en 2031 , à la fin du printemps. Samuel a 26 ans et ça sera bientôt son anniversaire, mais il s'en moque. Nous ne sommes pas en 2040, les choses sont donc un peu différentes. Cela n'est pas vraiment important car ce qu'il faut vraiment retenir ce sont les événements qui ont eu lieu:



"Vous êtes bien Samuel L?"

Le type est entré en plein milieu d'un de mes interrogatoires, sans même frapper à la porte et m'a directement demandé mon identité sans même dire bonjour. Il porte les lunettes noires et l'uniforme blanc du centre, celui des pions.
Les pions, ces hommes à tout faire que j'adorais manipuler à l'époque. Mais il est plus jeune que moi et ne me connait donc pas.

"-Oui, c'est moi. Repassez plus tard, je suis occupé.
-J'ai mes ordres.
-Et moi les miens, je dois obtenir des informations précieuses de ce type. J'ai bientôt fini et je suis à vous tout de suite après, mais en attendant vous me dérangez, sortez."

J'ai été sec, mais il faut ce qu'il faut... Il s'exécute, on dirait qu'il a compris; je peux donc retourner à ma basse besogne.
C'est bête et avilissant, mais j'adore ça moi: "Interroger". La plupart de mes collègues s'y prennent avec des couteaux ou des aiguilles, il y en a même un qui adore y aller à la tronçonneuse. Moi je préfère jouer sur un autre tableau, ça m'offre plus de diversité... Alors que le type d'hier était cloitré dans un coin en me suppliant de le laisser en vie, celui d'aujourd'hui est toujours assis sur sa chaise, tout simplement en train de chialer après ses parents morts et ses potes qu'il croit être à l'hosto.

-Aller aller, mon gars. Tu vas t'en sortir, et eux aussi! Tu me remplis cette feuille avec tout ce que tu sais et tu auras une réduction de peine. D'ici quelques semaines tout sera terminé... Fais moi confiance!
-*Snif* Mais à quoi ça sert? J'suis qu'une merde qui a raté sa vie et qui va finir en taule. Et les taulards deviennent jamais des gens bien.
-Je peux pas t'éviter un peu de prison, mais au moins tu sortiras. Et il ne tient qu'à toi de goûter à nouveau à la liberté et aux joies de vivre avec tes potes, en toute légalité. Tu vas pas les abandonner quand même?

Il prend le bic et commence à écrire. Aaaah, que c'est reposant de jouer sur la corde de la sensibilité: Il suffit de leur rappeler qu'ils ont une vie minable, que même les orthodoxes vivent mieux qu'eux. Ensuite on leur parle de tous leurs proches qui sont morts en mettant leur solitude en évidence. Et pour arranger le tout, j'augmente mentalement leur désespoir. Ca prend un peu plus de temps, mais ils n'en ressortent pas moins brisés et la plupart du temps ils font moins de bruit quand ils pleurent que quand ils crient pour leur survie.

Mais le mieux, le moment le plus délectable, c'est quand je lui dis qu'en fait j'ai menti et qu'il croupira dans une cellule en attendant de servir de monnaie d'échange. Je précise aussi que l'échange ne sera qu'un piège et que lui et tous ses potes crèveront comme des rats. J'veux bien donner des rêves, mais pas trop non plus hein.

Je sors et tombe directement sur le type du centre, qui a apporté des copains pour être sûr que je le suive. Ils m'expliquent que le directeur du centre veut me voir, que c'est une mission officielle. Je les suis donc sans broncher, ça me fera tout drôle de me retrouver là bas.

*******

En effet ça fait bizarre, j'ai été parcouru d'un frisson lorsque j'ai passé les lourdes portes blindées de l'entrée. J'ai toujours trouvé ça con de mettre des portes blindées pour un bâtiment qui ne comporte aucun adulte ou presque. En plus les armes sont confisquées à l'entrée, seuls les pions ont des pistolets paralysant à n'utiliser "qu'en cas d'absolue nécessité". Pour le reste ils ont leurs gros bras, mais moi j’ai pas envie d’utiliser la violence sur les gosses et je préférerais garder mon flingue, juste pour les dissuader.

Par contre, l'ambiance à changé: J'ai entendu un rire. La seule fois où j'avais commis cette erreur là j'avais fini avec 3 côtes cassées et la tête bien amochée, avec 4 jours en cellule d’isolement une fois sorti de l’hôpital. Bon, j’avais peut être abusé en courant autour du réfectoire en criant qu’ils étaient tous des incapables et que c’était pour ça qu’ils étaient pions plutôt que des futurs NOD… Mais il y avait du vrai dans ce que j’avais dit à l’époque, et je le pense encore.

J’entre dans le bureau du directeur, pour faire face à un type qui doit avoir quelques années de moins que moi. Un nouveau sans doute pour qui cet établissement n’est qu’une étape, je dirais même que c’est un automate fils-à-papa. Je lis en lui autant de frustration et de vanité que dans un chef insurgé. J’ai envie de le briser en deux histoire qu’il se rende compte à quel point il est minable… Mais "mission officielle", il m’a fait venir moi et pas un autre, et je suis curieux de savoir ce qu’il me veut.

-Bonjour. Samuel je présume.
-Ou[…]
-Pas la peine de répondre, votre photo est dans votre dossier, c’était purement rhétorique… Je vous ai fait venir car j’ai besoin de vous. Vous serez payé autant que pour votre travail habituel et vous aurez un bonus pouvant aller jusqu’à 50% si vous faites ça rapidement.
-Je vous préviens, je ne suis pas une nounou.
-Non, mais vous adorez jouer le psy indépendant, non? A vrai dire je me passerais bien d’un être dans votre genre, mais on a besoin de votre… talent pour soigner l’une de nos recrues.

Il me flatte en disant que j’ai un talent tout en me rappelant que pour lui je ne suis qu’un déchet. Mais ce dont il parle m’intéresse et puis ça me permettra de voir la nouvelle génération, alors j’accepte. Le molosse qui me sert de guide doit me montrer des enregistrements pour que je visualise le problème, alors je salue le directeur et puis on sort.

On passe réfectoire parce que c’est l’heure du repas. Ils sont silencieux et disciplinés, pas un bruit et même plus de rire. Une parfaite petite fournée de futurs petits soldats. C’est là que mon chien de garde me la montre du doigt: Une gamine avec des couettes, tout ce qu’il y a de plus banal.

-Euh, c’est ça votre terreur?
-Vous allez comprendre.

En effet, j’ai compris. Comment on appelle une gamine qui rit à un cours sur torture, ou en plein combat, ou alors qu’elle se fait battre par les pions? Normalement on les soigne… Mais ils m’expliquent qu’ils l’ont déjà fait, plusieurs fois, mais que ça ne servait à rien.

Mon rôle est simple: Analyser ses sentiments, voir ce qui la fait rire et l’empêcher de recommencer, définitivement. Si je foire ce n’est pas grave, ils continueront juste à la gaver de neuroleptiques. Mais là ils ont du interrompre le traitement pour ne pas interférer avec mon pouvoir. Donc ses crises sont plus fréquentes et plus violentes.
D’ailleurs, ça a recommencé. On croise un garde qui m’explique qu’il l’a enfermée dans une pièce où on sera seuls elle et moi.
J’y vais et entre, elle est assise sur sa chaise, toujours en train de rire. Comme elle a son visage entre les mains je n’arrive pas à voir ses yeux.
C’est ennuyant, parce que je ne peux pas me servir directement de mon pouvoir dans cette situation. Va falloir parler, c’est lassant mais bon…

-Salut gamine, moi c’est Samuel. Et toi, t’as un nom?

Aller, lève les yeux et regarde moi, m’oblige pas à être méchant.

J'ai mal.
Pas trop à cause du bobo à côté de mon œil, ça c'est rien. Juste un de ces petits connards qui m'a balancé sa fourchette à la figure. Si y avait pas quelques pions dans le réfectoire, je lui aurait fait avaler, sa fourchette de merde !
Mais bon, je me fais déjà assez remarquer comme ça, c'est pas la peine d'en rajouter en désobéissant au règlement. Interdit d'abimer ses ptits camarades... tu parles ! Ya jamais personne qui suit les règles correctement. C'est pourtant pas si compliqué !

Bon ok, j'ai pas le droit de rire non plus, mais j'arrive pas à faire autrement. Et ça par contre ça fait mal.
C'est pour ça qu'ils m'ont mis ici sans me laisser finir mon assiette. De toute façon, j'aurais rien pu avaler sans m'étouffer. Mais un jour, peut-être que j'arriverais à finir un repas entier sans qu'on me fasse chier.
En attendant, rebelote, des coups de bottes jusqu'à ce que je tombe et on me colle dans une pièce vide pour que je me calme.
Mais ça marcherait mieux si on me donnait des médocs. Pourquoi on ne m'en donne plus ? Ils attendent que je meurt de rire, c'est ça ? Je suis sûre qu'on peut en mourir. Bah tant pis, au moins, je verrais ce que ça fait. Il parait qu'on n'a plus mal quand on est mort.

J'arrive pas à m'arrêter.
J'ai l'impression que mes côtes vont se casser en petits morceaux à force d'être secouées. Et les coups de bottes n'aident pas. Je voudrais arrêter un peu de respirer, pour les soulager, mais je peux pas.

Mais putain ! Pourquoi j'ai pu droit aux médicaments ?!
Je suis sûre que l'enculé qui ma lancé sa fourchette, lui il y a droit. Alors qu'il est nul ! Il est pas foutue de faire ce qu'on lui dit comme il faut ! De toute façon, ils sont tous cons ces gamins. C'est pourtant pas si difficile de faire les choses comme il faut et de pas faire ce qu'on nous dit de pas faire.
... à part ne pas rire. Ça c'est dur. Ils se rendent pas compte. Sont trop cons.
Ils sont bêtes et méchants. Je les crèverais tous le jour où il n'y aura personne pour m'en empêcher. Je les tuerais, les uns après les autres. Je les ferais souffrir bien comme il faut. A coup de couteau dans l'cul ! Comme ça ils auront encore plus l'air con. Mais pfff ! Ce jour là, il est pas près d'arriver.

Et en attendant, je suis pas foutue de m'arrêter de rire.
J'en ai marre, je suis fatiguée.

J'ai la tête qui tourne à force. Avec un peu de chance, je vais peut-être m'évanouir. J'ai pas le droit, mais ce serait bien. Mais ça non plus, ça n'arrivera pas. Ça n'arrive jamais pour ça.

Au bout d'un moment, j'arrive à me calmer un ptit peu, en tapant sur un mur. Une fois j'ai cassé une chaise, alors un de ses enfoirés de pion à pris les morceaux pour en faire du ptit bois sur mon dos. Il est interdit d'abimer le mobilier. J'aurais pas du l'oublier. Je l'ai pas fait deux fois. Une chaise, c'est fait pour s'assoir et c'est tout.
Et une fourchette, c'est fait pour manger, pas pour lancer !! Mais il ne faut plus que j'y pense, sinon je vais jamais m'arrêter de me tenir les côtes.

Quelqu'un entre.
Déjà ?
Mais j'ai pas fini.
Il faut que j'arrête de rire et vite, sinon je vais encore me faire taper.

C'est un nouveau ? Il me demande mon nom.

J'essaie de cacher mon visage du mieux que je peux. Si je me cache bien, peut-être qu'il ne verrais pas que je ris encore. Si je me retiens bien, on pourrais presque croire que je pleure. Mais j'ai 13 ans, je ne pleure plus depuis longtemps. Je vais me faire griller, c'est sûr.

-huhu... Hyenahahahah !

Merde, là c'est sûr, il va me taper.
Je remonte un peu les mains sur la tête, les bras devant le visage pour me protéger et je ferme fort les yeux en attendant que ça tombe. C'est les premiers coups qui font le plus mal, quand on sait pas encore où ça va tomber. J'espère que ce sera pas les côtes.

-Hyena? Mais... c'est pas ce qui est marqué sur ta fiche... Quand j'y repense, les pions t'appelaient la hyène à cause de ton rire. Mouaip, passons...

"Zut alors", comme je devrais dire, elle ne me montre pas ses yeux. "Zut alors"... Forcer les gosses à rester poli alors qu'ils les insultent et les traitent comme du bétail. Non, vraiment je ne regretterai jamais de m'être joué d'eux jusqu'au bout. Dommage que la plupart des gens de mon époque soient morts ou partis, sinon je pense que j'aurais mis un beau bordel.

Mais là, c'est pas le sujet. Là, je dois faire mon boulot et faire stopper ce rire. C'est vrai qu'il en serait presque irritant, il doit faire chier pas mal de monde. Mais pas moi, j'aime plutôt bien son rire. Le son en lui même n'est pas vraiment dérangeant, ce qui m'ennuie c'est que j'aimerais rire moi aussi. Saloperie de gamine qui me rappelle que je n'ai plu eu de rire franc depuis la fois où ils m’ont envoyé à l'hosto...

Mais y a une chose étrange, parce qu'elle non plus elle ne rit pas franchement. Elle a peur, et j'ai pas besoin d'utiliser mon pouvoir pour le voir. Elle est aussi recroquevillée qu'un type avec qui j'aurais joué pendant deux heures... Enfin, elle est sur sa chaise plutôt que collée au mur en train de se balancer, mais je ne peux pas ignorer cette volonté qu'elle a de protéger son visage. On dirait qu'elle attend que je la passe à tabac. Ca pourrait être tentant, compter les os qui craquent, mais je tape pas les gosses.

-Euh, je vais poser une question débile mais: Comment tu fais pour rire et avoir peur en même temps? Contente toi de rire, j'vais pas te taper je ne suis pas là pour ça.

J'ai fermé les yeux et me suis affalé sur le dossier de ma chaise, la tête penchée en arrière. J'écoute son rire, sans penser à quelque chose de bien précis. Je pense l'avoir entendue bouger, elle me regarde? Si oui tant mieux, si non tant pis je devrai continuer à causer. Et vaut mieux enchaîner, ne pas lui laisser le temps de reconstruire les défenses que je brise avec mes mots.

Parce qu'il faut lui causer et briser ses défenses, tout est plus simple une fois qu'on a gratté la croute. Et c'est nécessaire parce que là on n’arrivera pas à grand chose...
Mais lui causer de quoi? Si je parle de sa formation, elle va me prendre pour un surveillant ou examinateur du centre et ça va corser les choses. Surtout que j'ai rien avoir avec ces crétins... Je suis comme elle... C'est ça, comme elle!

-Hyena, une gamine qui rigole quand elle a peur... La petite fille originale au surnom original. Le mien est beaucoup moins bien, je te le dirai peut être plus tard mais là c'est pas le moment. Chaque chose en son temps, ils t'ont appris ça à toi aussi, non?

Bien sûr qu'ils lui ont appris comme ils me l'ont appris à moi... Après tout je suis passé par là avant elle, sa peur ne devrait pas m'étonner. Malgré mon pouvoir j'étais terrorisé quand j'avais son âge. Bah, comme les autres elle se durcira et finira par encaisser sans broncher ni avoir peur.
Mais elle n'est pas encore comme ça, elle a peur. Elle a peur et pourtant elle rit, c'est pas normal. Je repense à l'enregistrement: elle peut rire dans n'importe qu'elle situation même si au départ il n' a rien de drôle, à mon avis ça doit pas être une question d'humour mal placé. J'ai l'impression que la journée va être longue et fatigante.

-Putain j'ai la dalle, ils m'ont même pas offert à bouffer quand j'y pense... Saloperie de centre de merde... Et là je t'interdis de rire, parce que moi je trouve pas ça marrant.

En fait si, je trouve ça marrant. Mais si je me mets à rire ça sonnera faux comme à chaque fois que j'essaye. Et puis je suis ici pour que ça s'arrête pas pour en rajouter une couche. Eh merde, si c'était contagieux et qu'elle m'avait contaminé?

Mais qu'est-ce qu'il me veut ?
Il cause beaucoup. Il en dit des conneries. C'est quoi ? Un psy ?
C'est nul les psy. C'est contrariant et ça sert à rien, une perte de temps. De toutes façon, ils disent tous la même chose. Tous des incapables ! C'est nul les psy. Pourquoi faut leur parler ? Ils peuvent pas se contenter de faire des ordonnances ?

J'ai pas envie de lui parler. Mais si je le fais, tout bien comme il l'attend de moi, peut-être qu'il va me donner un médoc.

Mais il dit vraiment que d'la merde ! Je trouve pas ça drôle ! Il est con ou quoi ?
Encore un qui m'interdit de rire. Comme si ça changeait quelque chose.
Et non, louper un repas, c'est pas marrant.
Moi aussi j'ai faim, mais j'en fais pas toute une histoire. Il a qu'à aller bouffer au lieu de me faire chier ! Mais ça je lui dit pas, sinon c'est moi qui risque d'en manger plein ma gueule. Même s'il a dit qu'il allait pas me taper, je me contente de répondre à ses questions :

-héhé ! je sais pahaha, comment je féhéhéhé.

Merde ! j'avale ma salive de travers à parler en riant. Je tousse.
Je tousse, je m'étouffe à moitié mais du coup, j'arrête de rire. Enfin ! C'est reposant. Je suis fatiguée.

Mais qu'est-ce qu'il fout ? Il a les yeux fermés. C'est pas prudent ça, de fermer les yeux. Il me connait pas, je pourrais très bien lui jouer un sale tour. C'est d'ailleurs ce qu'aurait fait n'importe quel crétin d'ado en crise. Yen a des violant dans le coin. Mais pas moi.
Ça m'avancera à quoi de lui mettre un coup de chaise ? En plus, le temps que je me lève, il aura déjà réagis et il est plus grand que moi.
Pourtant j'aimerais bien lui foutre un pied de chaise dans le crâne. Ou mieux, un bon coup dans la gorge pour lui faire fermer sa gueule. Je sais bien où taper pour que ça lui coupe le souffle. J'ai bien appris, comme toujours.

En le regardant fermer les yeux et se la couler douce, je porte machinalement ma main à mon cou et... mon foulard... putain, j'avais oublié qu'ils me l'ont pris. Je l'avais baissé pour mieux respirer pendant la crise et ces enculés en on profité pour me le prendre avant de me faire rentrer dans cette pièce. Je n'ai plus rien pour me cacher si jamais ça recommence. Les enfoirés !

Et voilà que ça recommence à me tirer la bouche au coin des lèvres. Ça fait mal aux joues, j'en ai marre. Marre de ce rictus qu'on n'arrête pas de me reprocher et qu'on m'empêche de cachermaintenant.

Bon, s'il ouvre les yeux, j'arrête de le regarder sinon il va croire que je me fout de sa gueule.

-ffuhuhu !

Oh non, pas rire. Il faut pas.
Je me racle la gorge, respire un bon coup pour rester calme et je baisse la tête fixant mes genoux.

-non, c'est pas marrant.
... vous allez me donner un médicament ?

Elle sait pas comment elle fait pour rigoler, c'est quoi ces conneries? Bon, moi non plus je sais pas comment on rigole, mais j'suis pas en train de me payer un fou rire, merde! Mais bon, au moins j'en suis sûr: Elle ne le contrôle pas, il fait ce qu'il veut allant et partant comme bon lui semble.

Hey, on dirait qu'elle s'étrangle là! Putain, j'ai la flemme d'ouvrir les yeux pour voir ce qui se passe, mais si elle crève j'vais avoir des ennuis. Ah non, ça s'est calmé et le rire s'est même arrêté.

Drôle de bête cette hyène, pour un peu on la vendrait à un cirque. "La gamine qui rigole quand on la torture", ça ferait un carton. Mes les cirques sont interdits à Novlangue et j'ai pas vraiment envie de me casser le cul à la faire sortir. Et puis c'est juste une gosse, elle a probablement rien demandé.

Elle se racle la gorge, elle va parler. Oh oui elle parle, miracle! Et sans rire en plus!

-non, c'est pas marrant.
... vous allez me donner un médicament ?
-Hein?

Je me suis redressé avec la surprise. Pourquoi je lui filerais des médocs? J'suis pas médecin moi, tout ce que j'ai c'est des trucs contre la constipation. Et puis les médocs ça sert à que dalle la plupart du temps, ça soigne l'apparence mais pas le véritable problème. Elle a bouffé des pilules toute sa vie et elle n’a pas l'air d'aller mieux...

Et puis merde, me prendre pour un de ces distributeurs sur pattes qui te causent pendant mille ans pour au final te donner de la merde qui ne change rien. Elle m'énerve la gamine alors je réponds sèchement, comme je le ferais à un insurgé qui se fout de ma gueule pendant que je l'interroge.

-Nan mais va te faire foutre! J’suis pas ici pour te filer des médocs et que tu voies la vie en rose! Mais pour... oh et puis merde...

Je suis ici parce qu'un petit con d'automate m'a demandé de la soigner, que je le veuille ou non je suis ici pour jouer au docteur. Rah, si elle me regardait ça serait tellement plus simple, et plus rapide... Mais ce n’est pas en râlant que je vais faire bouger les choses.

Mais j'viens de me rendre compte d'une chose: c'est une gamine que j'ai en face de moi, pas un adulte. Une ado toute fraîche qui ne s'est pas encore construit d'identité stable, certainement une râleuse de première. Ca fonctionne pas comme un adulte, ni comme un enfant.
On peut le dire: j'ai été con, j'aurais pas du fonctionner comme ça. Quant à savoir comment j'aurais du... j'en sais rien j'aime pas les ados, j'leur cause pas en général. La seule chose que je peux lui faire c'est parler, mais je e fais plus posément cette fois. Posé mais strict, j'suis pas son ami non plus.

-Bon... En gros, j'suis un NOD et j'ai un pouvoir, comme tu en as certainement un même si à ton âge tu ne le contrôles peut être pas encore très bien.

Zut, elle va avoir envie de me parler de son pouvoir. Mais j'veux pas qu'elle m'interroge. alors qu'on me pardonne de dire ça à une gamine:
-Ta gueule, je cause et puis ça sera ton tour.
Donc, ce crétin de directeur m'a demandé d'utiliser mon pouvoir pour essayer de te soigner. Après t'auras plus besoin de médoc', si ça marche. Mais tu vas te méfier et me dire que j'peux toujours aller me faire foutre. Tu préfères sans doute continuer à vivre comme ça plutôt que d'accepter mon aide. Sauf que...
Sauf que t'as pas le choix, l'aide on ne te l'offre pas, on te l'impose. S'il le faut j'utiliserai la force, même si j'en ai pas envie. Donc le choix qu'il te reste, c'est si tu veux avoir très mal ou le moins mal possible. De mon côté moi j'ai qu'une envie c'est d'avoir la paix, et de me tirer d'ici.

Hey, pourquoi j'ai parlé autant? Ca fait perdre du temps de parler. Bon, ça peut être marrant quand je manipule la personne en face, mais là c'est pas vraiment le cas... Faut croire que c'était nécessaire.

-*Soupir* Alors tu choisis, la manière forte ou la manière douce. Mais tu restes pas là à me prendre pour un de ces cons psys.

Il a pas de médoc à me donner, alors il ne m'intéresse pas. Qu'il me lâche les basque !
Le reste, je m'en fout, je veux ces putains de médocs !

Je tremble. Je respire vite . J'suis énervée !
Si ça se trouve il en a plein les poches mais il veut rien me donner.
J'veux lui crever sa gueule de radin et la faire gicler comme un vieux bouton d'acné bien mur. Je veux que ça gicle tel du pu sur la vitre de la porte derrière lui.
Ah si on pouvait crever ces adultes comme des points noirs...

Mais on peut pas.
Alors qu'est-ce que je fais ?
Qu'est-ce que... qu'est-ce que j'ai oubliée ?
Et cette voix qui revient dans ma tête. Je me bouche les oreilles mais je l'entend toujours.

-Va-t-en ! Sort de là ! Fiche moi la paix !

Je ne devrais pas parler à quelque chose qui n'existe pas. Surtout en face du vieux, il va pas être content.
... oups. Je réalise un peu tard la taille de la boulette. A tout les coups il va le prendre pour lui et il va me casser la gueule.
C'est con, il venait de me dire que j'avais le choix. Bon, en même temps, j'y croyais pas trop. Il est même gonflé pour essayer de me faire gober ça.
Déjà, il a dit qu'il était pas là pour me taper dessus. Et après il dit que j'ai le choix entre coopérer et me faire taper dessus, en gros. Et bientôt il va me dire que si je choisi la manière douce, il faudra que je le laisse me faire mal pour me soigner. A tout les coups je suis bien niquée.
S'il fermait un peu sa gueule de con ? Met toi au boulot, qu'on en finisse !

Il dit vraiment que d'la merde !
Je sais pas ce que c'est son pouvoir, mais je suis prête à parier que je préfèrerais les coups de pieds.
Ils pourraient pas arrêter un peu de me "soigner" ? Depuis le temps que ça marche pas, pourquoi ils continuent à vouloir me foutre la cervelle à l'envers ? Et pourquoi ils veulent pas se contenter de me donner des médocs puisque ya que ça qui marche ?
Soit c'est rien que des enculés qui veulent juste me faire chier, soit c'est qu'ils sont très cons. Sans doute les deux. Je les hais.

Et toi aussi je te déteste !
Mais j'ai la trouille. Je sais même pas pourquoi j'ai la trouille.
Je vais prendre une torgnole, après ce que j'ai dit, c'est sûr, mais je m'en fout, c'est pas ça.
De quoi j'ai peur ? Je regarde devant moi en ouvrant grand les yeux, mais je ne sais même pas ce que je regarde. Pourtant, c'est comme si ça allait me bouffer tellement je flippe sa race.
Je veux mes médicaments !!

Elle arrête pas de me parler depuis qu'on ne m'en donne plus.
Quoi ? Qu'est-ce que j'ai oublié ? Mais merde ! Elle va arrêter de me saouler avec ça ?
Les mains sur les oreilles, je crie pour ne plus l'entendre.

-Ta gueule ! Ta gueeeeeeule !!

Laissez-moi vous expliquer comment fonctionne mon pouvoir: Je manipule les émotions des gens, je les agrandis et les rétrécis pour être exact. Pour cela j'ai besoin de regarder ma cible droit dans les yeux. Lorsque je fais ça, je vois autre chose. Hum... comment vous expliquer?

Je vais simplifier au maximum: visualisez un bonsaï, ces petits arbres dont on s'occupe pour passer le temps. Et bien toutes les émotions d'une personne forment un bonsaï. Chaque branche représente une émotion en particulier que je peux identifier. Si la branche est grosse c'est que l'émotion est forte, si elle est petite c'est que l'émotion est faible, mais présente. Je ne peux ni créer ni détruire ces branches, juste les agrandir ou les rétrécir.

Bien sûr, aucun esprit n'est pareil à un autre, et donc tous mes bonsaïs sont différents. Certains ont de belles branches alors que d'autres ont des nœuds partout. Et en toile de fond, autour du petit arbre je vois... je vois pas ça normalement, putain!

Me revoilà dans la pièce avec la gamine à terre à côté de moi, je crois que je lui en ai mis une pour couper la liaison. J'ai mal la tête et je sens un liquide chaud couler de mon œil gauche qui me fait horriblement mal. Je touche pour voir: c'est rouge. J'ai joué avec le feu… Le vieux m'avait prévenu, je l'entends encore:

"Y a des dragueurs à deux balles qui disaient que les yeux sont les fenêtres de l'âme... Et bien ils avaient raison. Toi avec ton pouvoir tu passes la tête par la fenêtre et vois les émotions. Mais là où tu t'aventures c'est dangereux. Pour l'instant tu ne sens rien parce que t'as jamais vu personne qui était plus torturé que toi. Mais le jour où ça viendra, même si sa folie ne dépasse la tienne que d'un poil de cul, tu risques de morfler comme un mec à qui on dégoupille une grenade dans le derche."

Ah putain, je la sens bien la grenade, je n'y retournerai pas sans précautions.
Tout a commencé avec sa sorte de crise, lorsqu'elle m'a demandé de sortir. Je l'ai vue perdre les pédales en live, et puis elle m'a dit de fermer ma gueule alors que justement je l'avais pas ouverte. Ca m'a énervé et j'ai remarqué qu'elle avec les yeux grands ouverts, alors j'ai plongé. Sans masque et sans tuba, on ne m'y reprendra plus. Enfin...

J'ai pas du frapper si fort que ça, elle se réveille. J'ai envie de l'engueuler, j'ai la rage. La rage contre moi d'y être allé comme un bourrin, la rage contre elle d'abriter ce truc qui m'a battu. Car j'en suis sûr, c'est pas elle qui m'a fait ça.

-T-t-t-toi! T-toi, t-t’as un truc d-dans ta tê-tête! J-j’me trompe?

Merde, je bégaye. Et depuis quand je suis assis et appuyé contre la table? Je peux même plus tenir debout ou quoi? Je respire un grand coup, pour me calmer, et n’écoute même pas sa réponse… Répond-elle seulement? Elle est au moins aussi tordue que moi, et probablement plus torturée c’est ce qui aura fait la différence. Ils n’auraient pas du arrêter le traitement, ça a causé des dégâts.

-Je suis sûr que oui. Ce truc te fait peur, et c’est à lui que tu demandais de se taire... Et bien cette sale bête vient de me mettre la branlée de ma vie. Hahahahaha, c’est le pied. Désolé, mais j’ai qu’une envie c’est d’aller prendre ma revanche. Mais je te rassure: j’irai pas sans ton accord. Et j’aimerais que tu me parles un peu de lui aussi. Qu’est ce qu’il te raconte? Il te parle de moi?

Putain, je parle toujours autant. J'ai jamais réussi à fermer ma gueule, surtout quand je suis excité comme ça. C’est décidé, à moins qu’elle s’y oppose moi j’y retourne. J’pourrai peut être pas la soigner, je doute même que je puisse réduire la dose de médicaments qu’elle devra prendre, mais je ne peux pas laisser une gamine avec un truc pareil dans la tête sans rien faire. Et je jure qu’au minimum je lui fous une tatane et j’obtiens un laissez-passer!

Mais, si elle refuse... Bah j'utiliserai d'autres moyens. Après tout j'ai passé ma vie à jeter un œil dans les âmes des autres, j'ai appris deux trois trucs. C'est qu'une gosse, et mon boulot est d'arrêter ce rire. Je n'abandonne jamais un boulot.

Ah bah enfin ! C'est pas trop tôt. Il me l'a enfin mise, cette première torgnole.
Et bien comme il faut. Comment qu'il m'a fait gicler de ma chaise !

Je vois le sol en béton de près, ses petites irrégularités qui râpent. Bien réel, ce sol, comme la baffe.
Oh mais... je n'entends plus la petites voix. C'est parti. Mais pour combien de temps ?
Je tend l'oreille, cherchant si elle est encore là, cachée derrière un courant d'air, un froissement de tissus...
Mais ya l'autre qui arrête pas de causer. Je peux pas vérifier correctement qu'elle est partie, il fait trop de bruit !

Mais ça, on s'en fout de savoir si j'entends encore des trucs ou pas. C'est pas ce qu'on me demande.
Je me relève.

Il a pas l'air bien, lui.
J'ai quoi ? Un truc dans la tête ? Genre quoi ? Un ptit vélo ? Une araignée au plafond ? Ton cul ?
A voir la tête qu'il fait, on pourrait croire qu'il a vu la vierge.

Et voilà qu'il me parle de la voix comme si c'était une vraie personne et comme s'il pouvait lui parler. Déjà quand moi je lui parle, ça marche pas tellement... Se faire mettre une branlée par un truc qui n'existe pas, c'est trop nase.
Et j'aime pas sa façon de s'en réjouir. On dirait que ça lui plait. Ça ne devrait pas. Il est pas net ce NOD.

Je me remet sur ma chaise, sans trop le quitter des yeux et en évitant son regard en même temps. La dernière fois qu'on s'est regardé dans les yeux, il m'en a collé une, alors faut peut-être éviter.

Je reste attentive, autant que je le peux. C'est pas facilement avec la fatigue et le manque. Je peine à me concentrer ces temps-ci.
J'ai pas bien compris quand il me parle de lui donner mon accord pour faire je sais pas quoi dans ma tête. Comme s'il avait besoin de mon accord. Ça c'est son truc, donner un choix illusoire et faire semblant de demander la permission. Quel connard ! Mais je marche pas dans sa combine. Il arrivera pas à me donner de faux espoirs pour mieux me briser. Je suis peut-être plus jeune que lui, mais faudrait pas non plus me prendre pour une gogole. Alors ma permission, que je lui donne ou qu'il la prenne...

En attendant, on va éviter de le contrarier. Il m'a demander de lui parler de mes hallus. Ça me fait chier, mais allons-y, puisqu'il faut que je lui explique :

-J'entends une voix qui me répète toujours la même chose :"n'oublie jamais de".
Et c'est tout.
J'ai pas la fin de la phrase.
Des fois ça parle fort, mais le plus souvent, je l'entend à peine et c'est en même temps qu'un autre bruit. Quand je marche par exemple, ou quand plusieurs personnes parlent en même temps, quand il pleut, qu'il y a du vent dehors aussi ou que la femme de ménage passe le balai dans le couloir. Je me dit que c'est rien, que je me suis trompée, mais un balai n'articule pas des syllabes et le bruit ne vient pas du couloir. Il vient de partout... ou de nulle part, de mes oreilles peut-être.
Des fois j'ai l'impression que ça vient derrière moi, que ça me suit.
Je l'entend très souvent depuis qu'on ne me donne plus de médicaments.

Des fois il y a un visage aussi. Mais c'est pas nette. Ça sort des murs, c'est dans les ombres et même en l'air des fois. Un visage ridé avec une bouche... elle s'élargit quand je le regarde.

Je m'arrête pour respirer. J'ai envie de vomir. Je sert les doigts sur mes cuisses. Je dois pas me laisser aller, j'ai pas fini.

-je vois pas bien ses yeux, ya des... plis... autour... et ils sont petits

Putain je vais gerber ! Il ne faut plus que je desserre les dents là. La langue plaquée au palais, j'attends que ça passe.

Je n’écoute pas. Enfin si, à moitié mais une bonne partie qu'elle dit finit à la trappe. Je suis juste attentifs à la présence de quelques mots clés genre "papa", "maman", "l'autre". Mais rien, elle ne lui parle pas en fait, elle entend juste des bouts de phrase. La communication passe mal on dirait, pourtant on n’est pas dans un tunnel.

Peut être qu'elle doit pas oublier de couper le gaz avant de sortir. Ou d'éteindre les lumières. Ouaiiii, en fait des écolos lui ont fait un lavage de cerveau! Et c'est pour ça qu'elle rigole tout le temps, parce que les écolos ils sont marrants! Putain Samuel, des fois tu penses de la merde.

De la merde, mais pas tant que ça. Son truc ressemble plus à un lavage de cerveau qu'à de la schizophrénie. Enfin c'est peut être ni l'un ni l'autre, mais dans les apparences. Les apparences sont trompeuses, surtout quand on joue avec les âmes, disait le vieux. Donc, il ne faut pas si fier.
Si ça tombe elle est simplement très maligne et est arrivée à bloquer mon pouvoir. Et elle joue la comédie et va jusqu'à se faire passer à tabac depuis des années rien que pour m'avoir. Putain Samuel, t'arriveras à rien comme ça. Je perds mon temps à réfléchir, ça n'a ni queue ni tête, tête de la gamine dans laquelle je ne suis pas.

En parlant de la gamine, depuis tout à l'heure elle évite de me regarder. Lui mettre une baffe a peut être préservé mon équilibre mental, mais avec ça j'ai perdu sa confiance. Et je peux bien lui dire que je ne lui en mettrai plus elle ne me croira pas vu que je lui avais déjà dit ça au départ.
Et puis à côté de ça elle a pas l'air bien, elle est toute crispée. Et puis sa tête, rho mes aïeux...

-Hey, t'es en colère et t'as envie de m'en mettre une c'est ça? Tu veux te venger? Eh, rassure moi, après avoir ri comme une endiablée tu vas pas te mettre à chialer?

Oh pitié non, j'suis pas une nounou merde! Si elle fait ça, en 30 minutes j'aurai eu le rire, la colère, la peur et les pleurs. Mais elle est jeune, pas forcément bien construite dans sa tête et ça doit pas être facile tous les jours. Peut être que...

Je reviens, bouge pas surtout hein!

J'ouvre à peine la porte que mon molosse me montre sa sale gueule. Ca tombe bien, c'est à lui que je voulais parler. Je ferme la porte pour que la gamine ne puisse pas entendre.

*****

10 minutes de mon temps et 10% de mon salaire pour chaque service, donc 30 au total, c'est ce que ça m'aura coûté. Ca fait cher, ouais au moins j'ai eu ce que je voulais. Et c'est pas finit, parce que maintenant faut marchander avec elle...

Elle a l'air d'aller un peu mieux mais elle a à peine bougé depuis que je suis sorti de la pièce, comme si elle m’avait pris au pied de la lettre. Elle a l'air fatiguée aussi, mais c'est peut être une impression. Bon, autant la jouer cash.

-C'est fini.
Je laisse un temps de repos, pour qu'elle percute.
-Toi comme moi, on a besoin de repos. Tu vas avoir "temps libre" pour le reste de la journée, tu peux suivre le programme ou retourner te reposer dans ta chambre. *10%* Ce soir après le repas, tu viendras dans cette pièce ci. Tu me diras si tu veux que je t'aide en quoi que ce soit. Ca peut être pour arrêter ce rire, essayer de faire partir la voix, ou vivre avec les deux.
C'est sa vie, pas la mienne ni celle du NOD. Eux préfèrent encore la bourrer de médicaments, ça nuit juste un peu au prestige mais rien de grave.
-Si tu décides de faire appel à moi j'ai obtenu l'autorisation de rester une semaine ici. *Encore 10% Si tu refuses mon aide je partirai demain à la première heure.
Voilà, c'est tout... A moins que tu aies de trucs à me dire tu peux disposer.

Je n'ai pas bougé de la porte, et l'ai à peine regardée. J'ai honte, car si elle refuse mon aide j'aurai perdu. Ca me fait mal, mais j'en peux plus me faut du repos. Si on continue on risque de craquer l'un comme l'autre.

Donc pour l'instant, repos. On réfléchit posément. Ouaip, je vais demander à une gamine de 13 ans de réfléchir posément. J'aurais du faire clown, pas NOD...

-Ah, encore une chose: Je t'interdis de prendre ta décision maintenant. Il faut que tu y réfléchisses au moins un peu. Tu viendras ici ce soir, je t'attendrai.

J'ouvre la porte et m'écarte. De l'autre côté le molosse a disparu pour laisser la place à un autre pion. C'est un de l'ancienne génération, un ami qui ne sera pas trop brusque avec elle et qui lui laissera vraiment le choix de suivre les cours ou d'aller dans sa chambre. 30%, putain ça fait mal au cul.

-Hey, t'es en colère et t'as envie de m'en mettre une c'est ça? Tu veux te venger? Eh, rassure moi, après avoir ri comme une endiablée tu vas pas te mettre à chialer?

Enculé !

Je le déteste. Un tortionnaire comme les autres. Peut-être même plus sournois. C'est un connard et un menteur.
Il connait rien. Chialer ? Mais il crois que j'ai 4 ans ?! On ne pleure pas ici. C'est pas ce qu'on nous demande. Yen a qui le font des fois, mais pas moi.

Il s'en va ? Ok, casse toi, ça me fera de l'air.
Je respire déjà mieux une fois qu'il a passé la porte.
Un peu de calme. Il faut en profiter.
Mais combien de temps ?
Je ne sais pas quand est-ce qu'il va revenir.

J'entends un bruit dans le couloir, c'est peut-être lui. Non, ça va.
J'ai pas envie qu'il voit ma tronche en ce moment.
Alors que j'essaie de me détendre, j'ai la bouche qui se tire sur les deux côtés en même temps. Je sent un truc, comme un coup de poing de le ventre mais qui ne se retire pas et des espèces de secousses sous les côtes, comme si ça voulait le faire ressortir par le haut.
Je ris. Un peu. Pas fort, pour pas faire trop bruit. Je suis fatiguée de résister à ça.

Assise en travers sur ma chaise, pliée en deux, agrippée aux barreaux du dossier, je ris.
Il va revenir à un moment et il faudra que j'arrête, que je me redresse. Je dois me contrôler quand les autres sont là. Je n'y arrive pas toujours. Ce serait peut-être plus facile si on me foutait la paix. Il suffit qu'on m'en parle pour que j'ai le boyaux au bord des lèvres.

Je profite de pouvoir rire un peu doucement pour ne pas éclater tout à l'heure quand il reviendra. S'il pouvait prendre son temps, ça m'arrangerait.
Heureusement qu'il est parti, parce qu'à être obligée de me retenir, j'aurais fini par lui gerber sur les pieds. Il faut bien que quelque chose sorte... ou alors que des médocs entrent.

J'entends la poignet de la porte alors je me redresse vite et me mord le dedans de la joue pour que plus aucun rire ne sorte.
Merde ! Il est déjà là. Ça fait chier. C'était trop court. Ça passe toujours trop vite les moments où je suis peinarde.

Il s'assoit pas ? Alors qu'est-ce qu'il va faire ? Pourquoi il reste devant la porte ? J'aime pas son attitude, je sais pas ce qu'il va faire. Il ne me regarde même pas.
Il parle... mais... qu'est-ce qu'il raconte ? Je comprend pas tout.

J'ai vraiment ma journée ? J'ai le choix entre suivre le programme où aller dans ma chambre. Mais il est où le piège ? C'est un teste, c'est ça ? Et si je choisi la mauvaise réponse on va m'en faire baver dans ma piaule pour plus que j'ai l'idée de me défiler quand on me le permet ?
Pourtant je fais toujours tous ce qu'il faut sauf quand je peux vraiment pas. Je suis pas une tire au flan et c'est pour ça que les adultes sont un peu plus tolérant avec mes crises et ne me font pas trop chier le reste du temps. Ce qui rend sans doute jaloux certains fainéants et les abrutis qui n'arrivent pas faire correctement ce qu'on leur demande.

J'ai le choix de revenir ici ce soir ou pas aussi ? Mais où est-ce qu'il a mise sa barbe blanche ? Et si je monte sur ses genoux, il va me raconter une histoire ? J'ai du être drôlement sage, parce que le père Noël ne passe jamais ici d'habitude.

Ca tombe bien qu'il ne veuille pas de réponse tout de suite, parce que je ne sais pas quoi lui dire. Pour une fois qu'on me demande mon avis, je ne sais pas quoi faire. Il me fout mal à l'aise ce vieux !
Et puis je suis fatiguée.
Alors je dit rien, je me lève et passe la porte. Là quelqu'un attend au lieu de m'emmener quelque part. Je le regarde avec des grands yeux... bah alors ? On fait quoi ? Ah oui, c'est vrai ! mais alors, j'ai vraiment le choix ?
Mais je sais pas moi... il faut que j'aille travailler... c'est ça qu'il faut faire... Mais pour une fois que je peux avoir toute une journée où on me laisse tranquille... C'est pas possible, ya forcément un piège.

Je regarde alors l'autre mec louche, celui qui donne soit disant le choix.
Toi, je vais vraiment l'avoir mauvaise si c'était encore un mensonge ! Tu t'en fout, je te fais pas peur, mais tu sais que je te hais ?

J'hésite.
Il faut travailler, c'est ça que je dois faire.
Mais je suis tellement fatiguée... je vais encore craquer là-bas. J'y arrive de moins en moins bien sans mes médicaments et dans l'état où je suis, le simple fait de penser que j'arrive pas à me concentrer et que je vais me tromper, ça me tord les tripes.

Allez ! Au pire, je me ferais tabasser dans ma chambre au lieu que ça se passe mal directement à l'entrainement. Je tente la chambre !

Le gardien me suit.
Je commence à transpirer. J'aurais peut-être pas due choisir ça.
Je vais me faire massacrée une fois arrivée.
Ou alors ils ont décidé de me sevrer ? C'est pour ça qu'ils me laissent un peu répit mais ne me donne pas de médocs pour autant ? Mais j'en ai besoin de mon traitement ! Ils peuvent pas me l'arrêter comme ça ! Ben si en plus, c'est qu'ils en sont capables...

Voilà la porte de ma chambre.
Le gardien ouvre la porte. J'entre, j'ai peur. Il va me casser la gueule ou pire...

La porte se referme.
Je suis seule.
Ouf...

C'était vrai alors ? Ils vont me laisser tranquille ? Toute la journée ? Sans essayer de me "soigner" ni rien ?

J'ai mal aux jambes.
En fait j'ai mal partout.
Je dois tenir plus que quelque pas et je me laisse tomber sur le lit.
Roulée en boule sur le côté, je ne le retiens plus, ce rire qui fait mal à la gorge et qui tord les côtes. Mais je ris tellement fort qu'à force je ne sent plus rien.
Je fini par m'endormir, épuisée.

Elle ne me fait pas confiance, et ça se sent. Je dirais même qu'elle me déteste. Soit, elle me détestera. Pas besoin de mon pouvoir vu que son visage trahissait ses émotions. Et puis de toute façon elle a quitté la pièce sans m'accorder le moindre regard.

A peine a-t-elle refermé la porte que je me laisse glisser contre le mur jusqu'à ce que mes fesses touchent le sol. Je suis cre-vé! J'ai passé moins d'une heure avec cette gamine et j'ai l'impression d'être ici depuis une semaine. Faut dire que j'ai toujours pas mangé et que donc je suis plus faible physiquement, mais j'ai intérêt à me préparer pour la suite.

Je ne sais pas combien de temps je reste là, assis au sol en pensant à cette gamine et ses problèmes. Je me suis peut être endormir d'ailleurs, mais ça n'a pas vraiment d'importance. Je suis tiré de ma réflexion par l'ouverture de la porte, et l'entrée du pion qui se chargera dorénavant de l'affaire.

-Elle a choisi de rester dans sa chambre, j'ai fermé et mais je n'ai pas pu rester dans le couloir, il y a déjà le vigile.
-Bien... Quand est ce que tu me l'amènes?
-Après le repas, il te reste 6 heures. Tu veux aller dormir dans ta chambre?
-Non, pas tout de suite. Par contre j'aimerais avoir accès à votre bibliothèque personnelle.

Requête acceptée, il ne pourrait pas faire autrement quand on y réfléchit. Il m'aide même à trouver ce dont j'ai besoin. J'ai décidé de ramener la documentation que je trouve à la pièce de travail, au cas où elle accepterait. Et puis comme ça je suis au calme pour lire.

Avant de me laisser seul, il m'amène une assiette remplie.
-Du rab de ce midi, et ne t'inquiète pas c'est de la casserole destinée au personnel. Il y a encore des produits pas très nets mais nettement moins que dans une assiette de gosse. Parce que tout comme mon prédécesseur je dois veiller à ta santé, si t'es malade ils me sucrent une partie de mon salaire.
-Ok ça sera tout, merci.
-Une dernière chose, Samuel: Ne t'attache pas à cette gamine. Elle n'est ni ta soeur ni ta fille, et une fois ton boulot terminé tu ne la verras plus jamais.
-J'y suis pas attaché.
-T'as trouvé quelqu'un en pire état que toi, si tu n'étais pas un NOD ça serait tout à fait normal, Samuel.

Il s'est tiré sans me laisser le temps de lui répondre. Vieux con! C'était un professeur avant, qui s'occupait de toutes les recrues ayant des pouvoirs portant sur le mental. Il m'a tout appris ou presque, et lit en moi comme dans un livre ouvert. C'est aussi de lui que je tiens cette habitude de parler trop, je crois.
Mais là! Là il se trompe! Je ne ressens ni pitié ni attachement. Je suis Samuel L "Peur", mes seules motivations sont le travail bien fait et le plaisir que j'en retire.

*****

Merde, la porte s'ouvre. C'est déjà l'heure? J'ai pas fini de bouffer mon repas du soir! Bah, ça m'apprendra à lire en mangeant, je perds du temps.
Bon c'est le bordel, y a des livres partout. Mais elle ne restera pas des heures, si ça tombe elle me dira juste d'aller me faire voir et elle repartira tout de suite après.
Par contre, je suis pas sûr qu'elle apprécie de lire des titres de livre comme "le rire, symptôme d'un mal être profond", "les émotions pour contrôler" ou "Recueil des troubles de la personnalité".

Au mieux je me suis bien préparé à l'aider, au pire j'ai révisé et j'aurai retenu deux trois trucs pour les futures missions où il faut négocier.

Quelqu'un ouvre la porte de ma chambre.
Déjà ?!
J'ai fais que dormir.
C'était trop beau pour durer.
J'ai encore sommeil, mais il faut y aller, alors je me lève avec pleins de petits points noirs devant les yeux.

Pendant que le pions m'accompagne jusqu'à la pièce où j'ai rendez-vous, je me demande ce que je vais y faire une fois là-bas. J'aurais du y réfléchir, mais au lieu de ça, j'ai dormi. Du coup, j'ai quand même les idées un peu plus claires, même si j'ai la gerbe comme à chaque fois que je me réveille dans cette prison, et ça depuis qu'on ne me donne plus rien pour me soigner.

Donc, c'est maintenant que j'y réfléchis et j'ai intérêt à réfléchir vite, parce qu'il est pas si long, ce couloir.
Qu'est-ce qu'il m'avait proposé ? D'accepter son aide ou pas. Alors, qu'est-ce que je choisi ?

La vache, j'aurais pas cru que ça puisse être aussi compliquer de faire un choix pour soi-même... puisqu'apparemment j'ai vraiment le choix. Il a pas menti quand il a dit que je pourrais rester me reposer dans ma chambre au lieu de suivre le programme. Ça s'est bien passé.
C'est ce qu'il voulait, que je me repose, et ça s'est bien passé. Peut-être que si je continue à faire ce qu'il attend de moi, ça se passera bien aussi. Même si ce qu'il me demande n'est pas dans mes habitudes.

D'habitude, je n'ai pas à choisir d'aller me coucher, j'y vais quand c'est le moment d'y aller et surement pas pendant les heures d'entrainement. Et je n'ai pas non plus l'habitude qu'on me demande mon avis avant de me faire soigner (et c'est que je m'en passerais bien des fois, de leur "soins" ! C'est sans doute pour ça qu'on ne me laisse pas le choix).

Mais pourquoi il me donne le choix ? Il cherche quoi ? A gagner ma confiance ? Et après ?
Il veut quoi ? Qu'on soit copains ? Si ça se trouve c'est un pédophile. A un moment il va me demander de faire un autre choix en s'arrangeant pour que je choisisse ce qui l'arrange et il va essayer de me pécho. Après il dira que j'étais consentante parce que j'ai choisi. C'est fourbe ça !
Ouais et vu ça façon de rire tout à l'heure, tout excité après m'avoir mis une baffe... Il a bien une gueule de vieux pervers. C'est dégoutant !

J'espère qu'il va pas encore craquer son slip, comme quand il a dit que j'avais un truc dans la tête.
En tout cas une chose est sûre : je ne le regarderais plus dans les yeux. J'avais même pas fais exprès, alors qu'est-ce qu'il va me mettre si je recommence ?! Je garderais toujours les yeux baissés en sa présence. Mon regard n'ira pas plus haut que ses chaussures... ou ses genoux à la limite, mais pas plus haut.

On est arrivé. J'entre, les yeux baissés et j'attends qu'il me donne la parole, me dise quelque chose ou me demande de m'assoir.

Il y a des bouquins un peu partout. Il va me donner un cour théorique ?
Elles sont énormes ses chaussures. Ça doit faire mal quand il donne des coups de pieds.

Elle entre... On dirait qu'elle est encore un petit peu endormie. J'ai pas le temps de pousser l'analyse bien loin car mon vieil ami sort, et ne peux s'empêcher de parler.

-Je serai dehors, appelez moi en cas de besoin.
-Ok, merci bien.

Je lui ai mine de rien lancé un regard un petit peu assassin. "Bien sûr que tu seras dehors, t'es payé pour ça." Bon, lui dehors je peux reporter mon attention sur la gamine. Elle se contente de regarder mes pieds, sans dire un mot. J'ai bien envie de lui demander son choix, mais le regard qu'elle porte sur mes godasses m'intrigue.

C'est donc le plus naturellement du monde que je lève mon pied gauche, l'attrape avec mes deux mains et l'approche de mon visage: J'examine cette chaussure qui semble passionner la petite hyène. Mais je ne vois rien, pas la moindre trace. Je porte pourtant mes lunettes de lectures, pas trop épaisses et aux branches presque transparentes.
Donc, pas la moindre anomalie sur mes godasses. Ce qu'il y a par contre, c'est un déséquilibre certain, dans cette position des plus... extravagante. Voilà donc pourquoi l'homme a deux pieds.

Et moi qui n'en ai plus qu'un, je chus comme un gros sac de patate la tête la première, me voilà les quatre fers en l'air.
-Putaaaaaaaaaaaain, j'ai besoin de dormir moi.

Je me relève, me frotte le manteau pour faire comme si j'enlevais la crasse, et me tourne vers la gamine.

-Bon, passons aux choses sérieuses.
Je m'arrête, surpris parce que j'ai dit. Il est vrai que c'était pas sérieux ça, je suis plutôt pitoyable. Me ramasser la gueule devant elle c'est pas ce qui va la faire me respecter. Il est beau le membre d'élite du NOD.

-Alors gamine, tu as fait ton choix? Tu peux me demander ce que tu veux: De faire cesser ton rire, de faire cesser la voix, d'apprendre à vivre avec l'un et l'autre, te donner des conseils pour que les pions te laissent tranquille, ou même me tirer d'ici et ne plus jamais revenir.

Je jette un dernier regard vers elle avant de retourner m'asseoir, et de me pencher vers un bouquin qui traite de l'esprit humain en le considérant comme un labyrinthe construit sur trois étages. Les sentiments seraient au rez-de-chaussée, et permettraient d'ouvrir ou fermer des portes donnant accès à différentes parties du premier étage.

-Bon, comme il y a beaucoup de théorie je suis pas sûr que je pourrai te guérir. Mais t'aider c'est mon boulot et je suis un NOD, payé pour agir pas pour réfléchir. Et je serai payé que tu acceptes ou non, alors pour moi c'est kif-kif. Mais votre repas va être servi d'ici quelques minutes, tu devrais te dépêcher de décider si tu ne veux pas manger froid.

Et encore une tirade assez longue que pour raconter l'histoire de ma famille sur 5 générations... Un jour je m'emballerai définitivement et faudra me tirer une balle pour me faire taire.

Qu'est-ce qu'il fabrique ? Il prend son pied !
Mais c'est n'importe quoi !! En plus il va... et bah voilà, il est tombé. Quelle tache !
Il est vraiment NOD ? Si ça se trouve c'est un clown insurgé qui a réussi à infiltrer le Centre. J'hésite à appeler les pions.

Tient, j'avais pas vu qu'il portait des lunettes. Un vieux pervers bigleux. Yen a qui sont pas gâtés par la nature.
Oh mais, si j'ai vu ces lunettes c'est que j'ai beaucoup trop levé les yeux ! Je me dépêche de regarder par terre en espérant qu'il ne s'en est pas rendu compte.

Qu'est-ce qu'il cause !
Je crois que je préfère quand il se casse la gueule par terre en jouant avec ses pieds.

Mais... il y a un truc qui sort du sol... une masse grisâtre qui déforme le béton.
Ça se déplace.
Ça monte au mur.
Ça souris.

*"n'oublie jamais..."*

Ça résonne dans ma tête... et le visage dans le mur avec sa bouche qui s'élargit !
-NAN !

J'ai attrapé le premier truc que j'avais sous la main, un livre, un bien épais, et je l'ai lancé sur cette horreur.
Elle a disparue.

J'essaie de reprendre mon souffle.
J'en ai marre de ces hallucinations ! Je ne veux plus les voir.

Quand j'arrête de fixer le mur où elle était apparue, je réalise que le vieux est toujours debout à côté du bouquin que j'ai lancé. C'est pas passé loin. Ça tête devait être à peu près à la même hauteur que la cible.
Il va le prendre mal, c'est sûr.
Foutue pour foutue, j'ose lever les yeux, que je vois quand même ce qui va me tomber dessus.
Il fait une drôle de tête. Je sent que ça va barder. Mais j'ai pas fait exprès. C'est pas ma faute.

-Aidez-moi.

Je suis fatiguée.
Qu'il cogne si ça lui chante. S'il me pète un truc, peut-être que j'irais à l'hôpital et peut-être qu'ils remettrons mon sevrage à plus tard ou qu'il me filerons assez de morphine pour compenser.

Ce connard m'a bousillé la trachée.
Je tousse. Ça fait un mal de chien. J'ai besoin d'air mais c'est douloureux de respirer, putain !

T'aurais voulu me tuer hein ? Mais tu l'as pas fait... et t'as pas frappé non plus...
Ça m'a fait bizarre son regard.
Il a cherché un truc avant de venir m'empoigner. Sans doute une arme.
Putain, il a vraiment voulu me buter. Même pas me faire mal, juste me tuer.

Et comme une conne je commence à rire dès que j'ai à peu près retrouvé mon souffle.
J'essaie très fort de me retenir et c'est à peu près aussi atroce que de ne pas pouvoir respirer. Mais si je ne fais pas gaffe, j'ai peur qu'il ne se retienne pas longtemps de me faire manger les pissenlits par la racine.

Je n'ai pas voulu le pousser à bout.
Je ne voulais pas lui lancer ce livre. Je ne me le serais pas permise. Tout comme je ne me permettrais pas de rire, surtout dans une situation pareil. Mais je n'arrive pas à m'en empêcher.
Je ris, je tousse. Ça fait super mal. Et je recommence. Je retiens, j'essaie de rire en silence, pliée sur ma chaise, le front contre le dossier, les mains qui tiennent les barreaux. Je n'ai pas la force de lever les bras plus haut pour mieux me cacher.

C'est dure de ne pas pouvoir se contrôler, de ne plus arriver à rien. Et personne ne me facilite jamais la tache. C'est marche ou crève, toujours, même quand c'est trop dur.
Et moi, je veux pas crever.

Alors je fais ce qu'on me dit du mieux que je peux... même si ce "mieux" n'est pas super en ce moment.
Je ne me rebelle jamais comme d'autres fond. J'ai bien compris que plus on est docile mieux on se porte et je ne peux pas me permettre de faire pire que ce que je suis.
Je suis la hyène, la sale bête qui mérite le bâton, celle qui dérange par ses rires mal placés, méprisable par nature et irrémédiablement aliénée.
Mais je m'accroche. Et je sais même faire mieux que tous ces chiens qui ne savent que geindre et grogner, trop stupides pour réussir ce qu'on leur demande.
... oui, en temps normal, je fais mieux qu'eux. Mais aujourd'hui... maintenant que les délires reviennent et que je ne suis plus foutue de me concentrée sur des choses simples, je ne vaux vraiment plus rien !

Et ce qu'il me demande me parait hors de porté. Comment j'arriverais à faire de mon mieux si je suis dans cet état ? Pourquoi faut-il qu'il me demande ça maintenant, alors qu'on m'a sucré mon traitement ?! Et comment je fais pour ne pas le mettre en pétard si j'ai des crises toutes les cinq minutes ?!! A croire qu'on veut vraiment que je crève. J'en ai marre qu'on me mette toujours des bâtons dans les roues alors que tout ce que je demande c'est de pouvoir suivre les consignes et avoir la paix !

Je me dépêche de lui dire que j'ai compris dès que je le peux, quand le rire et la toux me laissent un peu de répits. Ma voix est enraillée. Je répète une seconde fois un peu plus fort et sans rire pour être sûre qu'il m'a bien entendu :

-oui, j'ai compris.

Mais j'aurais bien une question à lui poser, si c'est possible, quand il sera plus calme. Mais pas maintenant, j'ai peur qu'il le prenne mal. C'est qu'il s'emballe vite et j'aimerais pas y rester. Pour l'instant, je crois que je ferais mieux de me taire tant qu'il ne me demande pas de l'ouvrir.
Et toujours ne pas le regarder dans les yeux. Je voudrais pas avoir l'air insolente.

Elle rit encore, mais plus comme avant. Crispée sur sa chaise, la serrant comme pour se maintenir en vie, elle se retient de toutes ses forces car elle sait que je ne veux pas qu'elle rie. Elle n'ose même plus lever les yeux vers moi. Elle ne veut plus me contrarier ou me provoquer, elle a peur.

Elle est brisée. Toutes les défenses sont tombées, j'ai fait mon boulot comme on me l'avait appris et j'ai brisé cette gamine. Putain, mais quel con! La violence envers les gosses m'a toujours dégoûtée: je m'en prends pas à eux et c'est ce qui me différencie en majeure partie de ces cons de pions.

Deuxième raison de m'en vouloir, j'avais affaire à une élève modèle très douée à qui on ne pouvait reprocher que des légères crises de rires, et maintenant c'est une gamine apeurée qui est assise devant moi. Oui, elle fera tout ce que je lui demanderai, je pourrais lui faire faire les pires trucs au monde, limite la pousser au suicide mais... à quel prix? Je ne peux même pas garantir qu'au final elle sera de nouveau apte à être une NOD. Et tout ça pour un accès de colère, pour un manque de self contrôle?

C'est malheureux, mais tant pis. Je suis un NOD, je ne peux pas me permettre d'avoir de la pitié même si elle me fait de la peine. Et les paroles du vieux qui me reviennent en tête "Ne t'attache pas à cette gamine, Samuel"...

-oui, j'ai compris.

...

-"Ne t'attache pas à cette gamine, Samuel"
-Va te faire, vieux con. Bien!

J'ai dit ça sur un ton enjoué, un peu forcé. Elle est déjà en piteux état je vais pas en rajouter, et puis il fallait qu'elle se concentre sur le "bien" plutôt que sur la première partie, qui m'a échappé.

On va pouvoir repartir sur de bonnes bases euh... Hyena. Au cas où tu aurais oublié, moi c'est Samuel. Et pas de "monsieur", juste Samuel. J'suis pas un prof ni un pion je suis...

Comment lui expliquer ça? C'est pas facile, surtout que je sais pas trop non plus. Ce que je devrais être oui, mais ce que je suis... Et puis l'image de Stue me vient en tête et tout s'illumine d'un coup.

Je suis un NOD, comme toi dans quelques années. Imagine moi comme ton coéquipier, et ton supérieur. Je suis là pour te dire quoi faire et t'engueuler quand tu fais des conneries, mais je t'apporterai mon soutien quand ça sera nécessaire.

Aaaah, Stue... Entré en même temps que moi à la brigade de forces armées de répression, il a déjà menacé quelques fois de me tirer une balle dans la tête... Un chic type quoi.

Mais la gamine n'a pas mes nerfs, elle n'a que 13 ans et son l'esprit est tellement torturé que même moi j'aurais craqué à sa place. Pour ça, c'est mal et je le sais mais je m'en fous, je l'admire un peu.

Bon, c'est pas tout ça mais maintenant que les présentations sont refaites faut avancer. Je l'ai brisée, et je pourrais en faire ce que je veux, mais... Qu'est ce que je veux en faire? Je voulais qu'elle décide, mais en est elle encore capable? Pas dans son état actuel en tous cas... Il faut donc agir, et vite.

Bon, on va pouvoir passer à l'étape suivante, tu vas me dire ce que tu attends de moi plus ou moins et je te dirai ce que je pense pouvoir faire dans ce que tu demande. Mais avant ça...

Je souris, à l'idée de ce que je vais lui dire. Je ne pense pas faire une erreur, non. Mais quelque chose d'interdit, oui.

Lâche toi, ris, pleure, tape les murs, vas-y. La pièce est insonorisée et je te taperai pas je le jure. Ris comme jamais, parce que c'est pas demain la veille qu'on te permettra de recommencer.

Je m'assieds sur une chaise et montre que je suis prêt à me boucher les oreilles.

Prête? Go!

Est-ce que je rêve ?
Est-ce que c'est la voix dans ma tête qui a changé de texte... et de voix ?
Il m'a dit de me lâcher... vraiment ? C'est ce qu'il veut ?
Il dit même qu'il ne me tapera pas, mais ça... quand un adulte demande quelque chose, il faut le faire, même si on doit s'en prendre une après.

Mais c'est donc ça m'a vie ici ? Satisfaire tous leurs caprices ? Obéir bêtement même aux ordres les plus stupides. C'est à ce prix là que je survie et il n'y a rien d'autre à faire de toute façon.

C'est quand même pas le genre d'ordre qu'on me donne tous les jours.
Un ordre est un ordre, je ne vais pas désobéir.
Mais c'est étrange de demander une chose comme ça. C'est un peu comme s'il m'ordonnait de respirer.
Je respire pourtant pas très bien. Mon rire est si bruyant que je ne m'entend pas. Et plus je le laisse s'échapper plus il se déchaine. Et si je n'arrivais plus à le rattrapper ? J'ai l'impression que je ne m'arrêterais jamais.

Pliée en deux, j'en tombe de ma chaise. J'étouffe. J'ai mal. La gorge en lambeau, les côtes en ruine. Je suis cassée. L'impression d'être un tas de morceaux inutile, une chose fragile qui se laisse aller au point de se déchirer. Je suis faible. J'ai le droit d'être faible ? Pour une fois, oui. Mais j'ai peur de ne pas me relever. Et si je restais brisée, comme ça à terre ? Est-ce que je serais encore capable de faire ce que je faisais avant ? Est-ce que j'arriverais encore à subir cette vie là ?

Et si ce rire, c'était le dernier ?

Est-ce que je pourrais me laisser rire à en crever ?
Je pousse encore plus fort, pour voir jusqu'où je peux aller. L'air entre et ressort, pourtant je n'ai pas l'impression de respirer.
Je vais crever par ce pourquoi on m'a toujours fait chier. C'est grisant comme sortie. J'aimerais aussi pouvoir crier "allez tous vous faire enculer !" avant de partir, mais j'ai déjà du mal à respirer, alors articuler des mots...
Je me contente de me bidonner et de taper du poing par terre en me tenant les côtes de l'autre main.

Je tape, je ris, je crie. Sa me brûle à l'intérieur, l'impression d'avoir avalé un bol de caillasses chauffées à blanc.
Je tousse mais n'arrive pas à cracher le brasier.
Je m'épuise. Vidée... défoulée...

je me rend seulement compte que j'ai bavé en riant. Mais c'est mieux dehors, ça m'évitera de me noyer parce que je sais pas rire et déglutir correctement.
C'est con, j'avais réussi à me calmer, mais quand je me relève un peu et vois ce filé de bave qui colle entre ma bouche et le sol puis qui se rompt et pendouille, je sais pas pourquoi, ça repart. Alors je reste à quatre patte, la gueule baveuse et je ris. Et j'ai mal au ventre alors je me laisse tomber sur le côté.

J'ai l'air de quoi à me rouler par terre comme un chien ? Tout ça parce qu'on est passé du quotidien "assis pas bouger" à "lâche toi".
J'ai obéis. Mais je suis si faible que je ne peux même pas me relever.
C'est de sa faute ! Il le savais que j'allais être une loque ? Un déchet ? Je le hais !

Après l'euphorie vient la colère. Je hurle, toutes dents dehors.
Je déteste me rouler par terre ! Je déteste être faible. Être faible, c'est être morte ! Et j'ai même pas réussi à crever de ma faiblesse, je respire encore et j'ai la rage !
Je tape du poing plus fort par terre. Je ne veux pas être fatiguée. Je suis pas fatiguée !
Allez hop ! Debout. J'attrape la chaise et la balance contre le mur en face. Pas cassée ? Je la ramasse et je la frappe contre le béton. Encore. Plus fort ! Jusqu'à ce qu'elle casse.
Cassé.
Déjà cassé.
J'ai pas fini ! J'attrape un gros livre et le jette sur le tas de bois, puis un autre, vlan ! contre le mur. Et un autre ! Et un autre... et .... je suis fatiguée... ridicule... je titube jusqu'à un mur contre lequel je me laisse glisser de côté.

C'est fini.
Je vais rester là, le cul par terre, les jambes repliées, décoiffée. Mes cheveux sombres me tombent devant la face. C'est comme un voile derrière lequel je peux me cacher. Cacher ma honte et ces yeux qui ne regardent rien.
Laissez moi dans le vide. Je ne veux pas regarder. Je ne veux plus bouger. Je ne veux plus penser.

C'est fini.

Elle a ri avant d'enrager, et puis de taper. Elle est défoulée, elle a exprimé ses sentiments. J'ai personnellement trouvé ça beau, c'est rare de voir une personne extérioriser ses émotions comme ça. C'était un peu comme une parade, la déchéance d'une personne qui ne veut pas être un déchet. Mine de rien, une simple crise peut être une véritable mine d'information. Je l'ai pas brisée pour rien, c'est déjà ça.

A côté de ça... Aaaah, c'est pas sexuel mais j'ai pris mon pied! Putain que c'est bon de voir quelqu'un qui est vrai et qui fait un gros fuck aux règles. J'adore titiller là où il faut (pas) pour provoquer ce genre de réactions. Que les gens pleurent ou rient ils valent mieux que des toutous.

Le vieux n’aurait pas aimé ça, car il sait que mes motivations ne sont pas que bonnes. Mais j'avais une autre raison que mon plaisir personnel, que le vieux n'aurait pas aimé nom plus d'ailleurs. Cette raison, mon "jusqu'au-boutisme", l'a toujours énervé: "Jusqu'au bout", c'est parfois trop loin. Rien ne m'obligeait à la faire se mettre dans cet état là. Car avouons le, je sentais qu'elle se lâcherait et qu'elle finirait comme ça. Ou du moins je l'espérais.

Pourquoi je l'espérais? Parce qu'un bonsaï c'est fragile, si tu coupes n'importe comment il finit par pourrir. C'est un peu comme si tu pétais un bâtiment et que tu laissais le proprio reconstruire sur les ruines. Ca tiendra pas, ça peut pas tenir et même si ça tenait les fondations sont tellement abîmées que le résultat serait tout penché, tout tordu.
La solution est bien simple: faut tout péter, les ruines avec. Faut rien laisser car tout ce qui reste pourrait faire pourrir ce qui va repousser. Alors je lui ai dit de se lâcher, je l'ai regardée se détruire elle même, continuer mon boulot et le faire peut être même mieux que moi.

C'est fini?

Maintenant, elle gît là contre le mur je peux à peine voir son visage. J'imagine qu'elle doit en avoir marre. Marre de tout, marre de moi aussi, elle en a marre et moi je me marre. Intérieurement car en dehors c'est interdit et ça serait la provoquer, mais je me marre. Je suis content.

Elle est là sur le sol, elle a brisé tout ce que j'avais laissé et je l'imagine bien pleurer en ce moment même. Mais bizarrement elle ne me demande pas d'arrêter, elle ne me demande pas d'avoir pitié. C'est rare, mais c'est bon signe je crois. M'enfin je ne vais pas tout dire, ça serait gâcher la surprise.

C'est pas fini, gamine. A moins que tu sois une grosse merde? C'est ça que t'es, une grosse merde qui va rester assise là à pleurer jusqu'à la fin de ses jours?

Je me suis levé et me suis avancé vers elle tout en parlant. Elle n'a aucune réaction notable, mais ça ne va pas m'empêcher de continuer. Si elle croit que je vais la laisser comme ça elle se trompe. Je l'ai dit, je suis son coéquipier et je serai là si elle a besoin de mon soutient.

Me fais pas rire, Hyena. Les merdes je n'accepte pas de les aider, je ne me bouge même pas pour aller les voir. Alors, relève toi et regarde moi petite conne!

J'ai gueulé ma dernière phrase comme je l'aurais fait pour un ordre, parce que c'est un ordre.

Ou alors je me suis trompé. Ouaip, j'me suis trompé et je vaux mieux que toi, parce que moi je suis capable de me tenir debout. Je suis là devant toi et tu vas rester assise? Un brave petit toutou qui connaît sa place, c'est bien ça...

Ca passe ou ça casse...
Allez bouge, regarde moi avec des yeux de défis, fais moi un fuck ou tape moi si tu veux! Tu dois te relever et te reconstruire. Ca sera peut être pas parfait, peut être que la voix reviendra, mais je te l'ai dit, c'est pas fini! Je ne te le dirai pas mais j'en serais triste si je t'avais transformée en "ça" jusqu'à la fin de tes jours.

C'est fini...

La récrée est finie.
Je voulais rester là, mais cet enculé veut pas.
Et encore une fois il me parle de pleurer. Mais je pleure pas moi !
Là tout de suite, il y aurait sans doute une chose à faire pour finir d'être une merde, bien comme il faut : pleurer oui. Mais ça, je ne le fais pas. Pourtant des fois, ce serait pas si mal. C'est toujours mieux que de se marrer tout le temps. Mais non, mes yeux fatigués restent toujours désespérément secs et finissent toujours par se perdre dans le néant quand la réalité devient trop insupportable et que je n'en peux plus de me fendre la poire.
Non, conard ! Je ne pleure pas !

Je lui lance un regard assassin à peine dissimulé entre deux mèches de cheveux qui pendent lamentablement sur ma tronche de déchet.
Mais c'est fini, ce n'est plus l'heure d'être un déchet. Le maitre à ordonné, je doit me lever.

L'ordre tonne, mon corps l'exécute.
L'image se brouille de mouches noires à un moment pendant que je me relève. Mais ça y est, j'y suis, debout. Je me décolle du mur même si je ne sent plus mon équilibre. Les deux pieds par terre, c'est pas compliqué. Si je les écarte un peu pour être plus stable, je ne me casserais pas la gueule.
Et maintenant que mon corps est debout, il va aussi falloir que je réveille mon esprit. Il va encore se fâcher si je continue à regarder dans le vide.
Alors je m'éloigne du mur, j'avance vers lui.
Je vais lui montrer que je suis capable... de vivre...
Même si j'ai l'impression d'avoir l'estomac dans la gorge.

Et merde ! J'ai à peine levé les yeux sur lui que j'ai pas pu m'empêcher de lui dégueuler sur les pompes.
Putain, j'voulais pas...
Je lève la tête et ouvre des grands yeux.
J'ai peur, j'ai honte
Je suis désolée. Plus pour moi que pour lui, parce ça me fait chier d'avoir ce gout de bile dégueulasse en plus d'être lessivée. Pis c'est pas très glorieux. Et ça va encore compliquer les choses.

Je le regarde, un peu ahurie, et le coin des lèvres qui s'étire d'un côté. Une espèce de grimace gênée.
Il va m'en mettre une ?
J'ai fait comme il a dit, je suis debout et je le regarde ! Oui bon, d'accord, j'ai quiché entre temps, et ça sent mauvais, mais il a pas précisé "relève-toi sans vomir et regarde moi". Pff ! Tu parles d'une excuse. Je vais sourire comme ça en le regardant pendant longtemps avant de m'en prendre une ?

Vas-y ducon, achève-moi ! Je suis trop faible pour vivre comme tout le monde et trop faible pour me tuer toute seule.
Nan, ya pas, j'adore quand on m'aide !

Mais je suis toujours là, debout. Pas vaillante et l'estomac vide, mais sur mes deux pieds.
...et maintenant que j'y suis, j'aimerais bien y rester. Steuplais, m'envoies pas dans le décors.

E ?Elle se lève, miracle! Elle est debout, elle me regarde, ce n'est plus une loque. Elle ouvre la bouche, elle va m'injurier?

Elle... Elle a... Oh putain, Vomitor sort de ce corps! Mes belles bottines, j'vais pouvoir les laver maintenant... Bon, j'ai de la chance elle a pas encore bouffé ce soir mais quand même quoi!
Je lèvre un poing rageur, crispé par cette rage qui l'anime, qui se transforme en doigt et qui s'arrête à deux centimètres de son nez.

Ah bah tu vois, c'est pas si dur de tenir debout.

J'ai pas tapé nan, après tout elle a obéi à la lettre. Je passe ma main dans ses cheveux et puis lui prend le menton pour l'obliger à me regarder. J'aime ce que je vois dans ses yeux, elle n'a pas abandonné, pas encore. Elle se reconstruit petit à petit, d'abord l'amour propre et bientôt l'orgueil.

Cette fois je dirai rien parce que je préfère que tu me gerbes plutôt que de rester assise à te morfondre sur ton sort. Mais la prochaine fois...

Nan, y aura pas de prochaine fois mais ça je lui cache, juste au cas où. Seulement faut que j'enchaîne maintenant, j'suis pas dans la merde moi... Mais la porte vient à mon aide en s'ouvrant et laissant apparaître le vieux.

Je viens apporter le repas de la pet'... C'est quoi cette merde?

Il a vu les débris de la chaise et la gerbe sur mes pompes, mais se contente de soupirer. Il va porter un plateau sur une table avant de regagner la porte.

-Y a une part pour toi aussi... Mais vas y molo, c'est qu'une gamine.
Et quoi, il compte partir comme ça en me disant d'y aller molo? Il compte me filer le mauvais rôle de bourreau? Je fais juste mon boulot, merde!
-Elle n'est pas qu'une gamine!
Il a relevé la tête vers moi avec un regard assassin, il est pas content.
-Quoi?
C'est pas qu'une gamine, c'est une future NOD. Et elle sera une NOD brillante, probablement meilleure que moi.
-Tu... te fous de ma gueule, c'est ça? Mais regarde la putain, t'as vu dans quel état tu l'as mis?
Il a gueulé comme si elle n'était pas là, il est vraiment furax... Je l'avais dit qu'il aimerait pas ça. Mais bon, s'il gueule pourquoi pas moi?
-Elle est debout! Elle est debout là où plus de la moitié des gosses de ce centre seraient recroquevillés contre le mur en train de chialer! Je lui ai fait passer les pires moments de sa formation, et maintenant je vais la reconstruire.
Je lui fais un fuck pour lui faire comprendre que la discussion est finie et je me tourne vers Hyena, j'espère qu'elle a entendu parce que ce que j'ai dit lui était adressé aussi.

Tu m'as prouvé que t'étais pas une merde, que je m’étais pas trompé en décidant de t'aider. Mais j’avoue j’y suis allé un peu fort, euh…

Et merde de merde, je sais pas quoi dire moi… D’un autre côté vaudrait peut être mieux que je ferme ma gueule. Ce que j’ai fait n’était pas sympa mais nécessaire, le comprendra seulement elle un jour? Je la prends par les épaules et la porte rapidement devant son assiette pour éviter qu’elle se débatte.

Ca m’étonnerait que t’aie envie de manger, mais sait on jamais…
Avant qu’on aille plus loin, t’as un commentaire à faire ou une question à poser? Tu peux m’insulter, t’es pas obligée de m’aimer après tout.

Son poing se lève et... et me pointe un doigt devant le nez ?
Il joue à me faire peur, c'est ça ?
Comme si j'en chiais déjà pas assez !! Comme si j'avais pas assez peur...
Pourtant je dois rester debout devant lui. Je pourrais aussi allez me planquer à l'autre bout de la pièce, mais d'une j'en ai pas la force, de deux je ne pourrais pas aller bien loin, et de trois il ne m'a pas demander de m'enfuir mais de me tenir debout et de le regarder alors j'obéis sans broncher, même si j'ai dû lui vomir sur les pompes pour ça. Je fais ce que j'peux !
Et lui il me file la trouille en faisant semble de vouloir me taper... ou est-ce qu'il aurait eu du mal à se contrôler ?

Tient bas finalement il va me tirer les cheveux, pour changer. Je serre les dents, plisse les yeux, mais... rien, même pas mal. Qu'est-ce qu'il vient de faire là ? Mais c'est n'importe quoi ! Il a fourrer ses gros doigts dans mes cheveux comme ça, pour rien. Juste pour toucher ? Je crois que c'est vraiment un pervers et j'aime pas comme il me tient le menton. S'il jamais il approche sa face... ben je sais pas ce que je ferais, j'ai rien le droit de faire. Je n'aurais même plus droit de lui gerber dessus.

Ouf ! Sauvée par la porte.
Quelqu'un entre avec un plateau repas. On va manger ici ? Je n'irais pas à la cantine avec tous les petits cons qui me regardent ? Ça c'est chouette. Ça tombe bien dans l'état où je suis.
Quoique si je dois manger avec ce vieux vicieux, je sais pas si c'est beaucoup mieux.

C'est moi ou il est en train de se faire engueuler ?
C'est bien fait.
Mais... il lui répond en l'engueulant aussi ?! Il a droit de faire ça lui ?

Le volume sonore est monté et j'ai pas tout capté sur le coup.
Je me suis retrouvée devant un plateau de la cantine et l'autre est parti, je ne sais pas quand. Le pervers a eu le dernier mot, je crois. Et ses mots se touillent encore dans ma tête :
"C'est pas qu'une gamine"... "une NOD brillante"... "probablement meilleure que moi"... "brillante"... il venait de dire que j'étais qu'une merde et maintenant je vais être brillante ? Il pense sérieusement ce qu'il dit ?
Je me suis toujours débrouillée mieux que la plupart de ceux de mon age. Mais personne ne le fait remarquer aussi franchement. Je suis la hyène ! Personne ne s'abaisserait à dire haut et fort que je suis douée et ils n'en ont même rien à carré du moment que je fais ce qu'ils veulent et que je fais pas chier.
Mais lui il le dit.

Et il a défendu ma valeur devant cet homme.... ça fait bizarre... je ne sais pas quoi en penser. J'aurais presque envie d'être plus sympa avec lui, mais je comprend pas bien pourquoi il agit comme ça et c'est inquiétant.
Finalement, j'aurais deux question à lui poser, mais la deuxième, je pense que je ferais mieux de m'abstenir.

Ah ? J'ai le droit de les poser ? Maintenant ?
Je peux même l'insulté ? Bon...

-En fait, j'aurais deux petites questions...
Est-ce que vous avez l'intention de me sevrer ?

Je sert à rien sans mes médocs. Le simple fait de tenir debout devient compliqué. J'étais pas à ce point une loque avant qu'on arrête de me filer mon traitement. On avancerait sans doute mieux si je pouvais en avoir. Sauf si le but, c'est que je n'en prenne plus. Mais dans ce cas j'aimerais savoir à quoi m'en tenir.

La deuxième question ? Finalement, j'ose pas. J'aurais pas du lui dire qu'il y en avait deux. Mais comme il a dit que je pouvais l'insulté, sur le coup, je me suis dit que ce serait pas pire que de le traiter d'enculer. Mais finalement si, c'est peut-être pire. Si c'est vrai en plus il risque de le prendre vachement mal que je mette le doigt dessus. Trop risqué.

J'ai faim, mais j'ai l'estomac noué. Je vais quand même essayer de manger quelque chose. Si on doit continuer, j'ai intérêt à reprendre des forces.

Ok, je ne m'attendais pas vraiment à ça. Il va me faire du demi-sevrage. Je sent que ça va être le bordel cette histoire. Mais bon, un peu de médoc c'est mieux que pas du tout. Mais les changements de dosage, ce sera ça de plus à gérer.

Demain soir... ça, je ne l'ai bien imprimé. Tu peux être sûr que je m'en souviendrais si le cacheton n'est pas au rendez-vous.

Et la deuxième question ? Nan, vraiment je crois que c'est mieux qu'elle passe à la trappe. De toute façon si s'en est vraiment un, je m'en rendrais bien compte. Et qu'est-ce que ça change que je le sache ou pas ? Je vais rester sur mes gardes comme toujours mais de toute façon, je ne pourrais pas faire grand chose... encore que... s'il ne s'y attend pas... mais faudra pas que je loupe mon coup !

Du coup, c'est pratique qu'il parle beaucoup. Il oubliera tout seul que j'avais dit "deux questions". D'ailleurs, ça y est, il est déjà passé à autre chose et me montre trois images.
C'est quoi ? Un teste ? Un peu comme les taches d'encre qui ressemble à des petits lapins éventrés ? Je croyais qu'il était pas psy. Quoi que ses dessins à lui sont quand même mieux foutus. Là on ne peut pas se tromper, les personnages ne ressemblent pas à des lapins morts.
Il faut quand même que j'en choisisse une... la troisième, je pose ma fourchette pour la ramasser et je compare avec les deux autres. Celle-là me parait différente, mieux équilibrée. Les deux personnage forme un bloc au milieu, c'est droit, symétrique... un truc fait avec deux éclopés et qui a pourtant l'air solide. Les autres sont moins bien je trouve. Il y a le même nombre de personnage mais pas bien rangés. Il y en a toujours un qui dépasse, plus haut que l'autre, comme en vrai. C'est le bordel quoi.
Je pose celle que j'ai choisi plus loin, devant lui et fini de manger.

Je n'ai plus très faim. Pourtant, j'ai pas mangé grand chose, mais c'est long quand ça passe pas bien. J'en ai marre et si j'en mange plus, j'ai peur de recracher ce que j'ai déjà avalé. Alors je bois un peu d'eau et pousse l'assiette pour l'éloigner de moi.